Le Grand Sommeil


Nouvelle adaptation du classique de Raymond Chandler après celle d’Howard Hawks en 1946, Le Grand sommeil (Michael Winner, 1978) signe la deuxième incursion de Robert Mitchum sous les traits du détective privé Philip Marlowe. La véritable surprise de ce nouveau volet réédité chez Elephant Films, est la façon dont il prend à contre-courant le classique avec Humphrey Bogart…

Robert Mitchum dans une galerie d'antiquaire dans le film Le Grand Sommeil.

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La Petite Sieste

Vous le savez si vous avez lu notre papier consacré à Adieu ma jolie (Dick Richards, 1975), Philip Marlowe, le fameux détective privé des romans imaginés par Raymond Chandler, a été porté un certain nombre de fois au cinéma jusqu’à 2022 où il était incarné par Liam Neeson dans le bien nommé Marlowe de Neil Jordan. Une figure importante de littérature et du cinéma donc n’ayant eu de cesse de se réinventer au fil des décennies, choisissant tantôt de coller à l’époque des ouvrages – les années 40 et 50 – tantôt de s’en extraire en choisissant de transposer l’action dans les époques de production des films. C’était le cas du Privé (Robert Altman, 1973) et c’est aussi le cas de ce Grand sommeil (Michael Winner, 1978) qui nous intéresse aujourd’hui. Un choix assez curieux dans la mesure où Robert Mitchum est là pour garantir la continuité avec l’adaptation précédente, Adieu ma jolie, qui lui se passait dans les années 40. Aucune justification n’est apportée, le personnage n’a pas vieilli et le voilà même téléporté en Angleterre où se déroule l’action – contrairement au roman où le récit se passe toujours à Los Angeles. Des libertés qui interrogent mais qui pouvaient éventuellement permettre à Marlowe de se réinventer encore une fois. Peut-être que le petit succès d’Adieu ma jolie aura motivé les scénaristes ou producteurs à se rapprocher de ce qu’avait fait Robert Altman, toujours est-il que le charme rétro du long-métrage de Dick Richards a laissé place à un film résolument tourné vers son époque, les années 70, mais pas forcément pour le meilleur…

Robert Mitchum échange avec un James Stewart vieillissant dans le jardin de ce dernier, dans le film Le Grand Sommeil.

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Comme toujours dans les histoires avec Philip Marlowe, l’histoire débute par la demande d’un client pour que celui-ci résolve un mystère. En l’occurrence, c’est le général Sternwood qui le charge de protéger sa fille cadette Camilla victime d’un chantage. Marlowe rend visite à un bouquiniste nommé Geiger qui est retrouvé mort quelques heures après. Le détective découvre alors que Camilla et sa sœur ainée Charlotte mènent une double vie qu’il devra comprendre pour résoudre sa mission. Dans le roman, Raymond Chandler multiplie les pistes et fausses pistes rendant presque absconse de son œuvre. Le film reprend donc les grandes lignes du livre mais cette délocalisation au Royaume-Uni change radicalement le décor, si bien retranscrit par Howard Hawks dans son adaptation quitte à perdre tout le sel des aventures de Philip Marlowe. Ce Grand sommeil nouvelle version ne sait pas comment raconter le labyrinthe entourant le détective, et est surtout d’une fadeur terrible. Tout est raconté mécaniquement et platement – le nombre de trajets en voiture n’est pas loin derrière celui dans Duel (Steven Spielberg, 1971) ! – de sorte à ce que le fait de toujours suivre Marlowe dans ses moindres faits et gestes verse dans l’anecdotique. Les situations se répètent et s’étirent et le spectateur de bailler aux corneilles. Michael Winner illustre hélas platement le déroulé de son intrigue sans en comprendre la dimension tragique. Seules deux scènes de confrontation entre Robert Mitchum et James Stewart peuvent émouvoir les plus cinéphiles d’entre nous…

Et ce n’est pas la mise en scène qui y changera grand-chose car là où le manque d’idée de Dick Richards sur Adieu ma jolie était compensé par une direction artistique et un style rétro séduisant, Le Grand sommeil ressemble à s’y méprendre à un téléfilm voire à un épisode de l’Inspecteur Derrick (Herbert Reinecker, 1974-1998). La photographie est plate et c’est d’autant plus surprenant qu’elle est assurée Robert Paynter qui signera l’image du Loup-garou de Londres (John Landis, 1981) ou de La Petite boutique des horreurs (Frank Oz, 1986). Le montage est compliqué également tant sur son découpage de l’action – quand il y en a ! – que sur son équilibre global. Les scènes de flashbacks, inutiles sur un plan narratif pour la grande majorité, sont amenées par de vilaines transitions. Même l’utilisation de la voix-off, qui fonctionnait bien dans Adieu ma jolie, est aux fraises dans la mesure où elle ne fait que décrire l’action visible à l’écran. Michael Winner est tout bonnement incapable d’installer la moindre atmosphère a son film. Sans avoir réalisé de grands films, le réalisateur avait pourtant sorti des thrillers solides tels que Le Flingueur (1972) Scorpio (1973) ou Un Justicier dans la ville (1974). Le Grand sommeil amorce malgré lui une suite de carrière qui sera plus compliquée avec Un Justicier dans la ville 2 (1982) ou Le Justicier à New-York (1985). Au moins, on ne peut pas prendre Winner à défaut sur la comparaison avec Howard Hawks puisque celui-ci fait des choix si diamétralement opposés que seul le titre et le fait de revoir Mitchum en Marlowe peuvent véritablement nous rappeler que les deux cinéastes partent du même support.

Que dire de Robert Mitchum justement ? Lui qui a joué avec les plus grands – Nicholas Ray, Otto Preminger, Charles Laughton, Robert Wise, Howard Hawks, justement, et tant d’autres… – se donne si peu de peine devant la caméra d’un réalisateur si peu inspiré est assez triste. Il avait réussi à donner corps à Philip Marlowe dans Adieu ma jolie avec une certaine gourmandise, il est ici éteint, promenant sa carcasse fatiguée dans les grandes pièces du château des Sternwood en récitant mollement ses répliques sans y croire vraiment. Il faut dire qu’il est peu aidé par des comédien.nes pas tout à fait justes non plus. Sarah Miles, dans le rôle de Charlotte, n’est pas très convaincante et subit forcément la comparaison avec Lauren Bacall qui l’interprétait avant elle. Richard Boone, Joan Collins, Edward Fox ou John Mills complètent la distribution sans conviction. On notera la performance plus que gênante de Candy Clark, sous les traits de Camilla, jouant la folie Blu-Ray du film Le grand sommeil proposé par Elephant Films.comme Jean-Marie Bigard incarnerait la finesse. Pourtant douée, l’actrice aperçue dans American Graffiti (George Lucas, 1973), dans le documentaire Sois belle et tais-toi (Delphine Seyrig, 1981) ou dans la saison 3 de Twin Peaks (Mark Frost & David Lynch, 1990-2017), est celle qui y laisse le plus de plumes car, au final, c’est sa prestation mal dirigée qui reste en mémoire. Seuls James Stewart que l’on prend plaisir à voir dans sa quasi fin de carrière et Oliver Reed qui est comme toujours magnétique tirent leurs épingles du jeu, ne permettant de relever le niveau que de façon sporadique.

Reste que pour vous faire une idée, il faudra vous munir du combo Blu-ray/DVD édité par Elephant Films qui livre une copie impeccable quoique moins riche que pour Adieu ma jolie – c’est lié à l’esthétique des deux œuvres, pas au travail de restauration toujours très soigné. Que ce soit au niveau du son ou de l’image, on retrouve toute l’exigence de l’éditeur. Du côté des suppléments, un making-of d’époque reviendra sur la genèse et la production du Grand sommeil tandis qu’une présentation du film par Eddy Moine viendra contextualiser un peu tout ça. Comme pour le long-métrage de Dick Richards, le tout est accompagné de bandes-annonces de 1978 et des titres de la même collection Elephant Films. Le film n’est pas parfait mais l’édition est irréprochable ! Après ce titre, il aura fallu attendre vingt ans pour revoir Philip Marlowe, cette fois sous les traits du grand James Caan dans le téléfilm Embrouille à Poodle Springs (Bob Rafelson), signe que quelque chose s’était grippé avec Le Grand sommeil dont l’exil anglais n’est jamais justifié.


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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