On attendait avec impatience cet U Are the Universe, premier long-métrage du réalisateur ukrainien Pavlo Ostrikov, passé en fanfare dans de nombreux festivals. Des prix gagnés au PIFFF, d’autres au festival Hallucinations Collectives, sans compter les nombreuses nominations à travers le monde. Retour sur ce phénomène entre post-apo spatiale et comédie romantique.

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2001, l’Iliade de l’espace

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U Are the Universe démarre avec un pitch plutôt simple, pour ne pas dire carrément recyclé. Seul dans l’espace, un astronaute doit accomplir une mission périlleuse. Enfin, “seul”, pas tout à fait puisque comme souvent dans ce genre de huis clos cosmique, l’éternel problème du héros solitaire (pas de dialogue donc peu d’accès à l’intériorité du personnage) est vite contourné grâce à un compagnon de bord bien pratique : une intelligence artificielle. C’est là que le film déploie sa grande passion pour… Les autres films de science-fiction. U Are the Universe ressemble à un maxi best of spatial qui coche soigneusement toutes les cases du genre. L’hommage (parfois un peu trop appuyé) à 2001 : L’Odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, 1968) est bien sûr incontournable. L’IA ne peut s’empêcher de nous rappeler HAL, allant jusqu’à utiliser l’ouverture de Ainsi parlait Zarathoustra, la musique iconique du film de Kubrick. D’autres références apparaissent ici et là. Le protagoniste, vêtu d’un bleu de travail et vissé à sa routine d’entretien, évoque immanquablement les techniciens d’Alien (Ridley Scott, 1979) ou les ouvriers paumés de Dark Star (John Carpenter, 1974). Cette esthétique de la SF « prolétaire », entre maintenance de vaisseau et capitalisme galactique, donne une vraie texture au décor et au personnage. Ces diverses références ne pèsent néanmoins jamais sur U Are the Universe. Pavlo Ostrikov n’essaye pas de se comparer à Kubrick, Scott ou Carpenter, on sent que tout cela est un pur hommage cinéphile d’un admirateur à ses maîtres. En plus de cela, ce patchwork de références sert aussi à établir efficacement l’univers du film et à donner de l’épaisseur au héros. Les échanges avec l’IA, souvent teintés d’un humour un peu absurde, offrent un accès bienvenu à l’intériorité du personnage, tandis que le vaisseau – sale, cabossé, presque dans la décrépitude – agit comme un reflet de son état mental : usé et en bout de course. Les références cinématographiques sont donc utilisées comme un outil qui permet d’épaissir le personnage tout en faisant facilement comprendre au spectateur dans quel univers de science-fiction il est. On est donc en terrain familier, et comme Andriy l’astronaute, on passe la première partie du récit en pilote automatique. On navigue entre hommages et clins d’œil, sans que le film ne semble vouloir vraiment se démarquer de ses glorieux aînés. Jusqu’à ce qu’il démarre véritablement et que l’on commence enfin à comprendre cette réputation acquise en festival.
À la fin de cette première partie relativement balisée, deux twists s’enchaînent coup sur coup, et viennent radicalement modifier l’équilibre du long-métrage. Attention, spoilers à venir. Premier coup dur pour Andriy : la Terre est littéralement détruite sous ses yeux, à cause de guerres dévastatrices. Le protagoniste assiste à cette apocalypse en spectateur impuissant, coincé à des années-lumière de chez lui, dans son vaisseau délabré. Ce moment marque un tournant brutal, à la fois pour le personnage, pour le film, et pour nous, spectateurs. Pour Andriy, le choc est existentiel : sa mission n’a plus aucun sens, son avenir n’existe plus, et même son passé est désormais un souvenir sans ancrage. Sa réaction est étonnamment sarcastique. Il traverse une phase de deuil désabusée, ponctuée de blagues amères et de réflexions ironiques sur la disparition de l’humanité. Le tout est aussi comique que profondément inquiétant. Ce détachement apparent soulève une question centrale : peut-on encore faire confiance à ce personnage ? Est-il en train de sombrer ?

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C’est alors que le film frappe encore plus fort. Car cette catastrophe planétaire ne résonne pas seulement sur le plan narratif : elle évoque de manière troublante des événements bien réels. Difficile, en effet, de ne pas penser à la guerre en Ukraine. Ce parallèle devient d’autant plus poignant quand on apprend que le responsable des effets spéciaux (majoritairement pratiques, d’une inventivité remarquable malgré un budget visiblement modeste) est mort récemment au front. Ce contexte tragique confère au long-métrage un sous-texte déchirant et un poids émotionnel inattendu qui déborde de la fiction pour se lier à notre actualité. Le second retournement de situation est l’arrivée d’une voix féminine que l’on entend à travers la radio d’Andriy. Elle appartient à une scientifique française également seule dans l’immensité de l’espace. Un nouvel espoir naît pour notre protagoniste qui va tout faire pour la retrouver. Parce qu’il reste toujours, au milieu des ruines, un instinct de survie, d’amour, ou de poésie. L’ensemble peut paraître naïf mais la magie vient peut-être de là. Car à partir de ce second retournement de situation, U Are the Universe se met à muter, à glisser d’un genre à l’autre avec une liberté presque insolente. On passe du drame spatial à la comédie existentielle, de la romance à distance au road-movie cosmique, jusqu’à atteindre les rivages plus abstraits du voyage métaphysique. Un film kaléidoscopique, donc, ne craignant pas de mélanger les tons, les registres, les intentions, quitte à parfois désarçonner. Mais cette audace est précisément ce qui le rend si vibrant. U Are the Universe est un pur exemple de cinéma qui ose croire à la force des genres, à leur hybridation, à leur capacité à parler de l’intime autant que du collectif. Un film qui, derrière ses airs de bric-à-brac spatial, croit dur comme fer au pouvoir de la narration et à la beauté de continuer, même quand tout semble perdu.
