Adieu ma jolie


Deux ans après Le Privé (Robert Altman, 1973), Philip Marlowe, le fameux détective privé inventé par le romancier Raymond Chandler, était de retour dans Adieu ma jolie (Dick Richards, 1975). Un film plus méconnu que son prédécesseur que réédite Elephant Films en Blu-Ray. Une belle occasion pour se replonger dans ce petit néo-noir porté par Robert Mitchum…

Robert Mitchum drague Charlotte Rampling dans un salon ; scène du film Adieu ma jolie.

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Philip Marlowe ne vous dit peut-être pas grand-chose si vous n’êtes pas familier de littérature policière américaine, mais ce personnage de détective privé écumant les rues de Los Angeles a été porté onze fois sur grand écran depuis 1944. Qu’il s’agisse d’Howard Hawks ou de Robert Altman, nombre de cinéastes se sont emparé de cette figure, avec autant de comédiens pour l’incarner ; Humphrey Bogart, Robert Montgomery, Elliott Gould, James Caan ou Liam Neeson. Robert Mitchum est le seul à l’avoir joué par deux fois : dans Adieu ma jolie (Dick Richards, 1975) et dans Le Grand sommeil (Michael Winner, 1978). Le premier, qui nous intéresse aujourd’hui, reprend l’intrigue du roman éponyme – déjà adapté par Edward Dmytryk en 1944 – où Marlowe se voit engagé par le mafieux Moose Malloy, fraîchement sorti de prison, afin de retrouver Velma qu’il n’a pas revue depuis sept ans. En parallèle de sa première enquête, le détective est chargé d’accompagner une transaction qui tourne mal puisque son commanditaire est assassiné, faisant de Marlowe le principal suspect. Celui-ci remonte la piste qui le mène au juge Baxter Grayle et fait la connaissance de son épouse Helen qui lui fait du charme…

Dans une rue de nuit, un mafieux menace Robert Mitchum dans le film Adieu ma jolie.

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Une intrigue tortueuse qui permet d’explorer un Los Angeles de 1941 de néons et de fumées de cigares. Et on peut dire que la reconstitution est franchement réussie tant elle nous plonge trente ans avant l’époque de production du film. Si la réalisation de Dick Richards ne fait pas forcément d’étincelles, il peut s’appuyer sur une direction artistique aux petits oignons signée Dean Tavoularis à qui l’on doit celles de Mary Poppins (Robert Stevenson, 1964), de Little Big Man (Arthur Penn, 1970) et surtout du Parrain (Francis Ford Coppola, 1972). Adieu ma jolie bénéficie également d’une belle photographie de John A. Alonzo – chef opérateur sur Chinatown (Roman Polanski, 1974), autre grande restitution d’une époque révolue – qui sait faire ressortir aussi bien les scènes intérieures feutrées que les nombreuses scènes nocturnes. Dommage que le cinéaste aux commandes n’ait pas toujours les idées pour utiliser à bon escient ces beaux atouts et transcender son projet. C’est vraiment sur ce point que le long-métrage pêche le plus – car ses qualités sont tout de même plus nombreuses que ses défauts – d’autant plus qu’il arrive après Le Privé (Robert Altman, 1973) qui proposait une approche plus radicale et singulière.

Adieu ma jolie repose en grande partie sur son casting au sommet duquel Robert Mitchum brille dans chaque scène, parvenant à incarner tour à tour le charme, le désœuvrement et l’ironie de Philip Marlowe. Peut-être le joue-t-il légèrement plus nonchalant que son homologue de papier, mais il est dans son style de jeu celui qui a fait sa renommée, et on ne saurait bouder notre plaisir d’autant que cela s’accorde bien aux mésaventures du personnage. Mitchum est entouré d’un casting de « gueules » dont le géant Jack O’Halloran en Malloy, le grand Harry Dean Stanton ou la légende en devenir Sylvester Stallone – amusant de voir que son futur rival Arnold Schwarzenegger avait un rôle similaire de gorille dans Le Privé. On notera la participation de Charlotte Rampling qui trouve un personnage trouble aux motivations mal définies par le scénario et qui ne sait pas forcément comment interpréter Helen Grayle. Enfin, le romancier Jim Thompson – auteur des œuvres ayant inspiré Guet-apens (Sam Peckinpah, 1972), Série noire (Alain Corneau, 1979) ou Les Arnaqueurs (Stephen Frears, 1990), et scénariste des Sentiers de la gloire (Stanley Kubrick, 1957) – fait un joli caméo dans le rôle du juge Grayle.

Le film fait également quelques entorses au roman originel en modifiant certaines péripéties – Marlowe n’est plus enfermé dans un hôpital psychiatrique mais dans un bordel – et surtout en insufflant des questionnements propres aux années 70. Ainsi le sujet de la ségrégation raciale à peine réglée aux États-Unis de cette époque est incorporée au récit de Raymond Chandler donnant lieu à certaines des meilleures séquences comme celle du bar au début du long-métrage. Le Privé avait pavé la voie en choisissant de déplacer son intrigue dans son époque contemporaine, et Adieu ma jolie joue sur ce décalage – le couple mixte dans les années 40 étant tout à fait hors normes – pour donner un autre relief à cette adaptation. L’aspect politique était déjà en germe dans l’œuvre du romancier américain, toutefois ce sont définitivement les transpositions cinématographiques à partir des années 70 qui lui ont conféré cette façon plus directe et y ont décalqué les inquiétudes de leur temps. La très courte carrière de Dick Richards ne permet pas de dire dans quelle mesure cet aspect était réfléchi, conscient ou souhaité, mais ce regard a le mérite d’exister et de s’éloigner du film de 1944 d’Edward Dmytryk.

Le nouveau master proposé par Elephant Films est en tous points remarquable puisque la restauration de l’image magnifie la photographie de John A. Alonzo. À titre d’exemple, les scènes de nuit bénéficient d’une grande richesse dans les noirs. Peut-être que la piste son en anglais aurait mérité un meilleur dépoussiérage car on ressent là le poids des années, on peut néanmoins se dire que cela fait partie du charme de l’expérience ! Dans les suppléments disponibles dans cette édition Blu-Ray, on retrouve une présentation du film par l’historien du cinéma Nachiketas Wignesan, un sujet sur Marlowe et son créateur Raymond Chandler, ainsi qu’une bande-annonce d’époque d’Adieu ma jolie et d’autres de l’ensemble du catalogue d’Elephant Films. Des bonus que l’on retrouve également sur l’édition DVD sortie en parallèle. En somme, c’est ici la meilleure copie pour découvrir ou redécouvrir ce long-métrage charmant et prenant, avant de nous jeter sur sa fausse suite Le Grand sommeil, lui aussi édité par Elephant, et sur lequel nous reviendrons dans les jours à venir…


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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