Portée par Toni Collette et crée par Mae Martin, Indociles est la nouvelle série high concept de Netflix sortie cette fin septembre 2025. Une enquête aux confins du sectarisme où il est question de la place des enfants dans nos sociétés. La série était une belle promesse malheureusement gâchée par quelques lourdeurs.

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Entre les murs

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Tous les projets avec Toni Collette sont dignes d’intérêt, sachez-le. De Muriel (P.J. Hogan, 1994) à Hérédité (Ari Aster, 2018) en passant par Sixième sens (M. Night Shyamalan, 1999) ou Mickey 17 (Bong Joon-ho, 2025), l’actrice australienne compose toujours de grands personnages et elle décline aujourd’hui ce savoir-faire sur le petit écran avec Indociles (Mae Martin, 2025). Et si la mini-série est pétrie de qualités sur lesquelles nous reviendrons plus en détails, sa prestation en est encore une fois l’alpha et l’oméga. C’est bien simple, à chaque scène où Toni Collette apparait, elle efface tout le monde pour glacer le sang. Pourtant, comme Hannibal Lecter dans Le Silence des agneaux (Jonathan Demme, 1990), elle n’est finalement qu’assez peu présente dans l’ensemble de l’œuvre mais finit par la hanter tant son personnage et son magnétisme donnent à craindre le pire, tout le temps. Cette série, créée et interprétée par Mae Marvin, humoriste ayant traité de sa non-binarité ou de ses addictions dans ses stand-ups et sa série Feel Good (2020), raconte l’histoire de Tall Pines, une ville tranquille semblant parfaite. Derrière la façade, une réalité toute autre est en marche : un centre de redressement pour jeunes gens perturbés – où sont envoyées deux jeunes Canadiennes – géré par Evelyn Wade jouée par Toni Collette, usant de méthodes peu orthodoxes. Alex, un jeune flic fraichement débarqué avec sa femme ayant fréquenté le centre, cherche à comprendre pourquoi des jeunes disparaissent…
Alors petit avertissement : cette critique comportera quelques légers spoilers sur l’intrigue d’Indociles car on ne peut pas l’évoquer sans entrer dans quelques menus détails. La grande force de la série, c’est son ambiance : pas loin d’évoquer Twin Peaks (Mark Frost & David Lynch, 1990-2017), elle nous transporte dans une Amérique des faux-semblants où le mal se cache dans les regards et les silences. Cet univers est d’emblée fascinant et crédible aux yeux du spectateur qui se laissera porter à la faveur d’une réalisation intelligente et inventive. On pense notamment à ces scènes de visions ou de cauchemars qui ne laissent pas indifférent tant elles versent dans une belle épouvante. Indociles va même assez loin en lorgnant presque du côté du body horror quand le bébé attendu par la femme d’Alex devient presque plus un intrus qu’autre chose, ou du côté d’On achève bien les chevaux (Sydney Pollack, 1969) ou Hunger Games (Gary Ross, 2012) dans un épisode de survie éprouvant. Elle n’hésite pas non plus à s’offrir des ruptures de ton allant de l’humour – Mae Martin n’est pas humoriste pour rien – aux larmes, en passant donc par l’effroi. Un équilibre assez unique in fine, toujours maitrisé tant à l’écriture qu’à la mise en scène assurée par le trio John Fawcette, Renuka Jeyapalan et Euros Lyn. La mini-série de Mae Martin a donc de nombreux atouts dans son jeu et reste captivante de bout en bout.

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Indociles, par cet établissement de redressement qui hante tout son univers, évoque également les troubles des États-Unis. Mae Martin est canadien.ne et fait des deux jeunes femmes enfermées de force dont on suit le point de vue des Canadiennes également. Ce n’est pas un hasard puisque cela permet de faire un pas de côté pour ne pas s’associer complètement à cette faillite morale. En situant son récit au début des années 2000, Mae Martin fait le choix de nous plonger dans une Amérique pré-11 septembre 2001 et de nous dire, en creux, que le ver a toujours été dans la pomme. Et si iel s’inspire de récit qu’iel a pu entendre de certains de ses ami.es, et qu’iel évoque le passage à l’âge adulte et la peur des générations qui suivent, au fond, Martin nous raconte la violence intrinsèque d’un pays qui n’a jamais réellement fait son examen de conscience autrement que par des biais artistiques. Beaucoup de choses y passent dans Indociles : le sectarisme – évoquant ici celui de Midsommar (Ari Aster, 2019) – la religion et plus globalement tout ce qui a trait aux phénomènes d’embrigadement post-mouvements hippies. Le repérage des victimes, la façon de cibler les souffrances et les méthodes pour retenir les individus : tout est là et peut-être décalqué à une nation toute entière qui érige la violence comme vertu et où Donald Trump s’emploie à brouiller les valeurs humaines. Et ce n’est pas la représentation d’une police fermant les yeux sur tout ça qui viendra contredire ces passerelles avec la réalité étatsunienne.
Pourtant, malgré toutes ses belles qualités, arrivé au bout du visionnage, quelque chose cloche. Toutes les pistes posées par Indociles ne sont pas menées à bien – on pense notamment au personnage de Sarah, la compagne d’Alex – et, pire, en ressent un manque évident d’inspiration pour conclure l’ensemble. De même, si le personnage de Toni Collette est parfaitement écrit et que les deux jeunes femmes – Abbie et Leila pour les nommer, bien campées par Sydney Toplife et Alyvia Alyn Lind – sont tout à fait justes, le personnage d’Alex est plus compliqué à appréhender. Écrit comme une page blanche découvrant Tall Pines, Mae Martin a souhaité lui donner des traumas pas très lisibles et des traits de caractère qui paraissent saugrenus. Alex a, par exemple, des excès de violences incompréhensibles qui finissent par nuire au personnage et à sa caractérisation. On comprend que Martin ait voulu lui donner de l’épaisseur, mais cela est fait aux forceps et l’interprétation qui en est fait derrière est trop en décalage par rapport aux attentes, légitimes, qu’on pouvait en avoir. C’est d’autant plus dommage que la mini-série n’avait pas besoin d’un.e Alex torturé.e pour alourdir des enjeux riches qui se suffisaient à eux-mêmes et Mae Martin, via son personnage, vient desservir tout ce qu’iel a bâti le long de ses huit épisodes. En définitif, Indociles se tire une balle dans le pied à plusieurs endroits et n’assume pas toutes les belles promesses. Reste que son univers est passionnant et singulier. Et puis il y a Toni Collette…



