L’année passée, l’équipe de Fais Pas Genre ! inaugurait au Festival de Cannes un format nouveau pour couvrir ce festival hors norme. Cette année, nous remettons le couvert et vous offrons un compte rendu jour par jour du festival, des films, de l’ambiance générale sur la mondialement connue Croisette. Comme l’année précédente l’équipe du site présentera à sa manière les films cannois, aiguillés comme d’habitude par les cinémas de genres.
Jour 0 • Premier Acte
Cannes commence avant Cannes. Les jours, les semaines avant le lancement officiel, tout le petit milieu du cinéma change ses formules de politesse habituelles pour un « On se voit à Cannes », vœu pieux qui ne sera, la plupart du temps, pas exaucé. Des projections semi-secrètes sont organisées à Paris pour commencer à montrer les films de la sélection cannoise. On discute et on débat des sélections, l’officielle et les parallèles (La Quinzaine des Cinéastes, La Semaine de la Critique, L’ACID), des choix cohérents ou au contraire inexplicables qui semblent avoir été faits. Tout cela ne trompe pas, les stigmates sont là : la ville de Cannes s’apprête à sortir de son sommeil, pour devenir l’éphémère capitale du cinéma mondiale. Le tapis rouge commence à être déroulé, l’immense affiche de ce 77ème festival, placé cette année sous l’égide de Kurosawa, est placardée à la façade du Palais des Festivals. Les escabeaux des paparazzis amateurs sont installés et cadenassés devant l’entrée du Grand Théâtre Lumière, la principale salle de projection du festival. Les barnums se montent, les publicités pour les prochains blockbusters de la croisette apparaissent, les distributeurs, les producteurs, les vendeurs internationaux installent à leurs balcons les banderoles portant leurs couleurs. Dès le premier jour, comme il est désormais coutume, les festivaliers ont commencé à se lever à 7h du matin pour espérer récupérer des places pour les projections. Comme il est désormais de coutume, tout le monde se recouche à 7h30 mécontent de n’avoir quasiment rien eu. Il faudra attendre quelques jours pour que la situation se décante et que des places, petit à petit, se libèrent. La frustration de ne pas tout voir et tout avoir, est peut-être d’autant plus grande que de nombreux films, semblent entrer dans le giron de la ligne éditoriale de Fais Pas Genre !
Mais avant tout cela, il faut bien inaugurer de festival. Pour cela, c’est cette année la nouvelle mouture de Quentin Dupieux – la deuxième de l’année déjà – qui a été sélectionné comme film d’ouverture du Festival de Cannes. Après une cérémonie assez rondement menée par Camille Cottin, place alors au Deuxième Acte. Au contraire de la cérémonie plutôt réussie, le film est, lui, sans doute un des pires films de la carrière de son réalisateur. Prolongeant sa veine « ultra-méta » déjà présente dans son précédent film Daaaaaali ! Dupieux livre ici une sorte de condensé de son cinéma inspiré de manière de plus en plus transparente par Bertrand Blier. On y suit alors Léa Seydoux, Louis Garrel, Raphaël Quenard et Vincent Lindon jouant des acteurs en train de jouer dans un film. Les strates de réalités s’empilent et l’ennui avec. Dans ce petit théâtre qui se voudrait méchant et cruel et qui n’est en vérité pas plus « poil à gratter » qu’une comédie « réconciliatrice » à la sauce Nakache-Toledano, Dupieux, dont on aime ici pas mal de films, de Steak (2007) à Rubber (2010), de Wrong (2012) jusqu’à Yannick (2023), parvient cette fois à réussir à faire un film d’une heure vingt trop long. On tourne en rond, on s’engueule, on fait des longs travelings, on fait des blagues métas – et assez abjects – sur metoo, sur le wokisme, sur le milieu du cinéma, sur son inhérente vanité. Dupieux voudrait être Blier, il réussit en tout cas à nous faire croire par sa vision du monde plus que vieillotte, qu’il fait partie de sa génération. À ce titre il est assez effarant de constater que le personnage à qui sont adressées les vannes les plus cruelles, les plus personnelles, est bien celui de Léa Seydoux, quasiment seul personnage féminin du long métrage. On aurait pu passer outre ces considérations qui semblent d’un autre temps si le film avait réussi par sa mise en scène, par son dialogue, par son humour, à nous captiver. Malheureusement, Le Deuxième Acte est encore plus cinématographiquement ennuyeux qu’il est politiquement fâcheux. Le plus triste dans ce film, c’est bien qu’il ne secoue rien, qu’il ne tente en réalité, pas grand chose. Aussi tendancieux que puisse être le cinéma de Blier, on lui sait gré d’avoir cassé, d’avoir réinventé. Dupieux ici, ne fait que citer, l’invention est passée.
Dès lors, on ne s’attardera pas plus sur ce premier film. De la sélection officielle comme des parallèles, de nombreux projets semblent bien plus mériter notre attention. En premier lieu, un des films qui a le plus fait parler de lui depuis quelques mois, le projet fou de Francis Ford Coppola, Mégalopolis. En bon Fury-Roadiens, on ne peut qu’être excités par la projection de Furiosa, prequel au dernier opus de la dantesque saga de George Miller. Outre ces mastodontes, on attend de pied ferme certains films comme Les Femmes au Balcon de Noémie Merlant, Bird d’Andréa Arnold, Oh, Canada de Paul Schrader, The Substance de Coralie Fargeat – avec qui nous avions eu la chance de nous entretenir à la sortie de son premier film, Revenge –, Les Linceuls de David Cronenberg, ou encore Caught by the Tides de Jhia Zang-Khe. Le festival ne semble pas dépourvu de propositions en tous genres et nous tenterons ici de les chroniquer au mieux que la billetterie nous le permette. Cette année, et les deux semaines à venir nous le prouverons peut-être, les cinémas de genres à Cannes semblent placés sous le signe de l’hybridation. Chez George Miller et son Furiosa mélangeant l’esthétique de ses deux derniers films 3000 ans à t’attendre et Fury Road, chez Coppola mélangeant New York futuriste et Rome antique, ou encore chez Andrea Arnold, imprégnant son cinéma de touches fantastiques. C’est peut-être ça qu’on attend de cette nouvelle édition du Festival de Cannes. Délaissons les projets punks préfabriqués, méta jusqu’à la métastase, auto-référencés et abscons, somme toute convenus, pour s’attarder sur ce qui est proprement bizarre, déroutant, désarmant, nouveau.