Si les films de Noël s’enchaînent chaque année comme des guirlandes autour d’un sapin, ceux de Hannouca peuvent sûrement se compter sur les branches d’une menorah. Malgré tous ses mythiques réalisateurs, la communauté juive américaine n’a que très rarement sorti sa fête des Lumières de l’ombre du Saint Nicolas coca-colisé. En 2003, Johnathan Kesselman et Adam Goldberg tentent de relever le défi en créant le premier (et dernier) héros de jewxploitation : le détective privé (de prépuce) Mordechaï Jefferson Carver, a.k.a The Hebrew Hammer. Culte de niche, cette série B un peu cheap sous tous rapports est peut-être le chaînon manquant dans l’évolution de l’humour juif entre Woody Allen et Adam Sandler. Faites tourner les dreydels et chauffer les latkes, Papa Hanouca arrive en ville.
Everything cool, everything Kosher
Pour un petit cadeau de fin d’année, il y a beaucoup à déballer. The Hebrew Hammer est en effet un beau gloubi-boulga de parodies cinéphiles : un détective privé new-yorkais (film noir) à la dégaine de PIMP hassidique (blaxploitation) est désigné par la Jew Justice League (super-héros) pour sauver Hanoucah des mains du nouveau Père Noël, capitaliste, conservateur et impérialiste (Noël/Western). Ça paraît un peu beaucoup, et évidemment, ça l’est. Premier film de son jeune réalisateur-scénariste, The Hebrew Hammer est un clair hommage à tous les longs-métrages cultes de sa jeunesse des années 70-80, qu’il soude en un gros patchwork grâce à un absurde délirant emprunté au trio Zucker-Abrahams-Zucker (Y a-t-il un pilote dans l’avion, Top Secret…) ou à son contemporain Jay Roach (Austin Powers). Cependant, Kesselman ne se contente pas d’enchaîner les petits exercices de citations ou de sketchs pour réussir son travail pratique de fin d’études. Il se saisit de toute cette puissance évocatrice et explosive d’Hollywood et l’infuse à une communauté juive orthodoxe new-yorkaise, ordinairement considérée comme assez sérieuse et fermée sur elle-même. C’est même la punchline qui sous-tend l’ensemble de l’œuvre : « Un super-héros juif cool et badass ? Impossible ! ». Une vanne bourrée d’auto-dérision, mais tellement poussée ici qu’on pourrait presque croire à l’appel à l’aide. Pourquoi pas un héros juif après tout ?
En effet, il n’est pas aisé de trouver sur nos écrans une figure ouvertement juive à l’aura d’un James Bond, d’un John Wayne ou d’un Captain America. S’il faut remonter au Moïse blond aux yeux bleus de Charlton Heston des Dix Commandements de Cecil B. DeMille (1956), l’hypothèse se prouve d’elle-même. Une absence de représentation liée à l’absence (ou la méconnaissance) de personnalités juives réelles, réputées pour leurs accomplissements physiques ou leurs expertises violentes. The Hebrew Hammer évoquera d’ailleurs lui-même ce manque dans deux excellentes séquences. Une première, où la Jew Justice League, sorte de Crif/SPCJ américain secret, menacée par le Père Noël se cherche un sauveur juif et ne parvient qu’à citer des artistes et des économistes vieillissants. Puis une seconde où, voulant contrer une épidémie de copies piratées de La Vie est belle (Frank Capra, 1956) convertissant les jeunes Juifs à l’esprit de Noël, le héros Mordechaï lance une contre-épidémie en distribuant les supposément trois seuls films ayant un rôle principal juif positif : Un Violon sur le Toit (Norman Jewison, 1971), Yentl (Barbara Streisand, 1983) et L’Élu (Chaïm Potok,1982). Soit un laitier de shtetl, une étudiante du Talmud et deux ados new-yorkais en pleine crise identitaire. On a connu mieux comme Avengers. La communauté new-yorkaise a beau, encore aujourd’hui, être l’une des plus emblématiques de la diaspora juive (The Jazz Singer, Unorthodox, Marvelous Mrs Maisel, Snatch, Uncut Gems…), elle n’a pas vraiment offert ces archétypes d’action produits à la chaîne par Hollywood à ces adolescents en quête de modèles masculins puissants et assurés. Adolescents qu’ont sans doute été Kesselman et Goldberg.
Pour funky-ser sa communauté, Kesselman bâtit donc ce héros-qu’-il-n’-a-jamais-eu sur les codes d’une culture d’un quartier voisin, la blaxploitation. Particulièrement ici Sweet Sweetback’s Baadasssss Song de Melvin Van Peebles (1971) et Superfly de Gordon Parks Jr. (1972). Et quel vivier de « cool » que ce genre fondé sur l’affirmation de soi envers et contre tous. Des flics, criminels ou proxénètes (pimps) rendant coup pour coup à une société qui tente encore de dompter leur identité flamboyante : styles capillaires et vestimentaires audacieux, sex-appeal irrésistible, punchlines fracassantes, expertise rodée de tout type de violence… Un genre sans foi ni loi (ni budget), né des revendications afro-américaines de la fin des années 60, brisant volontairement les conventions d’un cinéma américain blanc bien-pensant. Une communauté brimée s’assumant avec style et panache. Tout l’inverse de l’isolement ou l’assimilationnisme discret et anxieux de l’entourage juif de Kesselman, qu’il ne cesse de moquer. On comprend donc l’admiration, ou le fantasme, qu’a pu développer le jeune réalisateur pour la blaxploitation, amour ou obsession que le réalisateur confirme ouvertement par un cameo de Melvin van Peebles, l’homme considéré comme à l’origine du genre, et en installant son fils Mario Van Peebles comme le leader des sauveurs de Kwanzaa et le meilleur ami/partenaire de son Marteau Hébraïque.
On comprendra que tout est fait pour unir les deux communautés, à commencer par leur offrir un adversaire commun, « The White Man ». Une approche à l’apparente bonne intention qui frise tout de même l’appropriation et la réduction de la communauté afro-américaine et de ses combats à une source de style, à un accessoire faire-valoir de son héros. N’oublions pas que le terme même de blaxploitation a été créée par la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People) pour dénoncer l’exploitation commerciale des premières gloires du genre par des réalisateurs et producteurs blancs, peu scrupuleux de l’image qu’ils donnaient des Noirs américains (voir Black Caesar de Larry Cohen, 1973, ou le 007 Live and Let Die de Guy Hamilton, 1976). Réduits à des héros de série B, ceux-ci se voyaient refuser une représentation plus sérieuse, plus intellectuelle ou tout simplement plus normalisée, comme celle que la communauté juive pouvait paraître avoir. Une différence de traitement qui n’aura pas aidé à freiner la montée de l’antisémitisme au sein de la communauté afro-américaine, tendance problématique déjà soulignée par James Baldwin en 1967 et encore d’actualité aujourd’hui, comme le dernier scandale Kanye West a pu le révéler. Bien que parodique, The Hebrew Hammer s’assume malgré tout comme héritier des deux cultures, désireux de sauver Kwanzaa autant que Hanouca, travaillant main dans la main avec la communauté afro-américaine et ses icônes contre le racisme blanc. Une tentative un brin maladroite d’unir deux communautés trop souvent montées l’une contre l’autre, par un humour certes un peu gras mais conscient et critique de son contexte.
C’est d’ailleurs peut-être grâce à cette lourdeur des vannes, à cette extravagance absurde et cette autodérision constante que le film peut se permettre d’aborder des sujets pouvant être considérés comme sensibles. Pour arriver à ce résultat, Kesselman ajoute assez naturellement à l’humour gaguesque américain (Peter Sellers, Jerry Lewis, Abrahams-Zucker…), ce fameux « humour juif ». Hérité d’Europe de l’Est, cet esprit est non seulement porté sur l’autodérision mais aussi sur un questionnement de la nature humaine (voir Woody Allen, Joan Rivers, Lenny Bruce ou plus récemment Sarah Silverman, Andy Sandberg, Ilana Glazer, Abbi Jacobson…). Un peu geignard, un peu sombre, souvent critique, encore plus souvent pertinent, c’est possiblement le type d’humour qui a le plus influencé la comédie américaine et l’a amené vers son format contemporain plus intellectuel, basé sur l’auto-critique, la réplique rapide et l’observation perspicace de faits de société sans profusion de mise en scène : le stand-up. Ainsi Jonathan Kesselman mêle avec The Hebrew Hammer deux types d’humour dans un cocktail pas encore finalisé, faute d’expérience ou de budget. Il pose cependant des bases pour deux autres jeunes comédiens/réalisateurs juifs des années 2000, dont la plupart des œuvres suivent cette recette, Adam Sandler et Sacha Baron Cohen. Sans parler d’inspiration directe, on retrouvera certainement des tendances communes à ces cinéastes. L’excellent You Don’t Mess With the Zohan de Sandler (2008) peut probablement être considéré comme une version plus aboutie de The Hebrew Hammer, offrant un héros plus moderne mais toujours parodique du judaïsme, soit un super-soldat israélien s’exilant à New York pour poursuivre son rêve de devenir coiffeur. L’ennemi commun blanc et capitaliste y sert encore à unifier les communautés rivales, mais Adam Sandler s’attaque cette fois-ci au conflit israélo-palestinien et représente un judaïsme décomplexé plus moderne moins dopé à la référence cinéphile. Un long-métrage avec plus de travail du réel, mais surtout un bien plus gros budget. Il est tout de même intéressant de voir que ces productions parviennent à dégager des idées et des émotions similaires, à 89 millions de dollars de différence.
Ainsi, si The Hebrew Hammer échoue à beaucoup de choses, il reste une tentative amusante de populariser une communauté aussi méconnue qu’elle est décriée. Relativement peu de films traitent des multiples identités juives modernes, encore moins ont pour personnage principal un homme (et encore moins une femme) se revendiquant de cette identité. Une absence qui laisse allégrement planer les théories antisémites d’un peuple secret, uniforme, dissimulant sa religion pour mieux infiltrer et contrôler le monde. Absence qui laisse aussi à quelques films à succès, souvent de grosses comédies parodiques, le soin de devenir l’image connue de la communauté, et ce jusqu’au gros succès suivant. On verrait probablement encore le judaïsme français par le biais des danses et des sombres costumes de Rabbi Jacob de Gérard Oury (1973), soit celui de la communauté juive orthodoxe ashkénaze, si celui de La Vérité Si je Mens, soit celui de la communauté juive traditionnaliste séfarade, n’avait pas pris le dessus dans les esprits. Le cinéma a ce pouvoir et cette malédiction de créer des héros populaires capables de bouleverser des a priori, mais aussi de remplacer un cliché par un autre. Ça vaut donc peut-être le coup de regarder ce petit miracle de Hanoucca typique des années 2000 (regardez-moi ce site de promo), ne serait-ce que pour ajouter une facette à la mythique figure du Juif new-yorkais, si ce n’est au judaïsme dans son ensemble. On vous souhaite donc un bon visionnage et comme le dirait Mordechai Jefferson Carver : « Shabbat shalom, motherfuckers ! »