[Entretien] Timothée Hochet & Lucas Pastor, Voyage en Malaisie


Récompensé par le prix des lecteurs Mad Movies il y a deux ans au PIFFF, l’OVNI cinématographique Stéphane, réalisé par Timothée Hochet et Lucas Pastor, nous a surpris et impressionnés lors de sa projection en novembre dernier au cinéma Le Méliès de Montreuil. Retour sur la conception de ce film fou en compagnie de ses deux créateurs issus du Youtube game.

L'acteur Bastien Garcia Installe sa caméra tout sourire, à quelques mètres d'un binôme, homme et femme, de commerciaux qui semblent l'attendre ; scène du film Stéphane.

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Voyage en malaisie

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Pouvez-vous nous parler de la genèse du personnage de Stéphane ?

Lucas : Ça a commencé dans un sketch de la chaîne Youtube Le monde à l’envers. J’étais maquillée avec une prothèse qui me faisait un visage étrange, et c’est ce maquillage qui nous a inspiré le personnage. Quand j’étais petit, j’étais fan des Austin Powers (Mike Myers, 1997). J’adorais le fait que Mike Myers joue différents personnages dans chaque film grâce aux maquillages. Ça me faisait rêver ! Donc ce maquillage de Stéphane c’était un peu comme un nouveau jouet. Après, je ne sais même pas comment on en est arrivés à l’idée du cascadeur. Je pense que c’était un désir de voir des explosions et d’avoir le droit de faire du feu comme des gamins !

Timothée : Disons qu’on a tout de suite senti un vrai potentiel avec ce personnage, car le maquillage donnait un aspect étrange au visage de Lucas. C’était fascinant parce que ça rendait ce personnage à la fois angoissant et sympathique. S’il était juste horrible, il n’y aurait pas eu d’ambiguïté. Mais il se trouve qu’il nous faisait beaucoup rire. On a tout de suite eu l’idée de l’utiliser dans un court-métrage, l’histoire d’un mec qui fait du stop en tournant un vlog et qui tombe sur Stéphane. On a pitché l’idée à Vanessa Brias et à Poulpe, nos producteurs, et ils nous ont tout de suite conseillé d’en faire un film.

Stéphane a-t-il été pensé comme un film d’horreur, une comédie, ou les deux ?

Timothée : Étrangement, c’était un film beaucoup plus axé horreur à la base. On voulait faire un court-métrage vraiment flippant. Puis au cours de l’écriture et du tournage, on s’est rendu compte que c’était quand même plus drôle que flippant ! Au final, on peut dire que c’est une comédie de malaise. Je préfère dire ça parce que, comédie horrifique, ça colle moins avec l’esprit du film.

Lucas : Oui, à la base on imaginait un personnage plus proche du monstre. On avait imaginé des scènes où il se comportait bizarrement en se tordant le visage quand le personnage de Tim ne le regardait pas. D’ailleurs on a beaucoup été inspiré par Creep (Patrick Brice, 2014), une comédie horrifique sur un mec qui suit un type à la fois gentil et bizarre avec une intrigue autour de la mythomanie. Qui est-il vraiment ? Quelles sont ses intentions ? Il y avait une incertitude dans ce film qui nous plaisait bien.

Timothée : Il se trouve qu’avec Lucas, on s’est découvert une passion commune pour l’horreur. Pas tellement des films gore ou qui jouent sur de gros jump scare, mais plutôt des films qui jouent sur la psychologie, sur des atmosphères malaisantes. Donc les deux Creep ont une influence certaine sur Stéphane.

Lucas : Et il y a aussi C’est arrivé près de chez vous (Rémy Belvaux, 1992). On n’y pensait pas du tout avant le tournage, mais c’est devenu assez évident par la suite. Tout comme l’émission Strip Tease qui est une bonne référence pour tenter de saisir un peu l’atmosphère de notre film.

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Stéphane est d’ailleurs tourné dans le style du found footage qui a été pas mal utilisé dans le genre horrifique, quelles sont vos motivations et vos inspirations derrière ce choix ?

Timothée : J’aime beaucoup le found footage. J’ai passé mon temps à regarder des films d’horreur en found footage quand j’étais jeune. Quand tu vois Le projet Blair Witch (Daniel Myrick et Eduardo Sánchez, 1999), tu as envie de refaire la même chose avec tes potes ! J’ai d’ailleurs fini par écrire Calls (Timothée Hochet, 2017), une série à mi-chemin entre l’horreur et le thriller pour Canal +. Sur Stéphane, on a essayé de respecter au maximum le dispositif de found footage qui est assez exigeant. Il y a le film que les personnages sont en train de tourner, le making of que fait Tim et puis la caméra que Stéphane achète au cours du film. On a également des petites GoPro que l’on aperçoit dans la sacoche de Tim au début du film. C’était un peu un casse-tête durant le tournage de savoir si chaque plan est justifié par les sources vidéo, mais en même temps, comme c’est une comédie qui se prend moins au sérieux, c’est plus facile de faire quelques entorses au dispositif.

Lucas : Et puis le concept méta du « film dans le film » aide beaucoup à faire accepter l’idée au spectateur.

Le found footage c’était pour une vraie envie ou plutôt une décision pragmatique par manque de budget ?

Timothée : C’était une vraie envie. Même avec plus de budget, on aurait fait le même film. On aurait juste fait plus d’explosions ! Il y a quelque chose dans le réalisme du found footage qui sert l’histoire et le personnage de Stéphane. Une fiction classique aurait été bien cringe je pense. Ici, la caméra est un personnage et vu que ça parle d’un réalisateur prétentieux qui fait du cinéma, ça colle plutôt bien.

Lucas : Pour moi, le choix du found footage immerge plus facilement le spectateur dans l’histoire qu’on voulait raconter. On s’en rend compte quand on voit les réactions du public lors des quelques projections qu’on a faites. Même si tu sais que tu regardes une fiction, le dispositif du found footage fait que ton cerveau oublie constamment que c’en est une.

Timothée : Après le found footage c’est à double tranchant. C’est hyper pratique parce que tu peux faire passer plein d’événements en hors champ, mais il y a aussi tout un tas de choses que tu ne peux pas filmer. Des scènes plus intimes par exemple qui ne justifient pas l’usage de la caméra. Ça marche bien avec le personnage de Tim qui se filme souvent parce que c’est un personnage autocentré qui a envie de raconter sa vie, mais si tu prends un personnage très timide, ça n’aurait aucun sens. Donc l’écriture est vraiment liée à ce mode de mise en scène en particulier.

Bastien Garcia se filme dans le miroir au dessus d'une étagère de livre, dans un beau salon avec des poutres au mur ; plan extrait du film Stéphane.

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Comment on travaille à deux à la réalisation d’un film ?

Timothée : Pour l’écriture on est dans la même pièce avec Lucas et on s’échange des idées de manière très directe et instinctive. Pour Stéphane, on a commencé par des idées de scènes qui nous faisaient rire et on a construit la structure du film autour. Lucas s’intéresse peut-être davantage à la tonalité comique et moi à la structure et au côté plus sérieux. Par la suite, il a fallu trouver un équilibre au film, entre moi qui voulait que ce soit parfois un peu trop glauque et Lucas qui voulait que ce soit un peu trop absurde !

Lucas : Pour le tournage on est parti avec un script de seulement quatre pages ! Tous les dialogues ont été improvisés avec Bastien Garcia qui joue le personnage de Tim. On se donnait seulement une vague structure de la scène mais il n’y avait aucune limite de temps. On pouvait jouer pendant trente minutes sans problème. C’était génial de travailler avec Bastien, car il a une grosse capacité d’improvisation et on a eu une connexion de fou ! On avait déjà fait un sketch ensemble dans une web-série qu’il a créé avec Célia Millat et qui s’appelle La vie douce. Il était également excellent dans la web-série Strange cookie, où il jouait un personnage très gênant, finalement plus proche de Stéphane que de Tim.

Timothée : Pendant le tournage, l’objectif était de mettre Lucas dans des conditions où il pouvait jouer jusqu’à quarante cinq minutes sans couper, afin qu’il puisse rester le plus longtemps possible dans le personnage. Moi j’étais principalement derrière le retour caméra et notre relation se jouait à la confiance parce qu’on n’allait pas regarder un rush de 45 min en plein tournage pour savoir si il est bon ! On avait une équipe assez légère, une quinzaine de personnes au maximum avec un minimum d’éclairage, ce qui nous permettait de tourner vite.

Lucas : Au montage j’avais aucun recul sur ma prestation et je faisais totalement confiance à Timothée. On a monté une première version de deux heures qui était incompréhensible et qui ne faisait rire que nous parce qu’on avait pas le recul nécessaire pour juger ce qu’on avait fait. On avait enchaîné toutes les scènes qu’on voulait tourner donc on était contents mais ça ne marchait pas ! Ce sont nos producteurs, Poulpe et Vanessa Brias qui nous ont aidé à trouver le bon ton, le juste équilibre entre angoisse et humour.

Un homme qui semble être un agriculteur pose dans une prairie au guidon de son étrange quatre roues, fait de produits de récupération, et qui dégage une grande flamme, dans le film Stéphane.

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Malgré le fait que le film ne soit pas sorti en salles, avez-vous eu des retours du public ?

Timothée : Honnêtement, on ne s’attendait pas à autant de retours positifs. C’est la projection du film au PIFFF il y a deux ans qui a eu un impact incroyable. Le festival a sélectionné Stéphane alors qu’il n’était pas fini. Il nous restait deux mois avant la projection et on devait changer énormément de choses, retourner des scènes, etc.. Quand notre productrice a envoyé le film, il y avait des passages entiers qui étaient remplacés par des cartons. Lors de cette projection, on s’est rendu compte que ça fonctionnait bien, que notre délire faisait rire d’autres personnes. On a même eu un prix des lecteurs de Mad Movies. A partir de là, c’était génial, car ça nous a permis de faire d’autres festivals. C’est d’autant plus agréable que c’est vraiment le film qu’on avait en tête. On avait aucune restriction, on s’est amusés et je pense que le public le sent. Mais on ne pensait même pas que le film allait sortir quelque part. On se disait que Poulpe et Vanessa étaient en train de produire une private joke ! Aujourd’hui, on est très content que le film soit visible sur la plate-forme de Canal+, parce que c’est très accessible. Il y a beaucoup de films de genre supers qui sont sur d’autres plateformes hélas beaucoup moins faciles d’accès donc c’est une chance. Et puis il y a eu beaucoup d’amour pour Stéphane sur les réseaux !

Lucas : Oui, d’autant que j’avais créé le compte Instagram du personnage de Stéphane Gerlin avant de faire le film pour faire comme s’il avait une vie. J’ai adoré faire ça !

Affiche du film Stéphane réalisé par Lucas Pastor et Timothée Hochet.Parlez-nous un peu de vos parcours qui sont intimement liés au développement des réseaux sociaux et toutes les possibilités créatives qu’ils ont permises ces dernières décennies ?

Lucas : J’ai commencé en rencontrant Jenny de la chaîne Le monde à l’envers alors qu’on était tous les deux à l’université. Elle m’a proposé de faire des vidéos et j’ai dit oui, car j’avais très envie de tester et j’ai adoré ça. Petit à petit, j’ai développé des idées de sketch dans mon coin. J’aime bien prendre des concepts de Youtube et les détourner pour en faire des trucs un peu malaisants, avec l’idée de piéger un peu le spectateur. Et c’est aussi grâce à la chaîne Le monde à l’envers que j’ai rencontré Timothée !

Timothée : Moi, j’ai commencé sur Youtube il y a 15 ans. Je faisais des podcasts de merde !

Lucas : T’étais pas si mauvais franchement, t’étais juste très mal habillé.

Timothée : J’avais un sponsor pour mes habits, mais il m’envoyait des trucs ignobles…

Timothée : En vérité, j’ai commencé à faire des courts-métrages sur Dailymotion. Ensuite, avec la vague Norman fait des vidéos et Cyprien je me suis mis à faire du vlog parce que je voulais être cool au lycée ! Ça fonctionnait très bien, mais au bout d’un an j’en ai eu marre et je suis revenu aux court-métrages, d’abords comiques puis de plus en plus sérieux. Tout a changé quand je suis arrivé à Paris. J’ai été embauché par Ludoc pour faire une figuration sur une vidéo de Studio Bagel (dans lequel vous avez aussi pu croiser Kemar, qu’on a eu le plaisir de rencontrer ndlr). Il m’avait même proposé un tout petit rôle parce qu’il avait vu ce que je faisais sur Youtube. J’ai enchaîné sur un stage d’assistant image pendant trois mois. J’avais plus de vie sociale, j’étais nul et les gens du studio voulaient me virer ! Mais j’ai fini par connaître un peu de monde et à proposer des petits scénarios qui ont plu.

Lucas : C’est marrant parce que moi, j’ai fait une demande de stage chez Studio Bagel et ils m’ont jamais répondu. Comme quoi les trajets de vie !

C’est quoi vos projets pour la suite ?

Timothée : On pense tous les deux à un nouveau projet. C’est un faux documentaire qui retrace la vie de star qui n’existe pas.. C’est une idée de Lucas qui est super parce que tu remontes dans le temps et tu peux faire plein de sketchs à costumes. Il y a de quoi s’amuser ! On a des choses à proposer qui n’ont pas encore été faites en France. Notre cinéma est différent. Il est un peu chelou certes, mais il plaît à un certain public alors pourquoi pas nous donner notre chance !

Propos de Timothée Hochet & Lucas Pastore
Recueillis et Retranscrits par Clément Levassort
Merci à Alan Chikhe du Méliès de Montreuil


A propos de Clément Levassort

Biberonné aux films du dimanche soir et aux avis pas toujours éclairés du télé 7 jours, Clément use de sa maîtrise universitaire pour défendre son goût immodéré du cinéma des 80’s. La légende raconte qu’il a fait rejouer "Titanic” dans la cour de récré durant toute son année de CE2 et qu’il regarde "JFK" au moins une fois par an dans l’espoir de résoudre l’enquête. Non content d’écrire sur le cinéma populaire, il en parle sur sa chaîne The Look of Pop à grand renfort d’extraits et d’analyses formelles. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riSjm

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