« Bring Your Daughter, Bring Your Daughter, To The Slaughter » ! Quelqu’un qui aurait été ado rebelle dans les années 90 aurait forcément hurlé ces paroles dans sa chambre ou sous la douche, s’imaginant sur scène avec Iron Maiden sous les acclamations de la foule. Peut-être même que ce citoyen aujourd’hui rangé et bedonnant se souviendrait-il du clip qu’il vit jadis sur MTV – contre l’avis de ses parents scandalisés – dans lequel de mystérieux extraits d’un film en noir et blanc entrecoupaient les gesticulations de Bruce Dickinson. Ce film, c’était City of The Dead (John Llewellyn Moxey, 1960), alias Horror Hotel proposé par Sidonis Calysta.
Satan l’habite
The City of the Dead, titré Horror Hotel (1960) aux États-Unis, est le premier long-métrage de John Moxey, basé sur une histoire de Milton Subotsky, qui fondera un peu plus tard avec Max Rosenberg la société de production Amicus – Moxey a ensuite essentiellement travaillé pour la télévision, dirigeant des épisodes de séries aussi prestigieuses que Le Saint, Chapeau melon et bottes de cuir, Magnum et Hawaï police d’état, pour n’en citer que quelques-unes… Nan Barlow (Venetia Stevenson) est une étudiante pas comme les autres. Elle s’intéresse de près à la sorcellerie sous le regard de son mentor Alan Driscoll (Christopher Lee), de son frère Richard (Dennis Lotis), très sceptique, et d’un petit ami, Tom, (Tom Maitland) qui ne l’est pas moins. Sur les conseils très orientés de son professeur, elle se rend (seule, évidemment, et de nuit) à Witchwood (n’y a-t-il pas plus courant pour un nom de village ?) pour recueillir des informations au sujet d’une sorcière nommée Elizabeth Selwyn (Patricia Jessel) qui aurait été brûlée vive en ces lieux trois siècles auparavant et aurait proféré une malédiction sur les habitants. Le jeune étudiante s’installe à l’hôtel Raven’s Inn (allons-y gaiement !) tenu par l’étrange Mme Newless qui ressemble à s’y méprendre à la païenne brûlée jadis. Nan s’est sans le savoir (un peu quand même, non ?) jetée dans la gueule du loup, où plutôt dans les griffes des disciples de Satan en mal de vierges à sacrifier.
En 1960, l’horreur gothique est en plein renouveau, essentiellement sous l’impulsion de la Hammer. La concurrence va bientôt s’organiser pour profiter du filon. C’est ainsi qu’une obscure société nommée Vulcan (une association entre divers producteurs dont les deux fondateurs de la future Amicus) fait appel à Christopher Lee pour incarner un vilain dans Horror Hotel (John Llewellyn Moxey, 1960). Le charismatique Anglais n’a pas encore la stature qu’il aura quelques années plus tard, mais il bénéficie déjà d’une certaine notoriété pour avoir incarné Dracula et une paire d’autres rôles saillants pour la Hammer. Il interprète ici un personnage important dans l’intrigue – un professeur d’université versé dans la sorcellerie – mais n’apparaît que ponctuellement, notamment au début et à la fin du film. Par ailleurs il n’y a pas à proprement parler de rôle principal [spoiler] puisqu’à l’instar de Psychose (Alfred Hitchcock), sorti la même année, l’héroïne à laquelle on s’était vite attaché malgré son côté improbable meurt au bout de quarante minutes. Plutôt qu’à une figure centrale, on a donc affaire à des personnages récurrents, dont certains, essentiellement féminins, sortent du lot : la sorcière/hôtelière, sa domestique et la libraire du village. Hormis Lee, les personnages masculins sont assez pâlots et ne servent finalement qu’à maintenir le quota de virilité et accessoirement rétablir l’ordre naturel des choses, ce qui est déjà pas mal.
Le budget est à l’évidence très serré (le choix du noir et blanc ne correspond sans doute pas seulement à une volonté de créer une certaine atmosphère), ce qui n’est pas nécessairement déplaisant et donne un petit côté Twilight Zone à certaines scènes. Tourné aux studios Shepperton en Angleterre, sans extérieurs donc, Horror Hotel se déroule principalement la nuit, entre brume, ombres et éclairages vacillants, des contrastes magnifiés par la photographie de Desmond Dickinson, déjà vieux routard expérimenté à l’époque – on le retrouve par exemple au générique du Hamlet de Laurence Olivier en 1948. Moxey quant à lui maîtrise à la perfection tous les codes du genre et ne se prive pas de marquer le trait de manière parfois très appuyée. Ainsi, il raffole des gros plans sur les archétypes de visages – la sorcière aux yeux exorbités, les « bonnes gens » comme ce paysan édenté, les hommes de justice à l’expression sadique, notamment lors de la scène d’ouverture où l’accusée est menée au bûcher. Les contrastes sont permanents entre les éléments qui symbolisent le Bien (l’innocente et blonde Nan, les lieux de la connaissance aux éclairages vifs : l’université, la librairie,…) et ceux qui représentent le Mal (la brume qu’on retrouve absolument partout sur les routes et à Whitewood, le vieux grimoire de sorcellerie poussiéreux, les vêtements sombres des disciples de Satan…), jusqu’aux toutes dernières minutes, pendant le final, où un Tom agonisant, figure christique se découpant en clair-obscur et brandissant une croix, offre par le feu la victoire aux forces du Bien. Le réalisateur n’oublie pas non plus de placer un autre élément incontournable du genre : l’héroïne qui se dévêt dans une scène totalement inutile et gratuite (mais indispensable), l’occasion d’admirer sa plastique et ses charmants dessous (bien peu pratiques lorsqu’on se rend pour ses études dans un bled paumé et louche). Horror Hotel possède enfin une autre caractéristique marquante, sa musique. Douglas Gamley, qui composera d’autres bandes originales pour Amicus, propose une partition classique gorgée de timbales, de flûtes et de chœurs moyenâgeux vaguement inquiétants, en alternance avec quelques touches de jazz que l’on doit à Ken Jones. Ce va-et-vient plutôt inhabituel entre parties solennelles et plus modernes contribue encore d’une autre manière à l’identité propre du long-métrage.
La copie restaurée en haute définition est d’une propreté et d’une netteté parfaites, mettant en valeur les forts contrastes de la photographie. Un livret de 24 pages de l’habitué Marc Toullec accompagne la version « mediabook » qui contient le DVD et le Blu-Ray. Un entretien télévisé d’époque avec Christopher Lee, sur le sujet de la sorcellerie, tient lieu de supplément. Le Britannique donne très sérieusement à son interlocuteur l’air d’y croire dur comme fer, tout en cabotinant tout de même un petit peu, comme il savait si bien le faire dans cet exercice. Horror Hotel constitue ainsi un très agréable divertissement, en version française ou anglaise sous-titrée, suffisamment court (78 minutes) pour qu’il n’y ait pas de temps mort. Une pierre de plus ajoutée à l’édifice déjà imposant des rééditions de qualité de l’horreur classique du catalogue de Sidonis Calysta. Attention toutefois, l’édition est annoncée limitée.