Dahmer (Mini-Série)


On en parle partout, et pour cause, la mini-série Dahmer consacrée à l’un des tueurs en série les plus tristement célèbre des Etats-unis (et du monde) est désormais le programme le plus regardé de la plateforme Netflix depuis son lancement. Un constat qui pourrait nous orienter vers un biais d’analyse particulier, quant à la fascination morbide qui nous pousse à s’envenimer les yeux et l’esprit de ces récits d’horreur tirés de faits-réels. Mais fort heureusement, il n’y a pas que cela dans cette mini-série qui, dans sa seconde partie, pousse son sujet jusqu’à une décomposition méta, en s’intéressant finalement moins à disséquer la psychologie et le mode opératoire des actes de Dahmer que l’incapacité d’un système social et politique à les éviter.

© Netflix

American Horror Story

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On en a déjà longuement parlé ici dans un article dédié – lire notre analyse Comment Netflix maquille le crime la plateforme qui sort aujourd’hui cette mini-série consacrée à Jeffrey Dahmer est une habituée des dissections de criminels. Plus encore, elle en a fait pour partie son fond de commerce, tant les True Crimes Documentaries sont devenus parmi les programmes les plus appâtants que propose le géant du streaming. Il est ainsi tentant d’utiliser le succès populaire de cette série consacrée à Jeffrey Dahmer pour relancer les débats qui accompagnent depuis des années tout ce qui touche à la médiatisation et la romantisation des crimes les plus sordides, ainsi que l’exploration psychologique des profils qui les commettent. Certains défendront un regard quasi-enthropologique ; moins une fascination morbide donc qu’un attrait philosophique et scientifique à tenter de comprendre l’incompréhensible. Pourtant, il suffit d’écouter attentivement nos entourages pour constater que c’est avant toute chose le bouche-à-oreille quant à la promesse de frisson et d’horreur glauque qui a incité bon nombre d’entre eux à pousser la porte de cette mini-série. Les trois à quatre premiers épisodes sont d’ailleurs des produits d’appel pour fan de films d’horreur ou de thrillers criminels. Celui qui inaugure, sobrement intitulé Pilote (Pilot, S01E01) est en effet une sorte de capsule à lui seul, centré sur la dernière tentative de meurtre de Dahmer qui se soldera par un échec – sa victime s’échappe – et par son arrestation. Dans cet épisode, Jeffrey Dahmer est en quelque sorte au paroxysme des horreurs qui l’habitent, son mode opératoire est désormais huilé, sa façon d’œuvrer clinique. Cette froideur d’exécution, la méticulosité avec laquelle il referme sur sa victime son étau meurtrier est palpable du début à la fin de cet épisode à la mise en scène aussi inspirée qu’éthérée. Les débuts de la série l’orientent ainsi très clairement vers le genre du slasher, tirant son inspiration des plus âpres portraits de serial-killer mâtinés d’horreur crasse tels que Henry Portrait d’un Serial Killer (John McNaughton, 1986), Maniac (William Lustig, 1980) ou Schizophrenia (Gerald Kragl, 1983) sans jamais véritablement aller aussi loin. Il n’est par ailleurs pas si étonnant que le cinéma et les films d’horreur trouvent une place de choix dans le cœur du récit et du dispositif assassin, Dahmer utilisant à cette époque les VHS de films d’horreur – en particulier L’Exorciste III (William Peter Blatty, 1990) – comme partie intégrante de son mode opératoire. Ryan Murphy et les deux cinéastes au travail sur ces trois premiers épisodes – Carl Franklin et Clement Virgo – nous offrent dans un premier temps ce que l’on est venu voir : l’horreur pure. La monstruosité à l’œuvre comme le promet le sous-titre pompeux de la série.

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Pourtant, ces épisodes inauguraux portent bel et bien en eux l’ADN de leur géniteur, le brillant Ryan Murphy. Ce showrunner parmi les plus en vogue depuis vingt ans est réputé pour avoir, tout au long de sa carrière – et surtout avec l’une de ses premières série à succès, Nip/Tuck (2003-2010) – œuvré à déplacer les barrières de ce qui était convenable de représenter à la télévision américaine, des limites qu’il continua d’explorer avec sa série à succès American Horror Story (2011 – en production) et son dérivé American Crime Story (2016 – en production). Pourtant, sous ses atours de provocateur prenant un malin plaisir à la mise en scène de ce qu’on appelle parfois maladroitement du trash, Murphy impose avec son œuvre une forme de documentation pointilleuse des dérives et traumatismes de la société américaine moderne. Et c’est certainement en cela que Dahmer est marquée de son fer, tant il accole très vite à ses promesses d’horreur une analyse fine des multiples phénomènes de société qui entourent ce cas extraordinaire de l’histoire criminelle américaine. C’est au contact de trois nouveaux cinéastes – Jennifer Lynch, Gregg Araki et Paris Barclay – que la série va progressivement prendre le virage de s’éloigner du sordide pour s’irriguer d’un autre genre de dissection, une exploration de la psychologie du criminel d’abord – bien aidé par l’incarnation glaçante et inspirée de Evan Peters, brillant de bout en bout de la série tant il parvient de façon assez miraculeuse à basculer d’une facette à une autre de la personnalité troublante de Dahmer – et de l’environnement familial et social dans lequel il a grandi – rien de nouveau sous le soleil de Satan de ce côté là, d’autres l’ont déjà fait avant comme dans My Friend Dahmer (Marc Meyers, 2018) notamment – puis progressivement s’intéresser plus en détails à ses victimes – on pense surtout à l’épisode Passé sous Silence (Silenced, S01E06) qui marque un véritable virage narratif dans la série en s’intéressant en profondeur à Tony Hughes, l’une des victimes de Dahmer, jeune garçon noir sourd et muet et aspirant mannequin, qui va tomber dans le piège que lui tend le criminel. L’épisode est une plongée quasi-documentaire dans la vie de ce jeune homme et dans le milieu gay des quartiers populaires de Milwaukee, où Dahmer a commis la majorité de ses 17 assassinats. Les épisodes qui suivront continueront d’explorer à la fois les conséquences des actes de Dahmer, mettant en lumière à quel point les horreurs qu’il a commises n’ont pas irrigué seulement les familles des victimes, mais aussi des victimes indirectes telles que sa voisine de pallier et ses propres parents. Les deux épisodes qui leur sont pleinement consacrés – Cassandra (S01E07) et Lionel (S01EO8) – étonnent par leur capacité à faire ressentir la terreur, le désœuvrement, l’insondable chagrin, de ces deux personnages qui ont chacun à leur façon tenter d’empêcher Jeffrey Dahmer de commettre ses méfaits mais qui se sentent coupables de ne pas y être parvenus. A cette exploration intime, le récit adjoint une analyse sociale assez fine, qui rappelle la justesse d’analyse sociologique de séries comme The Wire (David Simon, 2002-2008). La majorité des victimes de Dahmer furent issues de minorités – ethniques et sexuelles, souvent les deux – et ces crimes furent commis dans un immeuble insalubre d’un quartier laissé totalement à l’abandon par les services sociaux et la police. Le laxisme d’une police blanche, qui ne daigne se déplacer pour des « problèmes de noirs ou de gays » et ne prend donc pas au sérieux les nombreux signalements des voisins quant aux bruits et aux odeurs qui émanaient de l’appartement de Dahmer, aurait ainsi largement contribué à ce que le bilan humain s’alourdisse.

Les deux derniers épisodes continuent cette exploration, et la série sa lente mutation. Du film d’horreur racoleur à la chronique intime et sociale, Dahmer se termine en une sorte de drame misérable, particulièrement méta, en cela que Murphy s’intéresse en profondeur à la façon dont Dahmer et ses méfaits sont devenus une sorte d’objet de fascination pop-culturelle. On s’appesantit alors sur son procès sur-médiatisé puis à nouveau sur Lionel, le père de celui qui est désormais appelé « Le Cannibale de Miwaulkee » et qui entend soigner sa culpabilité en creusant l’historique de son meurtrier de fils dans un livre autobiographique que lui reprocheront les familles des victimes. Dahmer quant à lui, désormais condamné à plus de 900 ans de prison cumulés, jubile de son statut de rock-star et des nombreuses lettres de fans qu’il reçoit en prison, allant même jusqu’à monnayer réponses par lettres et autographes. Ces deux épisodes de conclusion fascinent en ce qu’ils dissèquent à quel point il ne s’agit pas seulement de faire le deuil des victimes, mais d’exorciser la société entière de Dahmer lui-même. L’immeuble est démoli par la municipalité, ses affaires personnelles enfouies sous terre, comme s’il fallait purger le Milwaukee d’une véritable malédiction. On pense beaucoup au mythe cinématographique du Michael Myers de la série Halloween (John Carpenter, 1978) quand Dahmer, alors déjà arrêté et emprisonné, apparaît à Cassandra tel un spectre hantant l’immeuble sur le point d’être détruit, et ce n’est certainement pas innocent que cet épisode 8 se nomme The Bogeyman. Pourtant, à sa façon, la série contribue fatalement à réveiller les vieux démons, et s’il est difficile de nier qu’elle rend un hommage appuyé et relativement honorable aux victimes et au combat de leurs proches, on ne peut pas s’opposer à l’idée défendue publiquement par certains d’entre eux que Netflix fait commerce de leurs traumatismes et de la mémoire de leurs enfant et/ou frères assassinés et contribue à l’iconisation de Dahmer. C’est ce qui pose toujours question au sortir de tels récits tirés de faits réels aussi sordides : pourquoi les regardons-nous ? C’était déjà la conclusion jugée cynique d’un des true crime documentaries les plus célèbres de la plateforme, Don’t Fuck With Cats – sur le tueur Lucca Rocco Magnota, qui par ailleurs s’était inspiré pour partie de Dahmer – dans ce dernier, l’une des protagonistes de l’intrigue qui avait sonné l’alerte aux autorités sur la dangerosité de cet individu – là encore, cela nous rappelle Cassandra, la voisine de Dahmer… – s’adressait face caméra, à nous, spectateurs, en nous questionnant quant à notre possible complicité de voyeur. L’intelligence de Ryan Murphy néanmoins est de déplacer le spectateur de son simple positionnement voyeuriste initial pour l’amener progressivement à s’intéresser moins à l’assassin qu’à ses victimes. La série à sa façon, rappelle enfin que ces crimes extraordinaires – au sens qu’ils sortent totalement de l’ordinaire et du crime commun, il faut rappeler que Dahmer compile à lui seul meurtre, viol, expérimentation sur corps humain, démembrage, nécrophilie et cannibalisme… – appartiennent fatalement à l’Histoire, la grande, et que plus que les victimes directes ou indirectes, c’est l’Humanité toute entière qui a besoin de les comprendre et de s’en purger.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY

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