Balayé du box-office dès sa sortie en avril dernier, Donjons & Dragons : l’honneur des voleurs (Jonathan Goldstein & John Francis Daley, 2023) aurait certainement mérité un meilleur sort. Véritable concentré d’humour et d’aventures comme Hollywood ne sait plus en faire, cette énième adaptation du célèbre jeu de rôle sur table est surtout l’une des rares franchises dérivatives à avoir réussi sa greffe cinématographique. Explications.
Pour l’amour du jeu (de rôle) !
Donjons et dragons : l’honneur des voleurs s’ouvre sur une séquence d’évasion réjouissante ! On y découvre Edgin (Chris Pine), notre héros bavard, s’empêtrer dans un flash-back entrecoupé par les remarques agacées d’un juge, suivi d’une improbable fuite à dos d’hommes oiseaux qui me tire encore les zygomatiques à l’heure où j’écris ces lignes. Avec cette introduction, la note d’intention de Goldstein et Daley est claire : ce Donjons et Dragons sera ludique ou ne sera pas ! Exit les auto-références réservées à la secte des visionneurs de scènes post-génériques. Exit aussi les puzzles nolaniens qui laissent la moitié du public sur le carreau. Avec les réalisateurs de l’excellent Game Night (2018), nous sommes tous invités à la table (de jeu). Et la partie consistera à détourner les poncifs hollywoodiens et à faire déferler sur le film une imagination comique débordante que n’auraient certainement pas reniée les Monty Pythons.
Bien sûr, comme tous les récits d’heroic fantasy, il sera question de récupérer un artefact magique détenu par des forces obscures, ici une pierre qui pourrait redonner vie à la femme du héros. Mais les scénarios de jeux de rôles ne sont-ils pas avant tout des trames génériques que les joueurs sont priés d’investir de leurs imaginaires ? La qualité principale du long-métrage réside donc avant tout dans sa capacité à faire naître sous nos yeux cette improbable équipe de freaks et à les faire interagir à la fois comme des personnages de cinéma, et comme des rôlistes. Ménestrel, magicien, druide ou paladin sont particulièrement attachants, car caractérisés dans l’action via des séquences collaboratives qui parviennent à retrouver le sel des parties de jeux de rôles. Une réflexivité qui pourrait nous mettre à distance, mais qui au contraire, paradoxalement, nous connecte ici aux personnages et nous intègre dans l’équipe.
Ce que le cinéma a donc mis des années à faire avec le jeu vidéo, Donjons et dragons : l’honneur des voleurs le réussit d’emblée : retranscrire la substantifique moelle du médium original tout en l’intégrant à un récit et des codes cinématographiques. Le film de casse connu du grand public devient ici le sous-genre parfait pour cette aventure collaborative où les compétences de chacun seront utilisées dans des situations précises. La trilogie du Seigneur des anneaux (Peter Jackson, 2001) fera quant à elle figure de matrice formelle, garante d’un spectacle épique. On pense notamment à ces travellings sur des paysages majestueux, traversés de gauche à droite par notre héros sur fond de scores puissants. Tel un équilibriste, le film parvient à faire souffler le vent de l’aventure tout en maintenant une tonalité comique rafraîchissante et jamais aussi bien caractérisée que dans la séquence du gros dragon, morceau de bravoure façon Le Hobbit (Peter Jackson, 2011) aussi burlesque que démesuré.
Howard Hawks aimait dire qu’un bon film c’est « trois bonnes scènes et aucune mauvaise ». Ajoutons alors à celles déjà citées la superbe séquence de métamorphoses en plan-séquence, ainsi que celle, déjà culte, du cimetière qui joue elle aussi sur une utilisation ludique du flashback, et le compte est plus que bon ! Et si on peut pinailler sur l’allure volontairement kitch de la direction artistique, on appréciera l’approche artisanale de certains effets spéciaux pratiques – l’homme oiseau, le bébé chat sauvé des mâchoires du poisson – censée nous remémorer l’inquiétante matérialité des monstres des années 1980 de L’histoire sans fin (Wolfgang Peter, 1984) ou de Legend (Ridley Scott, 1985). Il faut également dire un mot sur la performance de Chris Pine, placé ici dans un rôle idéal d’anti-héros à la ramasse façon Jack Burton dans les griffes du mandarin(John Carpenter, 1986). Acteur dramatique à la belle gueule mais doté d’un timing comique indéniable, Pine incarne cette hybridité du film, capable de ne pas se prendre trop au sérieux sans pour autant tomber dans la parodie. Une tonalité qu’il tenait déjà bien dans Star Strek (J.J Abrams, 2009) et Wonder Woman, (Patty Jenkins, 2017). Quand on sait que Dwayne Johnson était un temps rattaché au projet, ça rassure !
Toutes les conditions étaient donc réunies pour un succès et le lancement d’une franchise fructueuse pour la Paramount. Alors what went wrong comme le disent les Américains ? Citons quelques pistes, à commencer par une affiche hideuse qui laissait présager le pire, suivie d’une campagne marketing qui ne surfait pas franchement sur la renommée du jeu de rôles. Et pour cause, le fandom de la licence a boycotté le long-métrage pour protester contre les modifications de licences du jeu de plateau annoncés par Hasbro et la compagnie Wizard of the coast. Enfin le raz-de-marée Super Marios Bros, le film (Aaron Horvath & Michael Jelenic , 2023) plus gros succès mondial de l’année, sorti quelques semaines plus tôt a sans doute porté un coup fatal au film. Dommage, car les critiques furent globalement positives, si bien que l’on souhaite à ce Donjons et Dragons : l’honneur des voleurs une seconde vie sur les plateformes de streaming et, pourquoi pas, une trajectoire de film culte, si tant est qu’une telle chose existe encore de nos jours !