Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin


Après sa restauration cinéma dans une belle copie, Les Aventures de Jack Burton dans les Griffes du Mandarin aussi connu sous son titre original Big Trouble in Little China s’offre enfin une édition Blu-Ray digne de son nom chez l’Atelier dImage, ce qui n’est vraiment pas du luxe pour un objet à la beauté délirante et stupéfiante, trop rarement célébrée. Avec la ressortie en salles dans des copies 4K de certains de ses chefs-d’œuvres, John Carpenter se trouve de nouveau, et visiblement pour de bon, sur le devant de la scène, ce qui n’est pas pour nous déplaire.

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Pulp et mélancolie

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Big Trouble in Little China (John Carpenter, 1986) n’est probablement pas la réalisation la plus connue de la carrière de John Carpenter, même si celle-ci s’est créée au fil du temps une réputation de film culte. C’est la réputation qui lui va le mieux, tant tout y respire le culte : la dégaine impayable de Kurt Russel, les scènes de combat dantesques et hilarantes à la mise en scène et au découpage parfaits, les intrigues et les personnages magiques et foisonnants, les effets spéciaux déments d’inventivité, la démesure du récit, les costumes, les décors, etc… Pourtant, le film fut un échec saisissant à sa sortie et subit le destin de beaucoup de productions américaines ayant pour point commun d’être en avance sur leur temps : il fut accusé de racisme. En fait, les racistes c’étaient bien ceux qui taxaient le projet de l’être et leur bêtise n’avait d’égale que leur ignorance crasse. Car Jack Burton est avant tout un vibrant et joyeux hommage à toute la culture des films de kung-fu que Carpenter adorait et voulait importer dans le cinéma hollywoodien. Aujourd’hui, force est de constater que l’intuition était géniale tant cette culture a imprégné les blockbusters américains qui suivront, avec plus ou moins de qualité et de fidélité. Mais Carpenter l’a fait sans doute trop tôt pour un public et une critique outre-Atlantique encore bien trop prudes pour une telle folie. Personne n’était prêt, et finalement, peut-être que personne ne l’est encore.

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Dans l’interview qu’il donne dans les bonus du Blu-Ray, Carpenter explique qu’il venait de se racheter une place auprès des studios en ayant réalisé l’extraordinaire Starman (1984), après l’échec cuisant de The Thing (1982) (rappelons-le, considéré presque unanimement comme un « navet » à sa sortie selon les mots de son auteur) ce qui lui permit d’avoir une carte blanche presque totale pour la réalisation de ce nouvel opus. Cette liberté de ton transparait à chaque plan du long-métrage, et les studios furent bien étonnés quand ils découvrirent que ce Jack Burton était loin d’être le Indiana Jones version Carpenter qu’ils croyaient lui avoir commandé. On imagine mal le personnage interprété par Harrison Ford être aussi maltraité que celui incarné par Kurt Russel. En effet on peut difficilement imaginer comment Burton, qui est une caricature de mâle dominant blanc et ricain, pourrait être moins épargné que ça. Cogné dans tous les sens, souvent éjecté en premier des scènes d’actions – notamment de manière éclatante dans la grande scène d’action finale où il assommé par un bout de plafond avant même que la bagarre ait commencé – Kurt Russel incarne un héros solitaire mais à l’opposée de la solitude héroïque du héros classique américain. C’est une solitude pathétique, où le personnage se trouve le plus souvent à parler tout seul dans son camion et à sentir l’alcool au petit matin. Même lorsqu’il arrive à séduire la femme qu’il convoite, interprétée par Kim Cattrall, sa fierté grotesque lui impose de la quitter sans un baiser d’adieu pour repartir dans sa solitude motorisée et alcoolisée.

La charge sadique que fait subir l’auteur à son personnage est évidemment politique – et n’est pas sans annoncer déjà d’une certaine manière les souffrances que subira le mythe Max beaucoup plus tard dans son « grand » retour dans la première partie de Mad Max : Fury Road (George Miller, 2015) – elle est aussi la marque de la tristesse souterraine d’un film qui derrière son imaginaire foisonnant et sa joie apparente n’est pas dénué d’amertume.. Le final que nous venons de citer qui voit Burton repartir dans sa solitude pathétique et tout sauf fordienne et éclatante – la dernière pirouette, très drôle, indiquant même qu’il pourrait bientôt mourir dévoré par l’un des monstres les plus fameux du film – est une des marques les plus frappantes de la mélancolie de Big Trouble in Little China. La mélancolie parsème discrètement le récit, mais est aussi évidemment tout autour. Son accueil désastreux, sa renommée encore trop discrète (même si cela change enfin), les accusations fallacieuses qui se sont abattus sur lui participent d’une paradoxale tristesse qui s’empare du souvenir du long-métrage, pourtant le plus pulp, foutraque et joyeux qui soit.

Nous passerons là pour des radoteurs, mais ce n’est pas grave. C’est aussi que ce cinéma a presque totalement disparu. Ce cinéma qui utilisait les atours du spectacle le plus grand public, joyeux, inventif, pour mettre en place des charges politiques ou des hommages à des cultures encore méconnues, ce cinéma qui redoublait de créativité et ne prenait jamais son spectateur pour un idiot. Quand on voit les effets spéciaux de Jack Burton, il y a de la joie, beaucoup de rire et de regards écarquillés. Il y aussi de la tristesse, car on se dit que ces effets là nous manquent terriblement aujourd’hui. Vous vous dîtes sûrement « mais quel réac ce chroniqueur… »Sur le blockbuster, je suis sans doute un peu réactionnaire certes, mais rien qu’un peu car il y a matière aujourd’hui à se réjouir du retour sur le devant de la scène de Big John pour des raisons plus uniquement musicales mais aussi cinématographiques. En effet, il faut souligner le travail remarquable des éditeurs, des distributeurs de films du patrimoine, qui font ressortir tous les chefs-d’œuvre de cette carrière absolument sans faute (oui oui, pas un mauvais film de Carpenter à se mettre sous la dent). On peut toujours jouer les rabat-joie en disant que c’est un peu tard, et peut-être chez certains un poil opportuniste, mais ce serait vraiment dommage car on ne peut que se réjouir de revoir toutes ces réalisations superbes dans des masters d’aussi bonne qualité. Cette édition signée l’Atelier d’Image ne déroge pas à la règle grâce à la qualité indéniable de sa copie et à ses nombreux bonus de qualité. Tous les entretiens se montrent assez passionnants et permettent de prolonger l’immersion dans ce qui est à la fois un délire pop, pulp et joyeux mais aussi tout simplement un vrai beau film. N’hésitez plus, foncez (de nouveau) à Little China !


A propos de Pierre-Jean Delvolvé

Scénariste et réalisateur diplômé de la Femis, Pierre-Jean aime autant parler de Jacques Demy que de "2001 l'odyssée de l'espace", d'Eric Rohmer que de "Showgirls" et par-dessus tout faire des rapprochements improbables entre "La Maman et la Putain" et "Mad Max". Par exemple. En plus de développer ses propres films, il trouve ici l'occasion de faire ce genre d'assemblages entre les différents pôles de sa cinéphile un peu hirsute. Ses spécialités variées oscillent entre Paul Verhoeven, John Carpenter, Tobe Hooper et George Miller. Il est aussi le plus sentimental de nos rédacteurs. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riNSm

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