Alice sweet Alice


Psychothriller multi-référentiel, Alice sweet Alice (Alfred Sole, 1976) est un des slashers (si tant est qu’il en soit vraiment un) les plus intrigants qui soient donnés de voir : critique du film proposé en digipack Blu-Ray /DVD/livret chez Rimini Editions.

Plan rapprroché-épaule sur ce qui semble être une enfant, portant un masque de femme très maquillée et un ciret jaune ; issu du film Alice sweet Alice.

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Suivre le lapin blanc

La jeune Paula E. Sheppard à l'église tend la langue d'une manière ostentatoire, avec un peu de dégoût, les yeux fermés, pour recevoir l'ostie dans le film Alice sweet Alice.

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Penser le genre, ce n’est peut-être une histoire de digestion. Le rapport d’un film avec son genre pourrait se définir comme la manière dont une œuvre se saisit des codes pré-établis et les digère pour nous les transmettre, à nous, spectateurs – arrêtons-là le fil métaphorique avant de tomber dans de l’excrémentiel. Comme la digestion, ces codes sont parfois inconscients tout en étant bien fonctionnels, d’autres fois (la plupart du temps) plus palpables. Bien faire la recette, montrer que la digestion est faite sans ambages mais avec respect, sans autre ambition, ce serait faire satiété. Trop de codes, sans audace, pourrait virer au fade, ce n’est même pas la peine de le digérer, ça passe automatique est sans intérêt, la faim persiste. Puis il y aurait ceux qui digèrent peu, ou qui ne souhaitent plus tout à fait gober tel quel, et vont ainsi digérer les codes de sorte à ce que nous les mangions désormais autrement. On peut avoir là des films brillants ou bel et bien indigestes… Enfin digérer, du point de vue l’artiste, ce pourrait aussi être la capacité à assimiler des codes d’une manière compréhensive, créative, et fertile. La digestion y est ici saisie dans ce qu’elle inclut, finalement, de transmission d’un ou plusieurs cinéastes ceux qui ont bâti les codes, envers ceux qui leur succèdent. Et il y a des transmissions qui perturbent durablement la digestion des générations de cinéastes qui s’y confrontent : c’est là l’œuvre traumatique, le travail qui marque tellement certains artistes qu’ils semblent y rester bloqués, ne cesser d’y revenir plus ou moins consciemment. La première partie de la carrière de Brian de Palma est, pour piquer l’analyse de Luc Lagier dans son excellent ouvrage Les mille yeux de Brian de Palma, façonnée par l’image traumatique hitchcockienne, avec laquelle le cinéaste tisse un rapport aussi névrotique que personnel, en bout de course. Il n’est pas le seul, tant sir Alfred est une figure tutélaire littéralement inventrice de tout un pan du cinéma de genre, du thriller, en allant au slasher, considéré descendre du matriciel Psychose (1960). Le réalisateur d’Alice sweet Alice (1976) distribué par Rimini Editions, Alfred Sole, semblait aussi se ranger dans le clan des admirateurs : Communion sanglante, comme on peut trouver le film en VF selon le titrage est en effet un long-métrage aux qualités réelles, mais à la qualité de digestion, hitchcockienne ou autre, relative.

Karen et sa sœur benjamine Alice (12 ans) vivent seules avec leur mère au début des années 1960. Leur relation est conflictuelle, Alice ne cessant de jouer des tours à son aînée par jalousie, notamment la poursuivant vêtue d’un ciré jaune et d’un masque angoissant de femme trop maquillée. Ce ne pourrait être « qu’un » jeu d’enfant un peu malsain jusqu’à l’assassinat cruel de Karen dans les locaux même de l’église locale lors de sa cérémonie de première communion. ​Les soupçons se portent naturellement sur Alice dont le comportement est passé au crible par tout le monde, du psychiatre au Père de la paroisse, tous de plus en plus d’accord tandis que les assassinats et accidents se poursuivent. Mais pour le spectateur un doute évidemment persiste… Et trouvera une résolution très peu convaincante, au seul mérite d’aller dans le sens du message du long-métrage : une critique outrée du bigotisme. De la foi spectaculaire des fidèles à leur hypocrisie en passant par l’omniprésence écœurante des objets de culte, Alfredo Sole bombarde son message anti-catholique avec virulence, ce qui à vrai dire nous paraît plutôt vieillot. On n’ajoutera pas qu’il s’agira là d’une vieille dette que Sole voulut régler auprès d’une institution catholique qui lui a mis des bâtons dans les roues quelques années plus tôt pour un premier long-métrage jugé pornographique et privé de sortie…

Ce qui nous intéresse davantage, c’est l’impression de malaise tenace créée par une mise en scène très élaborée, ne laissant que rarement le spectateur dans une posture neutre. Longues focales isolant les protagonistes lors de scènes pourtant en espace réduit, grands angles inquiétants sur des visages face caméra, perspectives étonnantes ou objets fréquemment au premier plan comme pour perturber la visibilité, concourent à une réalisation particulièrement inspirée avec un sens aigu de l’espace et de la façon dont il peut devenir anxiogène et paranoïaque. Alice sweet Alice est certainement un des slashers les plus formellement intrigants du genre au service de deux thèmes plus forts selon nous : la dissolution de la cellule familiale et le traitement des enfants hors-normes, en particulier atteints de troubles psychiques dans nos sociétés contemporaines. Alice sweet Alice est bel et bien un film sur l’enfermement… Tout comme il paraît peut-être lui aussi « enfermé » dans ses références malgré sa créativité : il est en effet difficile de savoir si le long-métrage est un pionnier du slasher aux cotés d’un Black Christmas (Bob Clark, 1974), ou un simple ouvrage au carrefour de plusieurs influences dans l’air du temps. Alfred Sole dit s’être lancé dans l’écriture du film après avoir vu Ne vous retournez pas (Nicolas Roeg, 1974) – il piquera l’idée du ciré, non pas rouge cette fois mais jaune, et du tueur à la petite taille – et avoue son opportunisme d’écrire un thriller psychologique qui avait le vent en poupe à l’époque, on est en effet en plein essor du giallo notamment, outre-Atlantique. C’estBlu-Ray du film Alice sweet Alice proposé par Rimini Editions. aussi la mode des productions avec des enfants tueurs ou maléfiques dans la foulée de L’exorciste (William Friedkin, 1974) et comme l’attesteront par la suite La malédiction (Richard Donnner, 1976) ou le chef-d’œuvre Les révoltés de l’an 2000 (Narciso Ibanez Serrador, 1976). Quant au système des mises à mort successives qui feront le genre du slasher, Black Christmas sus-cité est déjà passé par là… Enfin c’est surtout l’héritage hitchcockien qui semble encombrer Alfred Sole empruntant tant à Psychose au détour de deux séquences qu’il est légitime de se poser la question de l’hommage, ou, une dernière fois, d’une copie un peu grossière, référence en effet non-digerée et, ainsi, mal transmise.

Il s’agit donc de visionner avec intérêt cette grande curiosité du slasher pour vous faire votre avis sur cette question : précurseur ou opportuniste ? Une interrogation à laquelle vous pourrez répondre sérieusement avec le coffret en édition limitée digipack de Rimini Editions proposant une restauration HD parfaite pour savourer le travail de Sole, le film en Blu-Ray, en DVD, un livret rédigé par Marc Toullec et une présentation par le journaliste cinéma Gilles Cressard.


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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