Si vous aimez Tenessee Williams mais aussi les westerns, peut-être bien que notre critique du Bandit (Edgar G.Ullmer, 1955), à l’occasion de sa réédition en DVD chez Sidonis Calysta, peut vous intéresser.
Un western nommé Bandit
Si le western était une personne, dans les années 50 il serait quarantenaire. L’âge réel – le premier western considéré semble être le Vol du grand rapide d’Edwin Stanton Porter & Wallace McCutcheon tourné en 1903 avec son célèbre tir de revolver face caméra – épouse ici l’idée que l’on peut se faire. Quarante ans, c’est l’âge d’homme, de femme, celui d’une maturité déjà éprouvée, qui n’a pas encore tout appris, qui est loin encore de décrépir, mais qui a déjà assez de coffre. Ainsi durant les fifties, le western opère (toute fin des années 40 et tout début des dix ans qui suivent) puis digère une révolution. Le genre ne s’intéresse plus tant à la force collective, aux mythes fondateurs pour ce qu’ils ont de fédérateur et glorieux comme ont pu le représenter les premières décennies du genre, responsables pour encore beaucoup de cinéphiles d’un désamour tenace pour le western. Un tout autre plongeon est fait au cœur de l’individu, dans l’individu, la Seconde Guerre Mondiale et la psychanalyse (qui rencontre alors une véritable seconde vie) sont passées par là. Dès lors on cumulera les chefs-d’œuvre du Far West, ni plus ni moins. Paradoxalement, ou plutôt comme beaucoup d’éléments dans cette vie ironique, on peut tout à fait penser que c’est la révolution du genre qui amènera à une plus grande complexité, puis à une remise en cause, une déconstruction puis enfin à sa destruction en bonne et due forme et logiquement à sa quasi-mort pendant pas mal de temps avant de connaître un regain récemment. S’il n’est pas un chef-d’oeuvre, lui manquant ce je ne sais quoi d’intensité, ou d’excellence dramaturgique Le Bandit, pourtant série B on ne peut plus méconnue, peut occuper une place de choix dans le virage vers la modernité du genre. Quoi de mieux qu’une édition collector de Sidonis Calysta pour l’approuver ? L’éditeur nous permet en effet de voir en DVD The Naked Dawn – encore, un titre original bien plus évocateur et riche que la transcription française bas du front – tourné en 1955 par un cinéaste très intéressant, connu, surtout, pour son adaptation d’Edgar Allan Poe avec Bela Lugosi Le Chat Noir (1934, prochainement ressorti lui aussi) et son remarquable film noir Detour (1945), espèce d’injection de pessimisme en shoot, vu la détresse de ses personnages, la tragédie des destins, et l’anorexie de sa narration (à peine une heure de métrage).
Dans une vallée paumée du Mexique, Santagio, brigand de grand chemin (mais avec aussi un grand cœur sinon bon) perd son binôme lors d’un braquage qui tourne mal. Alone on the road again, il fait la rencontre de Manuel, propriétaire fermier. Les deux hommes sympathisent au point que Santiago sollicite l’aide de Manuel pour aller récupérer une dette. Mais au retour, l’argent suscite la convoitise de Manuel et il songe à abattre son nouvel ami, en même temps que des hommes de « loi » commencent à traquer Santiago pour lui faire payer ses méfaits… Sur le papier cette trame peut laisser penser à un western en bonne et due forme, gunfights, combats virils inclus. Que nenni, Le Bandit vise ailleurs, et c’est pour cela qu’il tire juste. Relevant davantage de Tennessee Williams – une référence pour plusieurs westerns de ces années-la, voir L’Homme de nulle part (Delmer Daves, 1956) – le sujet du long-métrage pisse sur le spectaculaire et scrute l’intériorité torturée de ses protagonistes. Manuel en mari violent de vouloir changer sa condition de paysan, Maria son épouse, femme au foyer mariée de force qui crève à petit feu et se dévore à rêver d’un ailleurs, enfin Santiago bandit de grands chemins déçu par la révolution mexicaine dans laquelle il s’était engagé, terrorisé par l’attachement mais usé par le vagabondage et le sang laissé derrière lui… Comme chez Williams les personnages se jettent les uns contre les autres, quotidiennement blessés par une vie à travers laquelle ils peinent à trouver et la raison et l’espoir. Ajoutez à cela une palpable anxiété métaphysique – superbe scènes d’ouverture et de fermeture interrogeant la présence de Dieu – et vous obtiendrez un western intime et littéraire, différent, on ne peut plus psychologique où le dialogue et l’âme des comédiens priment sur l’action et toute image d’Épinal mythologique. Même l’Ouest et l’histoire américaines ne pourraient être, finalement, qu’un décor…Bien que, si l’on en croit l’éditeur, le Mexique aurait interdit le long-métrage à cause de l’image, il est vrai assez peu glorieuse, qu’il dévoile du pays : en gros une terre moite, avide, désespérée.