Les éditions Rimini nous proposent de redécouvrir Cromwell (1970), une œuvre tenant plus de la tragédie que de la fresque historique et ambitieuse, et que le réalisateur Ken Hughes a portée pendant dix ans avant de pouvoir la réaliser.
Cromwell of Souls
S’il demeure peu connu en France, mis à part dans les cercles d’historiens, Cromwell est une figure historique complexe dans l’histoire anglaise. Il est vu par certains comme un héros féru de liberté qui a permis au Royaume-Uni de renforcer le rôle de son parlement (rappelons que la première constitution écrite de l’Angleterre fut rédigée lors du Commonwealth cromwellien), mais il ne faut pas oublier que le Lord Protector se comporta en tyran, voire en génocidaire, lors de la reconquête de l’Irlande. Adapter la vie de Cromwell demandait donc de prendre en compte ces deux facettes du personnage. On peut reprocher au film de Ken Hughes de prendre quelques libertés avec la réalité – la conquête de l’Irlande est à peine abordée et les rapports entre la noblesse et le Parlement ont été simplifiés – et de brosser un portrait plus que positif de Cromwell en le représentant comme un parlementaire puritain attaché à la liberté et qui s’échinera à affirmer le pouvoir des lords et des communes pour servir les intérêts du peuple alors qu’en réalité, celui-ci était avant tout intéressé par la préservation des intérêts de sa classe. Quoi qu’il en soit, toutes ces modifications servent avant tout le récit. En effet, l’ambition première de Ken Hughes est moins de faire de son travail une adaptation historique parfaitement fidèle qu’une grande tragédie shakespearienne.
Aussi, l’attention du réalisateur était avant tout de présenter le personnage comme un héros noble porté par une mission sacro-sainte : sauver l’Angleterre d’une dérive autoritaire. Cet aspect est d’autant plus souligné par le jeu très shakespearien de Richard Harris qui campe un Cromwell à la limite du fanatisme. Le jeu de Harris s’oppose à celui d’Alec Guiness qui joue un Charles Ier plus mesuré. Si l’on peut déplorer que l’adaptation prennne des libertés avec l’histoire, ce n’est que pour rendre que plus tragique et inéluctable la résolution finale, où la mort de Cromwell n’est pas sans rappeler celle de Richard III dans la pièce de Shakespeare, deux hommes menés par une cause juste mais que le fanatisme a mené à leur perte. En plus de sa narration, que l’on peut trouver trop hagiographique, ce qui retiendra le plus l’attention du spectateur c’est le souci accru du détail dont a fait preuve Ken Hughes dans sa mise en scène. Comme dit plus haut, le projet a maturé pendant plus de dix ans dans la tête du cinéaste. Durant cette période, le réalisateur a lu des centaines d’ouvrages et a fait le tour des divers sites historiques du pays consacrés au Lord Protector afin de s’approprier le personnage. Ce souci du détail transparaît dans la direction artistique du métrage. En effet, on ne peut que constater que ce soit dans la reproduction de la chambre des communes identiques à ce qu’elle était à l’époque ou dans les costumes des figurants – le film remportera d’ailleurs l’Oscar des Meilleurs Costumes en 1971 – que le réalisateur a voulu que son film soit le plus réaliste possible. Par ailleurs, ce souci du détail est magnifié par une mise en scène contemplative qui laisse place à de longs plans larges notamment lors des longues scènes de batailles… S’il est indéniable que Cromwell est une réussite sur le plan technique, la bande originale n’est pas en reste. Composé par Franck Cordell (qui sera quant à lui nommé à l’Oscar de la Meilleure Musique de Film sans l’emporter), celui-ci livre un score wagnérien laissant une large place aux cuivres et aux chœurs afin d’accentuer le coté épique et tragique du personnage et qui sans aucun doute transportera le spectateur à l’époque de Charles Ier.
Fidèle à son habitude, Rimini Editions offre à ce titre un écrin plus que complet, réunissant Blu-Ray et DVD ainsi qu’un riche livret explorant la genèse du film. Côté suppléments, on appréciera l’interview d’une vingtaine de minutes avec l’historien angliciste Bernard Cottret qui revient sur le personnage de Cromwell et sa place complexe dans l’histoire anglaise. L’occasion rêvée de pouvoir (re)découvrir ce long-métrage un peu méconnu, tout autant qu’une part tout aussi méconnue (du moins pour les français que nous sommes) de l’histoire anglo-saxonne.