Pour le coup d’envoi de la 26e édition de l’Étrange Festival, c’est la légendaire guerrière des steppes Tomiris qui a été choisie. A la fois fresque historique, film de guerre et biopic inspiré des écrits des historiens grecs, Tomiris (Akan Satayev, 2020) c’est aussi une occasion de découvrir ce qu’un « blockbuster kazakhe » peut nous offrir.
Steppe Up
Malgré l’offre prolifique de cinéma que l’on peut trouver en France, il reste certain que le cinéma kazakh demeure encore assez rare sur nos écrans. Heureusement, prolongeant cette année encore sa mission d’offrir de réels découvertes, l’Étrange Festival le met à l’honneur avec sa séance d’ouverture et nous permet de combler cette lacune. Voici donc le nouveau long-métrage de Akan Satayev, réalisateur et producteur kazakh, très peu diffusé dans nos contrées, mais déjà habitué aux films d’action et/ou traitant de l’histoire de son pays. Cette fois, il s’agit de remonter plus loin dans le temps, pour mettre en scène une figure historique antique, Tomiris. Le terme de fresque historique est ici on ne peut plus adapté tant le long-métrage fait le choix de retracer le parcours de cette héroïne peu connue, de son plus jeune âge jusqu’à son apogée. Fille unique du leader des Massagètes, une des tribus nomades des steppes, elle est recueillie de justesse par une autre tribu lorsque que son père est assassiné par deux de ses généraux en quête de pouvoir. Élevée en guerrière dans une tribu voisine, la voilà lancée pour reprendre le pouvoir qui lui a été enlevé, puis, par jeu de guerre et d’alliance, régner sur les steppes alors qu’au loin s’annonce la menace du roi Cyrus et de l’Empire Perse toujours plus puissant.
Le premier bénéfice de Tomiris – c’est l’avantage de s’aventurer dans des cinémas de pays en général peu connus – est de présenter un spectacle qui nous est très peu familier. Les décors tout comme les figures historiques présentés, le contexte des tribus nomades des steppes et de leurs querelles intestines mais aussi leur relation avec le reste du monde et notamment l’Empire Perse sont des thématiques nouvelles, en tous cas pour nous, spectateurs français. Cet aspect rafraichissant de Tomiris ne s’arrête pas qu’aux sujets inédits traités dans les deux heures qui composent le long-métrage. Grosse production, du moins à l’échelle de son pays d’origine, Tomiris par bien des aspects renouvelle l’appétit du grand spectacle. En effet, c’est un « blockbuster » sous forme de fresque épique qui s’articule autour de scènes d’actions plutôt réussies – plus lisibles et claires que certaines batailles un peu brouillonnes d’un Game of Thrones (2011-2019) par exemple. Mais au contraire du standard auquel nous sommes désormais habitués avec les superproductions américaines, il s’agit ici d’une proposition bien plus « organique ». Les affrontements, entre tribus à chevaux, restent pour une bonne partie restituées « à taille humaine », sans effets spéciaux, à l’opposé des armées immenses de CGI souvent informes qui peuplent les productions super-héroïques depuis une dizaine d’années. Quelques effets spéciaux peu convaincants restent à déplorer (les gerbes de sang par exemple), mais ils restent néanmoins toujours utilisés avec parcimonie, la mise en scène étant plutôt au service du réalisme des batailles entre tribus, sur de vrais chevaux et dans de véritables décors.
Si le contexte est on ne peut plus original et l’histoire réellement inédite, il faudra cependant s’accommoder tout au long de Tomiris à pas mal de poncifs narratifs. Le long-métrage n’échappe pas à quelques clichés, par exemple des discours très ronflants sur la filiation, la loyauté, l’honneur, « typique » des films d’époque et de guerre – on pense à Braveheart (1995) ou Tu ne tueras point du même Mel Gibson (2016). La nuit de noces de Tomiris avec son mari, héritier d’une autre tribu de nomades, est un parfait exemple d’empilement de clichés de mise en scène, du plan « torse-nu » de l’époux jusqu’à la caméra qui s’arrête sur une torche au-dessus du couple lorsqu’ils s’allongent sur le lit nuptial. Si le spectacle est généralement rafraîchissant, on peut donc tout de même y sentir de nombreuses influences parfois bien intégrées, parfois peu heureuses. Difficile par exemple devant les grandes plaines qui servent de décor principal de ne pas penser aux paysages de Conan Le Barbare (John Milius, 1982). Outre une similitude dans la destinée du personnage (parents morts, caché au monde avant d’accéder au pouvoir) ; une scène de dialogue entre la toute jeune Tomiris et son père ; mais encore des ressemblances jusque dans la posture des personnages, beaucoup d’éléments nous rappellent au désormais célèbre « discours de l’acier » que prononce le père de Conan à son fils alors qu’il n’est qu’un enfant. Lorsque débarque l’Empire Perse dans l’histoire, on ne peut non plus s’empêcher de penser à 300 (Zack Snyder, 2006). Cela se retrouve notamment dans un gimmick de mise en scène « à la Snyder » un peu agaçant Akan Satayev utilisant parfois sans trop d’intérêt ni de justification des ralentis qui alourdissent les scènes de combat plus qu’autre chose. Malgré tous ces bémols, Tomiris demeure un spectacle assez singulier pour être noté et une occasion assez rare de parcourir, deux heures durant, les steppes d’un pays qu’on voit trop peu. Un tel voyage, ça ne se refuse pas.