Dans la nouvelle salve du Chat qui Fume se détache un titre, premier long-métrage du grand mais méconnu Aldo Lado, Je suis vivant ! (1971) et aussi considéré, à juste titre, comme l’un des meilleurs films que nous ait donné le genre italien du giallo.
Des jeunes filles disparaissent
Même si le genre du giallo est assez naturellement raccroché à ses racines italiennes, il n’a rien, en vérité, d’un genre exclusivement endémique à la presqu’île du sud de l’Europe. On l’a déjà vu précédemment avec Le Venin de la Peur (Lucio Fulci, 1971) qui transposait les codes du genre dans le Londres poisseux, ici le récit débute à Prague, en République Tchèque, et plus précisément dans un jardin public où le corps mort d’un journaliste américain, Gregory Moore, est retrouvé par un jardinier. Transporté en chambre froide, Gregory, vraisemblablement mort et conscient à la fois, tente de remonter le fil de ses souvenirs pour comprendre comment il a pu en arriver là, froid et immobile sur une table de légiste. Le récit a alors de particulièrement malicieux de nous proposer de voyager dans l’esprit d’un mort, littéralement, dans ses souvenirs. Si la thématique du « souvenir reconstitué » est exploitée dans de nombreux gialli, le film d’Aldo Lado en tire un processus narratif tout à fait étonnant, qui fait, à vrai dire, une grande partie de son intérêt. Cela lui donne l’occasion d’expérimentations stylistiques variées : audace de montage, de structure, convocation des codes giallesques dans leur penchants visuels dirons nous… « oniriques », à la frontière, sporadiquement, de l’expérimentation.
Néanmoins, s’il emprunte à ces motifs du giallo de par sa forme, Je suis vivant ! est aussi un admirable polar. Car corrélativement à cette narration sous forme de flash-back, Lado nous lance dans une enquête parcellaire (comprendre « à trou ») particulièrement entraînante. Sans vous en révéler tous les tenants et aboutissants, on y découvre très vite que Gregory est à Prague pour mener une investigation sur la disparition de sa propre petite amie. Son enquête le mène progressivement sur les traces d’une possible organisation criminelle un brin sectaire, sévissant sur les jeunes filles de la région. Une curiosité qui pourrait expliquer sa « mort »… Ce dernier mot mérite des guillemets puisque dès le début, nous est savamment expliqué que ce Grégory, malgré sa pâleur, n’a, peut-être, pas tout à fait passé l’arme à gauche. Les médecins constatent que son corps n’a pas la raideur cadavérique habituelle, tandis que nous entendons, nous, spectateurs, le même Grégory hurler en boucle – mais pour lui-même : Je suis pas mort ! Je suis pas mort ! , litanie qui donnera son titre français au film. Je suis vivant ! devient alors une course contre la montre, les souvenirs puisés par Grégory se révélant aussi précieux que dangereux, car plus ils sont longs, plus ils pourraient ne pas être complets. Et pour cause, les médecins ont déjà programmé l’autopsie qui condamnerait fatalement Grégory… Et sa vérité avec lui. Il doit donc parvenir à se souvenir du plus vite qu’il le peut et si possible, se réveiller à temps pour transmettre les résultats de son enquête.
Vous l’aurez compris, ces différentes strates, ces différents enjeux, font de Je suis Vivant ! un objet cinématographique tout à fait à part, parfaitement original. Outre l’intérêt naturel de (re)découvrir la première œuvre d’un cinéaste – certes méconnu, sinon des puristes – l’exploration de cette ré-édition ambitionne d’abord de (re)découvrir un très bon film, dont l’audace scénaristique est sublimée par la partition encore une fois envoûtante de Ennio Morricone (qu’on ne présente plus) et par l’image soignée du grand chef-opérateur Italien qu’était Giuseppe Ruzzolini, grand habitué du cinéma de Pasolini aussi derrière la caméra de Il était une fois la Révolution (Sergio Leone, 1971) et qui s’exprime tout particulièrement dans la dernière partie (plus ésotérique), où sa caméra, ses angles, ses optiques, ne ménagent pas leurs effets pour nous faire tourner la tête dans tous les sens. L’édition qui nous est offerte par le Chat qui Fume propose un unique Blu-Ray. Et pour cause, l’éditeur a décidé d’abandonné le format DVD, au motif louable qu’il ne rendait pas suffisamment grâce au travail de restauration toujours impeccable de l’éditeur. Une fois n’est pas coutume ici, le Chat a parfaitement relui sa boule de poil avant de nous la recracher, tant ce master est d’une beauté vertigineuse, comme si le film était sorti hier. Les pistes audio offertes raviront les derniers réfractaires des versions originales, puisqu’en plus du master italien, une piste française très propre nous est aussi proposée. Enfin, comme toujours, niveau suppléments, l’édition est richement ornementée. Le commentaire audio du réalisateur et de l’acteur Federico Caddeo est généreux en anecdotes, tandis que presque trois heures de featurettes vous permettront d’explorer plus en profondeur les coulisses du film, de sa genèse à son tournage, jusqu’à sa réception. Mention spéciale au long entretien de 1h40 avec Aldo Lado, aussi précieux que rare. Une édition de prestige donc, mais rien ne vous étonnera tant la réputation du Chat qui Fume en la matière n’est plus à faire.