Lorsque le très xénophobe National Front britannique prend une ampleur inquiétante dans le pays à la fin des années 70, un groupe militant décide de canaliser leur amour des genres musicaux alors fleurissants punk, ska et reggae, dans un mouvement antiraciste, Rock Against Racism, et culminant lors d’un gigantesque concert réunissant les plus éminents groupes de l’époque. C’est ce que raconte White Riot (Rubika Shah, 2020), documentaire musical actuellement en salles.
London’s Burning
C’est une drôle d’histoire peu connue dans nos contrées que la cinéaste Rubika Shah décide de mettre en lumière dans son premier long-métrage documentaire. Juste avant l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher, la situation économique du Royaume-Uni dans la seconde moitié des années soixante-dix est assez calamiteuse. Le chômage bat des records, et dans ce contexte plutôt sombre le « National Front » gagne en popularité, y compris chez les jeunes, parmi les skinheads notamment. Le refrain est bien (trop) connu : ce sont les immigrants, asiatiques ou africains, qui sont montrés comme coupables, au point qu’on les somme de « repartir chez eux » quand bien même ils auraient la nationalité britannique. Face à ce constat alarmant, un groupe de militants se forme, gravitant autour de la culture underground qui nous est chère ici, fédéré par un dénommé Red, photographe, acteur de théâtre et mordu de Punk. Bientôt ils forment l’association Rock Against Racism (RAR pour les intimes), organisant des concerts réunissant groupes punks, ska et reggae, dans le but d’unifier les cultures et rassembler la jeunesse toutes origines confondues derrière une même bannière. Un moyen de communication underground pour véhiculer ces valeurs : Temporary Hoarding, un fanzine qu’ils écrivent et éditent. Point d’orgue de Rock Against Racism, une immense marche dans Londres, suivi d’un concert rassemblant une foule de plusieurs dizaines de milliers de personnes venu acclamer The Clash, Steel Pulse ou Tom Robbinson.
Disons-le tout de suite, White Riot fait partie des nombreux films actuellement en salle qui méritent qu’on s’y déplace. Cet épisode de la culture et de l’histoire du Royaume-Uni est à la fois captivante et, assez peu connue malgré sa relative modernité (No Future c’est bien gentil, mais le mouvement punk a quarante ans déjà) et la célébrité de certains des protagonistes. Voilà qui donne une matière riche pour ce documentaire. Prenant le temps de présenter habilement à la fois la « grande » histoire – celle de l’économie britannique, du contexte post-colonial et des fortes tensions raciales qui traversaient le pays – et la « petite » – celle du mouvement punk, l’incertitude politique qui pouvait régner à ses débuts, et l’épopée de l’association Rock Against Racism – le documentaire est habilement construit, toujours lisible malgré un nombre assez important de protagonistes et d’intervenants. Supportant clairement les valeurs antiracistes à la base du mouvement dont il est sujet, White Riot apporte cependant quelques nuances et ne glisse pas sous le tapis les limites que RAR pouvait avoir : malgré toute la bonne volonté de ses militants pour améliorer la situation du pays, le mouvement demeurait tout de même majoritairement blanc, avec un public blanc. Seul petit regret dans la reconstruction de l’épopée RAR, un manque d’informations assez regrettable sur la fin de l’association. La genèse et les grands événements de la fin des années 70 sont relatés avec précision, mais aucune information sur la manière dont le mouvement s’est arrêté, ou essoufflé au début des années 80. Pas non plus d’ouverture sur l’impact ou l’héritage que RAR a pu avoir dans la culture du pays.
La lisibilité et la fluidité de White Riot doit aussi beaucoup à sa forme très ludique. C’est d’abord un plaisir de découvrir au fil du long-métrage les couvertures et les illustrations de Temporary Hoarding, le fanzine qui unit cette communauté musicale et militante. Ces feuillets écrits, mis en page et imprimés avec un sens de la débrouille aiguë ponctuent et accompagnent le récit et l’évolution du mouvement, et nous font replonger dans une ère de communication pré-internet passionnante. Le documentaire reprend aussi ce style avec de nombreux croquis venant compléter les images présentées. Et ces images, en elles-mêmes valent le détour. Un nombre impressionnant de photos et de vidéos d’archives sont présentées, retraçant aussi bien les concerts que les manifestations du National Front et des mouvements antiracistes. Habitués aux images de manifestations circulant aujourd’hui très aisément sur les réseaux sociaux, on se surprend tout de même à constater par nous-mêmes la violence extrême de l’époque. Les images d’altercations entre antiracistes et nationalistes, ou avec la police, font un écho évident avec nos images contemporaines. Mais le dernier mot est en fin de compte accordé à la musique, avec les images du gigantesque concert de Victoria Park voué à unir les Britanniques au-delà des origines et des couleurs de peau. Tristement utopique sans aucun doute, mais pendant quelques accords des Clash on y croirait presque.