Après avoir sorti de l’oubli le jubilatoire Robe de Sang (Tobe Hooper, 1990) – téléfilm méconnu entamant la décennie la plus mal-aimée du metteur en scène, ainsi que l’une des plus passionnantes – ESC continue son travail de redécouverte des trésors de la filmographie de Tobe Hooper. C’est au tour cette fois d’une de ses incursions dans la science-fiction, L’invasion vient de Mars (1986), de se voir offrir une simple mais belle édition Blu-Ray. Un régal.

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L’enfance retrouvée
« Le génie, c’est l’enfance retrouvée à volonté » disait Charles Baudelaire. Cette phrase extrêmement célèbre peut sembler paradoxale pour traiter d’un cinéaste essentiellement connu pour avoir traumatisé des générations entières de spectateurs rarement mineurs. Pourtant, comme pour beaucoup de ses pairs, l’amour du cinéma de Hooper lui vient de l’enfance et en particulier de la découverte, dans les années 50, des grands films de science-fiction de son temps – ceux de Jack Arnold, Don Siegel (l’inévitable Invasion des profanateurs de sépultures, 1956) mais aussi William Cameron Menzies. J’en veux pour preuve que L’invasion vient de mars n’est autre qu’un remake au titre éponyme du travail le plus célèbre de ce dernier. Si ce long-métrage a tant à voir avec l’enfance ce n’est pas uniquement pour cette filiation, ni seulement parce qu’il est l’aventure d’un enfant et peut-être même rien d’autre qu’un cauchemar (ou pas…) de cette petite bouille d’ange. Si enfance il y a, elle est essentiellement à chercher dans le mauvais esprit sale gosse qui infuse l’ensemble du récit, ainsi que dans la jubilation avec laquelle Hooper déploie son armada de monstres visqueux et proliférants, ou dans sa manière si emblématique de ridiculiser le monde adulte, celui d’une Amérique aseptisée, paranoïaque, et sur-militarisée.

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L’invasion vient de Mars tient a priori sur un argument maigre : la lutte d’un enfant courageux et passionné d’astronomie contre une invasion extraterrestre mise en place par la possession progressive de tous les êtres humains. Si Tobe Hooper ne va pas aussi loin dans la satire de la société américaine qu’il a pu le faire plus tôt dans sa carrière, ou qu’il le fera plus tard – dans Combustion Spontanée (1990), son grand film sur les années 50 et son obsession guerrière de l’arme nucléaire, ou La Presseuse Diabolique (1994), géniale métaphore horrifique du capitalisme sauvage – on sent bien pourtant sa patte corrosive à chaque instant. Ainsi, L’invasion vient de Mars fut totalement incompris en son temps, jugé ridicule, grossier, et fort peu terrifiant. Autant d’arguments que Hooper auraient pu revendiquer fièrement, tant le long-métrage se déguste avant tout comme une formidable comédie aussi inventive que régressive, maline qu’outrancière. Il suffit de voir comme le cinéaste filme la famille typique et son american way of life – du pavillon de banlieue aux petits-déjeuners sordides, conformisme à tous les étages – en particulier quand celle-ci se trouve possédée par les forces aliens. Comme si cette possession dévoilait plus de sa nature propre – téléguidée, inhumaine, sans âme – que sa représentation première. On sait à quel point Hooper s’est souvent senti plus proche des monstres que de leurs prétendues victimes – dans Massacres dans le train fantôme (1981) évidemment, mais même dans Massacre à la tronçonneuse (1974) et tout particulièrement dans le deuxième opus. Ici, on pourrait croire que ces monstres ne sont que les antagonistes d’une histoire a priori simpliste, mais ce n’est évidemment pas le cas. Il y a d’abord, quelques sublimes regards endoloris qui disent bien pour quel bord penche le metteur en scène – l’insistance avec laquelle la caméra de Hooper revient sur le visage hurlant de douleur de l’énorme et purulent alien, animatronique subliment expressif, abusivement canardé par des militaires dégénérés, est bien plus significative que n’importe quel discours explicite – mais il y aussi et surtout le trait acerbe avec lequel le cinéaste portraitise et caricature une société à bout de souffle dont on sent bien qu’il prend un malin plaisir à brûler toutes les caractéristiques dans un vivifiant feu de joie.
Il faut donc sans doute partir prévenu en commençant L’Invasion vient de Mars. Mieux vaut éviter d’attendre un mélodrame fantastique au premier degré – à la façon de Starman (John Carpenter, 1984) par exemple, l’intrusion sublime d’un autre Master of Horror dans la SF – ou un film d’aventures totalement naïf à la Spielberg. Ce qu’il y a à attendre du film, comme d’une grande partie de l’œuvre de Hooper, c’est le registre dans lequel ce dernier excelle : la satire, l’outrance, le burlesque et la peur sans cesse mêlés. Certains y verront un univers plus proche de Joe Dante, ou du Carpenter de Jack Burton dans les griffes du mandarin, pour ce même goût du second degré et de l’irrévérence, mais il y a chez Tobe Hooper, et dans cette œuvre en particulier, quelque chose de bien plus mal-aimable, de moins harmonieux, de plus torturé et de plus fou. Sans doute que le cinéaste ne sait pas toujours choisir entre ses différents désirs, registres et ses différentes références, tout comme il ne tranche jamais vraiment entre le premier et le second degré, mais c’est ce qui fait la profonde singularité de son cinéma. L’enfance invoquée, et retrouvée, ici n’est certainement pas le paradis perdu espéré et idéalisé par tous. C’est un univers sinueux, foutraque, parfois terrifiant, pervers, joyeux, mais aussi et surtout profondément contradictoire. Un univers où il faut retrouver et sauver ses parents – c’est, de toute évidence, la première motivation du jeune héros – mais aussi, en définitive, les tuer, les abandonner pour toujours – idée superbement représentée, dans une scène qui apparaîtra pour beaucoup contradictoire, aberrante d’un point de vue de la cohérence des réactions du personnage, mais qui n’est en fait que la plus belle représentation du tortueux passage à l’âge adulte.
Un tel film aussi mal-aimé et méconnu méritait donc bien de ressortir dans une édition Blu-Ray digne de son nom. C’est donc le cas dans la merveilleuse collection Trésors du fantastique de ESC, à qui l’on souhaite encore une belle et longue vie. L’édition est simple – quelques entretiens courts mais instructifs, en particulier ceux avec Marc Toullec et Tobe Hooper lui-même avant sa disparition – mais complète et bénéficiant d’un master – image et son – aussi fidèle que de grande qualité. Immanquable occasion de (re)voir, en famille, cette pépite oubliée.