Kurt Cobain : Montage of Heck 2


Documentaire produit par HBO, Kurt Cobain : Montage of Heck a bénéficié d’une projection unique dans plus de cent salles françaises juste avant sa diffusion sur la chaîne américaine. Premier véritable documentaire sur la rock star, autorisé par ses proches, c’est aussi et surtout un film dense, bruyant, sensible et sombre : à l’image de Kurt Cobain lui-même.

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Heart-Shaped Box

C’est sous l’impulsion de la fille de Kurt Cobain, Frances, que le documentariste Brett Morgen – surtout connu pour avoir été nommé à l’Oscar du Meilleur Documentaire avec son film sur le milieu de la boxe On the Ropes (1999) – a pu gagner la confiance des proches du leader de Nirvana pour réaliser le premier documentaire autorisé sur la star. A bien des égards, le fait que Courtney Love – femme la plus détestée d’Amérique du vivant de Kurt – soit plus ou moins liée à la réalisation de ce film – elle y est interviewée – Capture d’écran 2015-05-06 à 00.16.01pouvait laisser présager une autocensure inévitable et un embellissement gênant de la réalité. Il n’en est rien. Le film a l’ambition de dresser le portrait intime de Kurt Cobain à travers ses archives personnelles. Convaincue et rassurée par l’implication de sa fille dans le projet, en tant que productrice exécutive, Courtney Love a accepté de donner à Brett Morgen les clés du garde-meuble où était entassé ce qu’il restait des affaires de Kurt Cobain. En ouvrant la porte, le réalisateur pensait tomber sur des montagnes de cartons, il n’en trouve que dix-huit. C’est peu, c’est vrai, mais leur contenu est une véritable mine d’or. Des centaines de carnets de notes, journaux intimes et dessins de la star y dormaient tranquillement depuis sa mort. Ses peintures sont adossées les unes aux autres sur les murs de la pièce. Et surtout, il trouve cent huit cassettes audio comportant essais musicaux, maquettes jamais enregistrées ni diffusées et même une autobiographie que Cobain avait commencé à enregistrer lui-même sur son petit enregistreur. Parmi cet amas de cassettes, Morgen s’arrête plus longuement sur l’une d’entre elles, intitulée Montage of Heck (que l’on pourrait difficilement traduire littéralement par Montage de Zut, ou Assemblage de ratés). Cobain y assemble dans un patchwork de montages expérimentaux extraits sonores de films – d’horreur pour la plupart –, tubes musicaux et réflexions philosophiques personnelles qui s’enchaînent les unes avec les autres comme un grand zapping, se téléportant d’une ambiance à une autre, d’une émotion à une autre. En écoutant cette cassette, Morgen aurait immédiatement trouvé la structure de son film. Pour donner corps à l’incroyable foisonnement de toutes les archives qu’il venait de trouver, il ferait lui-même son Montage of Heck.

cobainFoisonnant, dur, bruyant, tortueux, sensible, Kurt Cobain : Montage of Heck emprunte aux essais sonores de Cobain cette façon de télescoper une émotion, un rythme, une information par une autre et parvient véritablement à catapulter le spectateur dans l’âme du musicien. Enchaînant envolées lyriques, assourdissant capharnaüm rock’n’roll et trash, moments intimes à la limite du voyeurisme, séquences d’animation alternant madeleines proustiennes d’une infinie beauté – certains passages animés sur les bases de l’autobiographie enregistrée par Cobain sont somptueux, notamment les délires visuels donnant vie aux tableaux et dessins de Kurt – le film enchaîne les sensations visuelles et sonores, les entremêle, s’amuse au jeu des assemblages, des contraires et des analogies. Un travail qui rappelle quelque peu ce qu’avait pu faire Jean-Luc Godard avec l’incroyable anthologie Histoire(s) du Cinéma (1998) si tant est qu’ici, contrairement aux élucubrations du papy suisse, on comprend quand même un peu ce qu’il se dit. Évitant le double écueil du film d’archives façon diaporama en famille au coin du feu et film d’entretiens filmés sans images d’archives pour étayer quelque propos tenu, Brett Morgen, riche de la mine d’or dont il dispose, parvient avec brio à dresser un portrait sensible, émouvant, parfois dur, de l’homme derrière le mythe. Au détour d’un texte, d’une interview, d’une chanson, ou d’une image privée montrant Kurt au quotidien, Morgen parvient à élucider la psychologie compliquée du personnage, ses fêlures, ses névroses, ses obsessions et ses faiblesses. Durant deux heures et vingt minutes, le film ne fait que brasser le spleen de Kurt Cobain qu’il trimbalait depuis les cours à l’école d’Aberdeen jusqu’au plateau de MTV où il donne son dernier concert mythique, seulement un mois avant de se suicider. Plus qu’une hagiographie, Montage of Heck est donc plutôt une étude de cas. On ressort du film en ayant le sentiment de connaître davantage Kurt Cobain, mieux encore de le comprendre, et notamment ce qui a pu le pousser à se donner la mort, ce fameux 8 avril 1994, d’une balle dans la tête.

cobain-695x477N’épargnant rien ni personne, n’hésitant pas à écorcher l’image de la rock star en le dévoilant sur ses contours les plus sombres – une séquence glaçante le montre totalement camé, sous héroïne, entrain de changer la couche de sa fille Frances – le documentaire n’est pas non plus très tendre avec Courtney Love contrairement à ce que l’on aurait pu craindre. Sans divaguer sur la théorie fumeuse selon laquelle elle serait responsable de sa mort et aurait payé quelqu’un pour le faire assassiner – une rumeur largement relayée par le très mauvais documentaire Kurt & Courtney (Nick Broomfield, 1998) qui a côté de Montage of Heck souffre cruellement de ne pas avoir d’images authentiques et d’étayer sa théorie fumeuse sur des on-dits et des suppositions dignes des plus mauvais sites complotistes –, on la découvre aujourd’hui, assumant tristement d’avoir été sous héroïne durant les premiers mois de sa grossesse. Sans oser porter de jugement sur l’implication discrète de Courtney Love dans la descente aux enfers du chanteur, Kris Novoselic, bassiste de Nirvana et ami de Kurt Cobain, lance toutefois la piste en exprimant l’idée que Cobain est vraiment devenu junkie au moment où il a rencontré celle qui deviendra sa femme. Sans jugement, le film, s’appuyant sur les images privées filmées par le couple ou par des amis – reste une question : qui est ce troisième homme qui les filme même dans la salle de bains ou dans leurs ébats amoureux ? –, montre simplement ces images déroutantes parce qu’elles sont à la fois tristes et débordantes de bonheur. On y voit ce couple de drogués qui s’aime plus que tout, qui aime éperdument leur fille, mais qui doivent l’un et l’autre combattre avec des vieux démons. Fort de la richesse insoupçonnable de son contenu, Montage of Heck reste à ce jour l’un des documentaires les plus intimes et passionnants qui aient été faits sur une icône de la musique. Puissant comme une chanson de Nirvana, le documentaire navigue dans cet océan, devrais-je dire, ce torrent, que constitue l’esprit de Kurt Cobain et s’assure, toutes voiles au vent, de naviguer sans tumulte jusqu’aux Oscars.

Joris Laquittant


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY


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