Le Moulin des Supplices


Au sein du gigantesque capharnaüm de films bis qu’était le cinéma transalpin des années 50 à 90, il demeure une fourmilière de petites perles qui bien que « classiques », demeurent néanmoins assez méconnues. Le Moulin des Supplices de Giorgio Ferroni (1960) véritable petit exploit esthétique et gothique est l’une d’entre elles. Et par chance, elle est ré-éditée dans une bien belle édition depuis la mi-avril chez Artus Films.

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Poupée de cire, poupée de son

En parlant de « cinéma gothique », il est souvent question d’une certaine boîte de production britannique, qui fut très célèbre, et prospère de la moitié des années 50 jusqu’au milieu des années 70. Reprenant les cultissimes, Universal Monster (voir notre dossier) et les récits les plus glauques de la fin du XIXe siècle, le genre fut popularisé pour son goût des décors suaves et monolithiques ainsi que par les ténèbres qu’insufflaient chaque parcelle de ces œuvres lentes et glaçantes. La plupart du temps portée par les indéboulonnables Peter Cushing et Christopher Lee, très souvent mise en scène avec grâce par le maître Terence Fisher, la Hammer était alors une référence. Pourtant, ils furent loin d’être les seuls. Outre-Atlantique notamment, il serait inadéquat pour un petit récapitulatif du genre de ne pas parler des adaptations du nouvelliste Edgar Allan Poe, que réalisait une autre légende du cinéma bis, Roger Corman. Commencé par la Chute de la Maison Usher (Roger Corman, 1960), le cycle connaîtra de longues heures de gloires jusqu’à La Tombe de Ligeia (Roger Corman, 1964), avant de rester dans la postérité grâce au sublime Le Masque de la Mort Rouge (Roger Corman, 1964) et le crépusculaire La Chambre des Tortures (Roger Corman, 1961). Bien entendu, comme il en fut souvent le cas quand quelque chose fonctionne, on s’y essaie aussi en Italie, fière fer de lance de nombreuses productions adulées par des générations entières de cinéphiles plus ou moins déviants. Des péplums héroïques aux westerns spaghettis, des giallis pulpeux à la nazisploitation, en passant par d’autres bisseries cannibales, les nombreux réalisateurs de la Botte se sont lancés dans à peu près tous les genres. Donc forcément, à l’aube des 60, les terrifiantes imageries gothico-fantastiques britanniques ne laissèrent pas non plus pantois les studios et les scénaristes cisalpins, qui à leur tour allaient graver dans le marbre de Rome leurs offrandes à ce genre si particulier du cinéma bis européen.

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Il est ainsi commode de lire, un peu partout sur la toile, qu’en plus d’être le principal instigateur du giallo avec La Fille qui en savait trop (1963) et surtout Six femmes pour l’Assassin (1964), Mario Bava, grand maître si il en est, est aussi celui du gotique italien, avec le magnifique Masque du Démon (1960). Pourtant ce dernier film, bien que sorti avant celui qui nous occupe aujourd’hui, fut vraisemblablement tourné après ou tout du moins quasiment en même temps que Le Moulin des Supplices (Giorgio Ferroni, 1960). Le doute est ainsi permis quant à une prétendue influence de l’un sur l’autre. Puis, les deux étaient de toute façon supplantés par Les Vampires (1957) de Riccardo Freda – auquel participa Bava, bien que non crédité au générique – tourné et sorti trois ans auparavant, creusant les véritables fondations du genre en Italie. Ceci étant dit, il est quand même de bon ton de rappeler qu’avec Le Moulin des Supplices de Ferroni, on s’attable sur une pièce maitresse et fondatrice de l’horreur à l’italienne. Giorgo Ferroni, lui, s’il n’a jamais joui de la même renommée que certains autres de ses pairs, est pourtant un artisan du cinéma qu’il conviendrait habilement de réhabiliter. Ayant navigué dans le cinéma de genre populaire italien de l’époque par vents et marées. Il est l’artificier de nombreux péplums comme de westerns – dont l’un des premiers films italien du genre avec Macario au Far West (1941) – avant de voguer dans le film d’espionnage sous le pseudonyme de Calvin Jackson Padjet puis de revenir une ultime fois au fantastique avec La Nuit des Diables (1972) dont nous vous avions déjà parlé à l’époque de sa sortie sous la houlette du Chat qui Fume.

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Tourné en grande partie dans les studios de la Cinecitta à Rome, ainsi qu’en Flandres pour les extérieurs, Le Moulin des Supplices est un conte horrifique qui sent bon la campagne hollandaise, ses canaux et ses moulins. Le scénario est simple, mais néanmoins assez inspiré. Hans – incarné par le français Pierre Brice, qui sera par la suite l’incarnation célèbre de l’indien Winnetou dans des westerns allemands – un apprenti sculpteur, est dépêché dans la région d’Amsterdam pour réaliser les monographies d’un carillon, composé de statues de femmes en cire. Ce carillon est la propriété et la création du professeur Wahl, un enseignant d’art d’âge avancé qui vit seul avec sa fille victime d’une étrange maladie, et le médecin de celle-ci. C’est un homme éminemment misanthrope, aux atours d’artiste maudit, et on le verra plus tard, de savant fou. Quand Hans accède au pittoresque moulin qui leur sert de résidence, il y découvre alors le carillon de poupées de cire à l’aspect macabre qui sera le sujet de son étude, ainsi que la fille de Wahl dont il tombe instantanément amoureux. A Amsterdam, de mystérieuses disparitions de femmes jeunes et belles défraient la chronique et alertent un groupe d’étudiants.

Dans des décors très solennels mais aux détails artistiques absolument minutieux, Ferroni livre alors une poésie morbide d’une densité folle. Ce qui frappe pour l’époque, c’est tout d’abord le jeu de couleurs auquel s’adonne le metteur en scène. Si Le Masque du Démon (Mario Bava, 1960) détonnait par la beauté de son noir et blanc, Le Moulin des Supplices est une démonstration de toutes les splendeurs du Technicolor, où chaque plan et chaque ton participent au reflet d’une ambiance macabre et onirique, que vient sublimer cette nouvelle copie partiellement restaurée. La folie n’aura rarement eu d’aussi beaux atours, dans des productions de cette époque. Puisque de folie il est indéniablement question, les personnages y sombrant tous, et particulièrement Hans. Pris dans un triangle amoureux entre la belle et énigmatique Elfie – que joue Scilla Gabel, actrice à la ressemblance troublante avec Sophia Loren – et la non moins belle Liselotte – qu’incarne là encore une française répondant au nom de Danny Carrel – il devra jouer avec des sentiments contradictoires et une frontière entre rêve et réalité s’avérant ténue. Déconstruisant les codes du savant fou – à l’époque déjà bien établis par une multiplication de revisites du mythique Frankenstein de Mary Shelley, ou autrement par des films comme Les Yeux Sans Visages (1960) de Georges Franju – Ferroni s’accommode d’une certaine manière à renouveler le thème, par l’intermédiaire de son professeur Wahl –que porte ici l’allemand Wolfgang Preiss, connu surtout pour ses multiples rôles du Dr Mabuse – ou quand le père éploré transforme sa vocation artistique profonde, devenant meurtrier éhonté en élaborant des expérimentations contre natures.

Si Le Moulin des Supplices comporte quelques menus défauts inhérents au genre comme une certaine langueur et un étirement narratif parfois assez poussif – les longues tirades du Professeur Wahl, notamment – il en demeure une pièce maîtresse des balbutiements horrifiques de la péninsule italienne. C’est macabre certes, mais nous n’en sommes pas encore aux délires gores de Lucio Fulci non plus, bien que la magistrale et sinistre scène finale ait pu lui donner des idées, tout compte fait. La belle édition signée Artus Films, un joli digibook combo Blu-Ray et DVD, comporte aussi un livret de soixante-quatre pages rédigé par Alain Petit. Ce dernier intervient par ailleurs dans les bonii pour un entretien d’une quarantaine de minutes très instructives, mettant en exergue tout le processus de création du métrage ainsi que son riche historique. Des bonus intéressants qui permettront aux amateurs comme aux néophytes d’apprécier pleinement et à sa juste valeur ce petit bijou de cinéma gothique. Pour les plus curieux, enfin, une interview en plus de Liana Orfei, l’une des actrices, et des scènes alternatives italiennes et américaines apporteront des petit plus bienvenus. De quoi donner des envies de faire des tours de carillons endiablés.


A propos de Willys Carpentier

Son prénom n’est pas une référence cinéphile au Bruce que l’on connait tous, même s’il partage son nom avec son idole absolue, John. Sa passion pour le cinéma qui fait pas genre découle de celle qu’il a pour le Death Metal, elle fait peur et est pleine de saturation et d’hémoglobine et ce même si plus jeune, il ne décrochait pas de Peter Pan. Enfin, fait intéressant, il porte une haine sans égards pour Woody Allen.

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