The Love Witch 1


Invisible ou difficilement trouvable en France de manière légale, The Love Witch (Anna Biller, 2016) est maintenant en streaming sur Outbuster pour notre plus grand plaisir et projeté ce 30 Juin 2019 lors du Festival du Film de Fesses.

                                     © Anna Biller Productions

La maman et la putain

Comme nous l’avons dit précédemment, la sorcière a le vent en poupe ces dernières années, et ce pour notre plus grand plaisir. Aujourd’hui icône féministe, elle fut longtemps une figure démoniaque moyenâgeuse sur le grand écran : dévoreuse d’enfants comme dans Les Sorcières (Nicolas Roeg, 1990) ou Hocus Pocus (Kenny Ortega, 1993) charmeuse dans Les sorcières d’Eastwick (George Miller, 1987) ou bien encore crainte comme dans The Witch (Robert Eggers, 2016) – on les retrouve aussi sur le petit écran avec des séries cultes comme Sabrina l’apprentie sorcière (créée par Nell Scovell de 1996 à 2003) remakée il y a peu sur Netflix, l’évident Charmed (créée par Constance M. Burge, de 1998 à 2006) qui connaît également un remake qu’on saura taire ou encore la formidable saison d’American Horror Story : Coven (Ryan Murphy, 2013). On pourrait citer un nombre conséquent de films, livres, séries, et autres arts citant la figure de la sorcière si bien que celle-ci a fait sa place dans notre imaginaire populaire. Indélogeable, les mouvements féministes ne se priveront pas de s’approprier une nouvelle fois (après un mouvement dans les années soixante-dix, notamment), la figure de la Sorcière. Avec un S majuscule pour la peine ! La jeune réalisatrice Anna Biller en fait partie, et signe le scénario, les costumes, les décors, le montage et la réalisation de The Love Witch, projet qui aura mis sept ans à éclore parce que Madame n’aime pas déléguer (qui suis-je pour juger, me direz-vous ?)

                     © Anna Biller Productions

The Love Witch conte l’histoire d’une jeune femme Elaine, qui s’installe dans une nouvelle ville où elle ne connaît personne, pour repartir de zéro depuis que son mari est mort. Dans sa décapotable, elle enchaîne les cigarettes tout en pensant à sa future vie. Elle s’installe dans un appartement au sein d’un manoir – que n’aurait renié ni les sœurs Halliwell ancienne génération, ni les sœurs Spellman nouvelle génération décoré par Trish, qu’elle vient juste de rencontrer, aux couleurs du populaire tarot de Thoth (beaucoup plus criard que le tarot de Marseille si vous voulez mon avis). Elaine rêve de trouver l’amour, de se faire enlever par un prince charmant qu’elle pense voir dans ses rêves, vêtu d’un beau costume blanc. La jeune femme pense que sa place est aux côtés d’un homme à qui elle pense devoir répondre aux fantasmes, le chérir, lui donner ce qu’il veut, prendre soin de lui, et que les représentants de la gente masculine sont des enfants bien faciles à satisfaire. Bref, de quoi hérisser le poil de pas mal de femmes (et d’hommes) en 2019. Heureusement, sa nouvelle amie, Trish bien que mariée depuis des années, a une tout autre vision de l’amour et du couple, contrebalançant avec des arguments bien sentis que son amie a une piètre vision d’elle-même et que tout ne tourne pas uniquement autour des hommes. Malheureusement, accro à l’amour Elaine, n’écoute que son cœur, et concocte des philtres beaucoup trop puissants pour les pauvres victimes qu’elle séduit. Forts et virils, ses compagnons d’une nuit tombent rapidement dans l’estime de la jeune sorcière, pendant qu’ils pleurent et réclament amour et tendresse avant de succomber d’une crise cardiaque. On comprendra plus tard, que la belle Elaine et ses perruques, souffre d’un terrible manque de confiance en elle. Insultée et maltraitée par son père et son premier mari elle reprend confiance en elle en rencontrant une espèce de secte che-lou, dans laquelle un homme est encore le grand manitou. Cette secte d’ailleurs, renforce le questionnement autour du wiccanisme, qui dans les années 60 à 70, était bien loin de libérer les femmes, tels qu’on le disait à l’époque, mais au contraire renforçait le patriarcat et la soumission féminine. Elaine, doit se soumettre à des rapports sexuels et se déshabiller au bon vouloir de cette incarnation terrestre du diable. Parfait archétype de la femme fatale dont le cinéma raffole l’apprentie sorcière est charmeuse dans tous les sens du terme et est peut-être même le personnage le moins féministe et le plus narcissique (elle peint des tableaux qui content son histoire, s’admire dans le miroir pour remettre sa perruque et ses faux-cils en place, etc) de toute la galerie colorée dépeinte dans ce film.

© Anna Biller Productions

« Toute l’histoire de la sorcellerie est née de la peur de la sexualité féminine » dira un personnage du récit. Intrinsèquement féministe, mais parfois difficilement lisible, The Love Witch c’est aussi et surtout, une fable écrite et réalisée par une femme, pour les femmes et à propos des femmes. En utilisant l’image de la sorcière et du paganisme, la réalisatrice raconte la manière dont la société patriarcale a pu former les femmes à avoir peur des autres femmes, à se jalouser entre elles et se montrer méfiantes tout en s’aveuglant de manière inconsidérée pour un homme. Mais la réalisatrice s’interroge aussi sur la théorie du genre et sur la masculinité. Elaine n’est attirée que par des stéréotypes du “mâle”. La première victime de la jeune sorcière est un professeur de littérature barbu, un peu sauvage, chemise ouverte et poil au torse. Un brin machiste, il correspond parfaitement à l’idée qu’Elaine se fait de “l’homme”. Ses autres victimes seront tout aussi “masculines”, parfaits petits archétypes à la mâchoire carrée et à la domination imposante. Dès lors qu’ils montrent des sentiments, à cause ou non du philtre trop puissant, qu’elle leur prépare, ou qu’ils la confrontent, ils deviennent encombrant pour Elaine, des “petites filles” (“such a pussy”), et Elaine reste incapable de se confronter aux sentiments, ne souhaitant qu’être considérée comme un objet pour flatter son ego meurtri.

Enfin, parlons peu, parlons images s’il vous plaît. Tourné en 35mm, The Love Witch emprunte les codes du Technicolor des années soixante et surtout les codes esthétiques du giallo ou du gothique de la Hammer, abusant délicieusement des couleurs franches et criardes et de paysages en projections lors des scènes de voiture. Certains y verront un pastiche des années soixante, frôlant parfois la parodie au point de prendre The Love Witch au second degré, alors qu’il ne s’agit que d’un hommage sincère et peut-être un peu trop référentiel de la réalisatrice pour cette époque. Pastiche assumé, The Love Witch est une fable intelligente autant que divertissante.  


A propos de Angie Haÿne

Biberonnée aux Chair de Poule et à X-Files, Angie grandit avec une tendresse particulière pour les monstres, la faute à Jean Cocteau et sa bête, et développe en même temps une phobie envers les enfants démons. Elle tombe amoureuse d'Antoine Doinel en 1999 et cherche depuis un moyen d'entrer les films de Truffaut pour l'épouser. En attendant, elle joue la comédie avant d'ouvrir sa propre salle de cinéma. Ses spécialités sont les comédies musicales, la filmographie de Jean Cocteau, les sorcières et la motion-capture.


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