Godzilla, naissance et évolution du Roi des Monstres


On ne présente plus Godzilla, le légendaire dinosaure radioactif a dans son pays natal plus de trente films à son actif, ainsi que trois adaptations made in Hollywood. C’est sans même compter ses nombreuses incursions dans le jeu vidéo, dans les comics, et à la télévision. Il est aisé de se perdre dans sa mythologie, et son évolution sur plusieurs décennies de cinéma. Pour y voir plus clair, le mieux est encore de redécouvrir les premières apparitions du premier Kaiju du cinéma, en retraçant l’histoire de Godzilla.

Tous les monstres réunis pour une bataille générale devant un gigantesque mont pour notre histoire de la saga Godzilla.

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Godzilla Cinematic Universe

Sur plusieurs décennies de cinéma, le cri « signature » de Godzilla a résonné plus de fois que l’on ne peut compter. La créature haute comme un gratte-ciel qui habite encore à ce jour la façade du multiplexe Toho de Shinjuku, au cœur de Tokyo, a sans aucun doute quelques marques de fabrique instantanément reconnaissables. Ce fameux cri donc, mais aussi sa crête dorsale épineuse chaotique, et son rayon bleu (laser, feu, curaçao ? Les paris sont ouverts) ravageant à peu près tout sur son passage. Godzilla, ou « Gojira » dans sa version non-occidentalisée s’inscrit également dans une mythologie plus large, celle des Kaiju Eiga (films de monstre), spécialité du studio Toho. Plus que cela, il en est à la fois le point d’origine et la clé de voute. Mais avant d’aboutir à l’image actuelle, et celle qui peut ressortir dans la récente mouture hollywoodienne Godzilla 2 : Roi des Monstres (Michael Dougherty, 2019), notre destructeur favori a connu bien des itérations. Les films qu’il habite sont malgré ses caractéristiques iconiques, très différents, dans leur style comme dans leurs intentions. C’est particulièrement vrai pour la première décennie « formatrice » du monstre, entre 1954 et 1964. Dans ces dix années Godzilla sera la star de cinq volets : Godzilla (Ishiro Honda, 1954), Le Retour de Godzilla (Motoyoshi Oda, 1955), King Kong vs. Godzilla (Ishiro Honda, 1963), Mohtra vs. Godzilla (Ishiro Honda, 1964) et Ghidorah, Le monstre à trois têtes (Ishiro Honda, 1964). Cinq longs-métrages qui exposent parfaitement l’évolution du monstre et de sa mythologie, en même temps que celle du Japon post-Seconde Guerre Mondiale et ses préoccupations.

Godzilla dans le film 1954 marche sur une structure de haute tension électrique pour notre histoire de Godzilla.

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Godzilla, premier du nom est sans doute, encore aujourd’hui, le plus sombre de tous. Ça n’est plus un mystère pour personne, Godzilla est né en premier lieu d’une inquiétude, celle de l’ère post-Hiroshima. A peine dix ans après la Seconde Guerre Mondiale, le Japon est encore fortement marqué par le conflit. En pleine reconstruction, le pays est encore pauvre, encore périodiquement touché par le manque de moyens et de nourriture. Surtout en 1954, un événement va raviver la blessure d’Hiroshima et Nagasaki, lorsque les passagers d’un bateau de pêche, le Lucky Dragon, sont touchés par accident par les essais nucléaires américains dans le pacifique. L’ouverture de Godzilla rappelle directement cet événement tragique, et ne fait aucun doute sur son caractère hautement politique puisqu’on y voit la première victime du géant, un bateau de pêche. C’est avec le plus grand sérieux qu’Ishiro Honda (ami et collaborateur d’un certain Akira Kurosawa), va s’atteler à filmer ce monstre titanesque en train de ravager Tokyo. Oui, ce ne sont que des maquettes – très réalistes et minutieuses – qu’un acteur en costume écrase avec ses pieds, mais les apparitions du monstre, assez sobres dans ce premier opus, restent terrifiantes. Les techniques de tokusatsu (effets spéciaux), principalement l’utilisation de maquette et la surimpression, sont utilisées pour provoquer l’effroi dans un récit assez pessimiste. Le salut ne vient que grâce au sacrifice d’un scientifique tourmenté par sa propre invention destructrice, capable de détruire Godzilla, mais qui pourrait aboutir à un armement plus effroyable encore que la bombe nucléaire. En 1954, la guerre de Corée, premier conflit majeur de la Guerre Froide vient alors de se s’achever. La peur du Japon d’être pris au piège dans une guerre qui le dépasse, entre bloc de l’Est et bloc de l’Ouest, n’a jamais été aussi concrète, et Godzilla en offre une allégorie explicite. A cette époque, le dinosaure nucléaire n’est pas encore une icône de la pop culture, il est le véhicule d’un message pacifiste.

Godzilla affronte Anguirus devant un temple traditionnel japonais, scène du film Le retour de Godzilla pour notre histoire de Godzilla.

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Mais voilà, ce premier opus rencontre un franc succès. A une époque où la situation financière de la Toho est plus qu’incertaine, la question ne se pose visiblement pas longtemps : à peine un an après sa sortie, Godzilla a le droit à une suite. Vient alors Le Retour de Godzilla, le seul de cette période à ne pas être réalisé par Ishiro Honda. Toujours en noir et blanc, notre reptile sous stéroïdes a pourtant déjà évolué. Déjà, il est nécessaire de trouver un moyen de le faire revenir car Godzilla premier du nom est bel et bien mort à la fin du premier opus. C’est donc sans trop réfléchir que les scientifiques présents à l’écran sont unanimes : un deuxième « Gojira » a émergé des eaux, pour tout détruire une fois de plus. Si le traitement du monstre, pris avec grand sérieux dans ses apparitions à l’écran est similaire, l’évolution est déjà en marche. Les considérations pacifistes, sur les dangers du nucléaire et de la Guerre Froide sont reléguées au second plan. Les tourments des personnages humains sont moins intenses. L’action en revanche se fait d’autant plus présente, la destruction de maquettes, toujours plus minutieuse et précise, redouble. Ce n’est donc pas un, mais deux affrontements qui éclatent. Le Retour de Godzilla apporte pour la première fois les codes de ce qui deviendra une marque de fabrique du Kaiju Eiga : l’affrontement entre géants. Entre ici en scène Anguirus, deuxième Kaiju de l’histoire du cinéma. Si Godzilla ressemble vaguement à un tyrannosaure, Anguirus serait lui plus proche d’un Ankylosaure – merci Jurassic Park III (Joe Johnston, 2001) pour la leçon de paléontologie. Les deux créatures se battent sous le regard impuissant des humains, détruisant la moitié de la ville d’Osaka et son fameux château. Cependant la star reste sans l’ombre d’un doute Godzilla, et l’affrontement final lui est bien réservé. Toho a tout de même retenu la leçon, dans l’éventualité d’une suite, Godzilla n’est pas éliminé définitivement, sait-on jamais…

King Kong s'apprête à ramasser des objets perdus sur le sol, de nuit, dans la nature, pour notre histoire de la saga Godzilla.

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Cette décision fut effectivement judicieuse, lorsque quelques années plus tard, la Toho, fêtant son trentième anniversaire, trouva en Godzilla l’adversaire de taille pour une autre légende du cinéma, King Kong. Ayant obtenu l’autorisation d’utiliser le patronyme du singe géant, roi de Skull Island, appartenant à la RKO, quoi de plus épique que de le mesurer à leur propre poulain ? Le paysage depuis la dernière apparition de Godzilla a cela dit bien changé. Déjà, plusieurs autres Kaiju ont eu le droit à leurs propres films, comme Rodan le ptérodactyle, et surtout, Mothra la bienveillante mite géante. Les Kaiju Eiga sont d’ores et déjà plus directement orientés vers le grand spectacle. King Kong vs. Godzilla marque donc un tournant pour le monstre emblématique. Pour la première fois en couleur, sa mise en scène diffère très largement de sa première apparition. La découverte du monstre se faisait alors progressivement, en le montrant dans son entier avec parcimonie, Ici, Godzilla, dont le design a très peu changé, commence sa transformation, et devient plus drôle, plus cartoonesque. L’affrontement final avec King Kong prend donc la forme d’une joyeuse bagarre, rappelant à bien des égards un match de catch costumé. En joli bonus, King Kong a aussi le droit à un face à face des plus amusants avec un poulpe géant. C’est désormais acquis, Godzilla à la fin de chacun de ses films reprend le large et disparait pour un temps sans être jamais vraiment vaincu, toujours prêt à revenir pour un sequel. Les suites d’ailleurs, après un long hiatus entre le second et le troisième opus, vont s’enchaîner bien plus rapidement dans les années qui suivent.

Le nid de Mothra, où elle veille son oeuf géant, scène du film Mothra vs. Godzilla pour notre histoire de Godzilla.

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En 1964 c’est donc deux Kaiju Eiga mettant en scène Godzilla qui voient le jour, tous deux achevant de sceller la mythologie qui l’entoure. L’excellent Mothra vs. Godzilla d’abord, va réunir les deux Kaiju les plus populaires de l’univers Toho. Protectrice d’une ile polynésienne habitée par des gens de petite taille qui la vénèrent, Mothra tente de protéger sa progéniture et le Japon d’un énième assaut du persistent Godzilla. La mythologie se met ainsi en place, en instaurant une véritable histoire et une personnalité propre aux monstres. C’est aussi avec Mothra vs. Godzilla que devient flagrante l’évolution du Japon. Encore marqué par les reconstructions dans les années cinquante, on voit ici le Japon dans une nouvelle ère de prospérité. En plus du spectacle Kaiju, c’est aussi aujourd’hui l’esthétique 60’s des costumes et des décors qui donne au long-métrage un charme certain. Le cross-over se poursuit très vite avec Ghidorah, le monstre à trois têtes. Quand ce dernier (grand méchant du dernier Godzilla hollywoodien) débarque de son météore sur la planète Terre, le doute n’est plus permis. Qui peut nous sauver de ce Kaiju ? Trois autres Kaijus, bien sûr. Mothra, sous forme de larve depuis le dernier opus, doit ainsi convaincre Godzilla et Rodan d’arrêter de se taper dessus quelques instants en détruisant au passage la moitié de l’agglomération, pour s’allier et défaire ensemble cette menace venue de l’espace. C’est un des grands tournants dans la carrière cinématographique de Godzilla : pour la première fois, il devient le protecteur du Japon, voire de la Terre. Un grand virage à 180° pour notre allégorie de la menace nucléaire. Cet attribut de protecteur reviendra régulièrement dans les épisodes suivants, jusqu’aux adaptations hollywoodiennes récentes. Le long-métrage est aussi l’occasion de s’en donner à cœur joie en termes de costumes et de maquettes, Ghidorah et ses trois têtes lançant des éclairs étant particulièrement réussis. Les personnalités des monstres sont encore plus marquées, jusqu’à avoir un Godzilla se tapant littéralement les cuisses en riant lorsque son compère Rodan reçoit un rocher sur le coin du bec. Tous les ingrédients sont réunis pour ce qui définira les Kaiju Eiga de l’ère Showa : un rassemblement plus ou moins importants de monstres à l’écran, du spectacle grand public via maquettes à détruire et humains en costumes de monstres, et une mythologie toujours plus dense, avec l’apparition régulière de nouvelles menaces gigantesques. De quoi faire prospérer la saga la plus longue de l’histoire du cinéma (et l’industrie du BTP au passage), pour bien des années.


A propos de Martin Courgeon

Un beau jour de projection de "The Room", après avoir reçu une petite cuillère en plastique de plein fouet, Martin eu l'illumination et se décida enfin à écrire sur sa plus grande passion, le cinéma. Il est fan absolu des films "coming of age movies" des années 80, notamment ceux de son saint patron John Hughes, du cinéma japonais, et de Scooby Doo, le Film. Il rêve d'une résidence secondaire à Twin Peaks ou à Hill Valley, c'est au choix. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riwIY

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