Parmi les incongruités du catalogue de Disney+ , nous autres, amateurs et défenseurs des cinémas de genres, seront surpris d’y découvrir Casebusters, un téléfilm réalisé par un certain… Wes Craven.
Est-ce Wes ?
Si le catalogue en ligne de la plateforme de la firme de Bob Iger est riches de chef-d’oeuvres rares à (re)découvrir, il peut dévoiler, si l’on cherche bien, quelques curiosités. La plus sérieuse d’entre elles est certainement ce téléfilm réalisé en 1986 par notre très cher et regretté Wes Craven, CaseBusters, pour le compte de l’émission hebdomadaire d’ABC intitulée The Disney Sunday Movie. Cette case dédiée à la marque mettait en avant des productions Disney qui sont un peu la préfiguration de ce que deviendront ensuite les Disney Channel Original Movies. Elle était elle-même l’héritière d’un rendez-vous chéri par de nombreuses générations d’américains qu’était le rendez-vous du dimanche soir, Walt Disney’s Wonderful World of Color présenté par Walt Disney lui-même de 1954, jusqu’à sa mort, en 1966. Cette émission servait au patron d’énorme fenêtre publicitaire – il s’en servit pour teaser la construction du premier Disneyland Resort qui ouvrir en 1955 puis de son petit (grand) frère Disneyworld – et d’espace de diffusion d’œuvres originales produites spécialement pour la télévision. La chaîne ABC s’imposa dès 1953 comme la partenaire télévisuelle privilégiée de l’univers Disney, en participant notamment au financement de la construction du premier parc et en étant le diffuseur privilégié de leurs productions. De nombreuses séries Disney à succès vont ainsi faire les bonnes heures de ABC, telles que Zorro (1957-1961) et Davy Crockett (1954). Plus tard, malgré l’ouverture de la chaîne câblée Disney Channel en 1983, sous la présidence de Michael Eisner, les relations entre ABC et la firme aux grandes oreilles demeurèrent, jusqu’au rachat définitif en 1996. La présidence de Eisner est marquée – outre par une folie expansionniste avec la construction des parcs parisiens et hong-kongais, entre autres – par une volonté de redorer le blason de la production audiovisuelle made in Disney, qu’il s’agisse de l’animation traditionnelle – c’est sous sa présidence que les studios d’animations vont remonter la pente et connaître leur second âge d’or dans les années 1990 – comme des films en live action avec une politique de rachat de petits studios destinés à produire des films plus « adultes » afin d’émailler plus largement les salles. Par cette politique offensive et relativement audacieuse, le nouveau patron de l’Empire Disney va réussir à ramener dans ses filets bon nombre de gros cinéastes de l’époque – nous vous en avions déjà parlé à l’occasion de notre chronique de Jack (Francis Ford Coppola, 1996).
De fait, voir Wes Craven embarqué dans une réalisation pour le compte de The Walt Disney Company n’est pas si étonnant, au regard du contexte de l’époque. Ce qui peut le plus surprendre, peut-être, c’est d’abord la nature même du projet en question : un téléfilm avec relativement peu de moyen et très clairement destiné au jeune public par son ton léger et comique. D’autant plus étonnant qu’au même moment ou presque, Disney ambitionne de réaliser des films plus horrifiques et sombres. En animation, la tentative fascinante que fut Taram et le chaudron magique (Richard Rich & Ted Berman, 1985) suivie par des productions en prise de vue réelles assez méconnues en France – et dont on vous parlera très vite – Oz, un monde extraordinaire (Walter Murch, 1985), La Foire des Ténèbres (Jack Clayton, 1983) et Les Yeux de la Forêt (John Hough, 1980). Malgré leur stature de films cultes, l’ensemble de ces productions ont été des échecs considérables au box-office et entachèrent, selon certains, l’image de Disney. Loin de nous l’idée de participer à ce préjugé simpliste qu’est de considérer l’univers Disney comme étant teinté essentiellement de mièvrerie et de bons sentiments, pour preuve, notre article en deux parties écrit il y a quelques années déjà, mettant en lumière 10 scènes d’horreur dans les films d’animation Disney. Aussi, apprendre que Craven a réalisé un téléfilm pour Disney ne peut que nous faire regretter qu’il n’ait pas été approché quelques petites années plus tôt, au moment où le studio souhaitait développer cette face cachée et terrifiante de son univers.
Au regard du téléfilm et de sa nature, ce qui étonne d’autant plus c’est que Craven ne le réalise pas à ses débuts. Il est au contraire au sommet de sa popularité, sortant tout juste du triomphe des Griffes de la Nuit (1984). Par ailleurs, il a déjà derrière lui quelques réalisations reconnues dans la petite sphère du cinéma d’horreur, que sont La Dernière Maison sur la gauche (1972), La Colline à des yeux (1977) et sa suite (1984) ou La Ferme de la Terreur (1981). Pourtant, malgré l’acmé que fut l’irruption de Freddy dans nos cauchemars, les années qui suivirent ce chef-d’œuvre dans la carrière de Wes Craven se sont principalement tournées vers la télévision. Ainsi, la quasi-totalité de ses projets entre 1985 et 1988 – hormis L’Amie Mortelle en 1986 – sont destinés au petit écran. Il participe ainsi à la renaissance de la série d’anthologie La Quatrième Dimension (Rod Sterling, 1959-1964) sous le titre La Cinquième Dimension (1985-1989) en signant sept épisodes. S’ajoute à cela le téléfilm Terreur Froide (1985) et bien sûr cette excursion chez Disney avec Casebusters (1986). Ce dernier demeure très clairement un OVNI dans la filmographie du cinéaste tant il s’éloigne relativement de son esthétique et de ses grands thèmes. Le téléfilm, qui a les apparences d’un épisode-pilote (un procédé que Disney employait beaucoup à l’époque, cela permettant, en cas de gros succès d’audience, de capitaliser sur les personnages en leur offrant une série dédiée) narre l’histoire de deux adolescents, Allie et Jamie – ce dernier étant incarné par Noah Hathaway, le jeune héros de L’Histoire sans fin (Wolfgang Peterson, 1984) – qui rendent visite à leur grand-père, policier à la retraite qui a du mal à raccrocher l’uniforme. Bien décidé à continuer à œuvrer pour la loi dans sa petite bourgade, il mène régulièrement des rondes dans son véhicule à gyrophares à la recherche du moindre malfrat à livrer à ses ex-collègues. Les deux enfants, fascinés par l’activité de leur « Super Grand-Père » (le titre français officiel du téléfilm, bien que très peu de monde le connaisse sous ce titre, voire personne) vont eux-mêmes se prendre au jeu. Alors qu’ils explorent la maison voisine qui est totalement abandonnée – donnant lieu à l’unique séquence où l’on reconnaît la patte du cinéaste, notamment dans son habilité à créer de la tension et de l’angoisse – il découvre que les voisins sont en fait des trafiquants de fausse monnaie. Avec leur papi et d’un jeune loubard qui devient leur ami, ils vont donc se mettre en chasse pour livrer ces malfrats à la police locale.
Si le téléfilm ne souffre d’aucune longueur, ce qui serait dommage au regard de son format (45 minutes) on peine à reconnaître la signature du cinéaste, outre cette séquence bien trop courte sus-citée qui lorgne clairement vers le film de maison hantée. Disons simplement que Wes Craven fait le job, consciencieusement, et n’essaie jamais de détourner ce scénario policé pour le tremper dans son habituel vernis d’horreur graphique et psychologique. Tout au plus, il officie à rendre le récit plus haletant et vif, donnant à cette course poursuite un rythme sûrement plus effréné que s’il n’avait été réalisé par un débutant ou un réalisateur de seconde zone. Difficile alors de placer Casebusters dans la filmographie du bonhomme, d’autant plus qu’il ne s’est – à ma connaissance et après recherches – jamais exprimé sur le pourquoi et comment de cette étrange aventure. Qu’il s’agisse d’un exercice de style parfaitement accompli ou d’un projet de commande destiné uniquement à payer les factures, le téléfilm ne prévaut aujourd’hui que pour sa qualité relative de petite curiosité et rareté à (re)découvrir, si tant est qu’on s’intéresse un tant soit peu au nom prestigieux qui en signe la réalisation. Pour les autres, passez votre tour, il y a tant de chef-d’oeuvres méconnus des années 1950-1980 dans ce catalogue, qu’il serait dommage de perdre quarante-cinq minutes devant ce téléfilm tout juste passable.