Des colons français traversent les grands espaces américains pendant la guerre de Sécession, dans un western porté majoritairement par un casting féminin. Le concept de base avait de quoi séduire, nous emporter, tout en s’inscrivant dans les réflexions contemporaines sur les représentations des femmes dans le western et plus largement au cinéma. Malheureusement ces grandes attentes s’achèvent sur une petite déception.
Elle Était Une Fois Dans l’Ouest
David Perrault l’explique en amont de la projection : son film a été un parcours du combattant à fabriquer, de A à Z. Difficile de le financer, conditions de tournages extrêmes. Son précédent et premier long-métrage, Nos Héros Sont Morts Ce Soir (David Perrault, 2013), présenté à la Semaine de la Critique, remonte en effet à déjà plus de six ans. Ses acteurs acquiescent tous, le tournage a été pour eux une expérience très intense… L’Etat Sauvage se concentre sur un road trip en plein hiver. Nos protagonistes sont une famille de colons français résidant dans le sud des Etats Unis, en territoire confédéré. Lorsque les sudistes sont sur le point de perdre, le patriarche, à cause de leur statut quelque peu « collabo », prend peur quand l’armée nordiste débarque dans leur province. La famille entière, Edmond, sa femme, ses trois filles ainsi que leur domestique prennent la route pour rejoindre un bateau pour la France, escorté par Victor, un cow-boy sauvage et mystérieux. Ce voyage est notamment l’occasion pour ces jeunes filles de bonne famille de découvrir le « monde réel », de s’émanciper et dépasser la condition dans laquelle leur rang les cantonnait jusqu’alors.
Ce programme avait de quoi nous appâter. Un western moderne, avec une intrigue assez peu commune, un potentiel sous-texte politique passionnant. Malheureusement au bout des deux heures de récit, force est de constater que le film déçoit un peu et ne semble pas aller réellement au bout de la démarche annoncée. Pourtant L’Etat Sauvage possède d’indéniables qualités de réalisation. L’objet est beau, et dès lors que les décors naturels débarquent à l’écran, se distinguent clairement des choix audacieux. David Perrault préfère en effet, au milieu des paysages américains époustouflants, rester très proche de ses comédiens et comédiennes pour être au plus près de leurs émotions et tourments dans ce road trip hors normes. Même les très beaux plans larges semblent faits pour mieux y découper les silhouettes des protagonistes. On retiendra également quelques plans forts, dont une scène de dîner qui vient bouleverser avec simplicité et intelligence l’ordre social établi, ou encore la vision de la sororité qui prend les armes pour la première fois.
Malgré cela, un goût d’inachevé survient. Passé le premier quart d’heure et les cartons d’explications qui le précèdent, la problématique des colons français pris au milieu de la guerre de sécession se perd totalement. C’est finalement une hors-la-loi et sa bande de malfrats constamment encagoulés qui font lieu d’antagonistes, là où on aurait pu espérer que le récit continue à jouer sur les Français piégé entre nordistes et sudistes. Pire, les motivations de cette femme des hautes plaines sont finalement assez décevantes. Elle n’est ni chasseuse de prime, ni à la recherche d’un butin de la part de cette famille bourgeoise. C’est en réalité l’ancienne amante éconduite de Victor, le garde du corps, qui poursuit le cortège pour le reconquérir ou, en cas d’échec, se venger. Cela résume bien le principal souci de ce western à la française : le contexte est intéressant, avec cette idée de mettre au centre de l’intrigue une majorité de femmes pour faire de ce genre souvent très masculin un vecteur d’émancipation était là. Mais on regrette que L’Etat Sauvage finisse par cantonner ses héroïnes à des intrigues amoureuses, pas très innovantes de surcroît. Ainsi Esther la plus jeune soeur, interprété par Alice Isaaz, passe finalement tout son temps à l’écran à montrer son attirance pour le cow-boy bourru et sauvage ; la matriarche (Constance Dollé), est consumée par sa jalousie envers la domestique Layla (Armelle Aribou), qui entretient une relation avec son mari ; la deuxième sœur (Maryne Bertieaux), se laisse mourir car son promis a été assassiné. Ces intrigues qui sont sensés sous-tendre tout le voyage, ne sont ni très originales ni très bien senties. Il semble assez malheureux voire contre-productif, alors que le long-métrage est censé être un voyage initiatique et d’émancipation féminine, que les seuls intérêts des femmes, tournent autour des sentiments amoureux.