Brimstone 1


C’est un peu le film qui sort de nulle part, pourtant présenté à la 73ème Mostra de Venise. Son réalisateur, Martin Koolhoven, est bien connu du cinéma néerlandais et frappe très fort pour ses premiers pas à l’international avec Brimstone.  Un western féminin et féministe qui est l’occasion de faire plus ample connaissance avec un univers surprenant, poignant et intelligent qui ne laissera personne sortir indemne des salles obscures.

Morte ou vive

Dans un Far West sans foi ni loi comme le cinéma les aime, une femme muette se voit confrontée à un homme la traquant sans relâche depuis des années, mettant sa famille en danger, menaçant de révéler un passé chargé de secrets. Le pitch de Brimstone peut paraître quelque peu anodin, très mystérieux, et ce n’est pas plus mal, car il se révèle être l’une des pépites de cette année 2017. Depuis quelques années les figures féminines se multiplient parmi les cow-boys, de Hailee Steinfield dans l’excellent True Grit (Joel et Ethan Coen, 2010) à Natalie Portman dans le moyen Jane Got a Gun (Gavin O’Connor, 2016) en passant par January Jones dans le très bof Shérif Jackson (Logan Miller, 2013). Aucune d’entre elles ne parvient cependant à atteindre le degré d’intensité de Dakota Fanning dans Brimstone. Le film joue avant tout sur le réalisme d’époque, plus précisément sur la place des femmes tour à tour soumises, maltraitées, tuées. Un film à contrepied des violences habituelles que l’on peut voir dans les westerns de Sergio Leone ou même Tarantino (Django Unchained, Les Huit Salopards) pour dépeindre la vie d’une femme et son combat pour vivre et survivre. Les figures féminines dans le western ne sont pas rares, souvent reléguées aux rôles de prostituées ou « femme de » / femme trophée. Rares sont finalement celles tentant de s’adapter à cet univers d’homme et de violence. Brimstone fait le pari audacieux de réinventer le rôle que peuvent tenir les femmes dans le Grand Ouest, bien plus profond et intense que celui d’un simple shérif ou gangster. Dakota Fanning interprète à la perfection Liz, héroïne ni totalement femme, ni totalement enfant, confrontée tour à tour au poids de la religion réinterprétée et de la soumission très forte du sexe féminin à l’époque. Il y a un peu de La nuit du chasseur (Charles Laughton, 1956) dans ce thriller aussi froid que sans pitié, où les plus faibles se retrouvent confrontés à une figure toute puissante. S’ensuit une véritable chasse à l’homme dans un récit anti-chronologique, nous plongeant doucement dans les origines de Liz et de son calvaire.

À travers Brimstone, Koolhoven réécrit la définition même de la descente aux enfers. Le film est découpé en quatre chapitres intitulés « Apocalypse », « Exodus », « Genesis » et « Retribution », l’introduction plutôt posée et paisible ne tarde pas à plonger peu à peu dans l’horreur la plus totale. La force du film tient en la triste histoire de Liz qui, soigneusement découpée dans sa narration, ne cesse d’aller toujours plus loin. Si beaucoup résument la violence du film à l’action pure et dure (petit étripage, balles dans la tête, pendaisons et autres joyeusetés), ce ne sont pas tant les règlements de comptes qui choquent que le poids d’un traitement féminin impitoyable, où la moindre action de rébellion ou interrogation aura comme sentence au mieux la torture, au pire la mort. Liz en a conscience, mais décide de se battre jusqu’au bout à son niveau, que ce soit face à Guy Pearce ou ses autres adversaires, tous bien entendu masculins. Chaque chapitre nous entraine dans une horreur bien pire que la précédente dans le traitement accordé aux personnages féminins, jusqu’à un final aussi explosif que dramatique. Le spectateur n’a de répit qu’une fois les premiers cartons du générique arrivés, nous laissant méditer sur les nombreuses cruautés sexistes dévoilées.

Cette violence psychologique, on la doit avant tout à l’incroyable (et je pèse mes mots) Guy Pearce, parfait dans le rôle d’un prêtre manipulateur et pervers. Si l’acteur avait réussi à placer la barre très haut avec Des Hommes sans loi (John Hillcoat, 2012), il incarne à merveille la figure cruelle du faux prophète, et réussit à nous faire paniquer à la moindre apparition. La religion vient au cœur même du récit, et se pose comme prétexte aux violences accordées aux femmes dans les strates les plus croyantes, d’où bien sûr Liz est originaire. Si la religion n’atteint pas les hommes, qui tuent, violent, torturent, et tordent les versets saints à leur avantage, les femmes se doivent de respecter la moindre des déclarations bibliques. Une injustice que réalise rapidement notre héroïne qui, au lieu de se venger du moindre mâle sur sa route, décide de s’adapter à sa condition sans pour autant rester passive. Le récit qui ne joue donc pas sur la vengeance mais l’espoir, celui d’un avenir meilleur et paisible pour une jeune femme qui en a déjà trop vu et vécu.

Brimstone est la claque que personne n’a vue venir, une expérience viscérale et très forte qui ne peut laisser indifférent qui que ce soit. Porté par l’incroyable duo Fanning/Pearce, le casting est complété par le discret Kit Harrington et la très convaincante Emilia Jones, sans oublier Carice van Houten, soufflante en femme martyre. Fort d’une mise en scène de toute beauté, Koolhoven joue tour à tour avec les paysages grandioses et les pièces étouffantes des habitats où l’héroïne se retrouve prisonnière, avec un soin du détail admirable. Brimstone est à ne rater sous aucun prétexte : engagé, somptueux, et poussant la réflexion de la condition féminine dans un western aussi horrible que jouissif. Un coup de maître !


A propos de Jade Vincent

Jeune sorcière attendant toujours sa lettre de Poudlard, Jade se contente pour le moment de la magie du cinéma. Fan absolue de Jurassic Park, Robin Williams et Sono Sion, elle espère pouvoir un jour apporter sa pierre à l'édifice du septième art en tant que scénariste. Les rumeurs prétendent qu'elle voue un culte non assumé aux found-footages, mais chut... Ses spécialités sont le cinéma japonais et asiatique en général.


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