L’empire de la passion


Découvert lors de la sixième édition du Festival de Film de Fesses, le primé à la mise en scène du Festival de Cannes de 1978, L’empire de la passion bouleverse les codes des Kaidan-Eiga, traditionnels films de fantômes japonais. Retour sur l’une des œuvres marquantes du cinéaste japonais Nagisa Oshima.

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I’m your Venus

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Le réalisateur japonais Nagisa Oshima est un habitué des scandales. Son cinéma politique et/ou érotique au style inédit l’inscrit dans le courant – il en est même le plus illustre représentant – de la nouvelle vague japonaise. Suite à sa rencontre avec le producteur français Anatole Dauman qui lui propose la production d’un film érotique, le réalisateur japonais signe L’empire des sens (1976). Présenté lors de la quinzaine du festival de Cannes la même année, il conte l’histoire vraie d’une ancienne prostituée japonaise et de son patron avec qui elle a de violents ébats charnels. Scènes de sexes non simulées, dénouement macabre, le film choque la croisette et s’assure de fait, un succès en salles. Deux ans plus tard, Nagisa Oshima signe L’empire de la Passion, lui aussi inspiré d’un fait divers, loin d’être une suite, mais s’inscrivant dans une démarche similaire, bien que moins osée. Les deux forment un diptyque et sont pour le réalisateur, indissociables. Alors que L’empire des sens était tourné en intérieur clos, L’empire de la Passion s’égare dans les montagnes japonaises et dans un village médiéval. Seki, femme au foyer d’un pousse-pousse se rapproche de Toyoji jeune homme de vingt-ans son cadet. « Amoureux », ce dernier se jette sur Seki et la viole. Vision d’un cinéaste masculin oblige – on y reviendra en fin d’article – la jeune femme éprouve du désir et du plaisir à cet abus, et tombe amoureuse en retour de Seki. Profitants des longues journées de travail du pauvre mari, Seki et Toyoji s’ébattent sans complexes, et poussent chaque jour un peu plus loin l’expérience, jusqu’au jour où Toyoji, refusant d’entendre à nouveau le « non » catégorique de sa maitresse, rase entièrement le pubis de cette dernière. L’épilation commise, les deux amants réalisent alors que le mari s’en rendra compte et décident de le tuer. Une fois encore Seki se laisse embarquer par son jeune galant alors qu’elle manifeste un refus. Une fois le bonhomme tué, les amants diaboliques, cachent le corps dans un puit, trouvent un mensonge pour expliquer l’absence du mari pour … cacher encore leur relation aux gens du village (tout ça pour ça). La culpabilité faisant son œuvre plus rapidement que le temps, le fantôme du mari revient, trois ans après, hanter la, plus si jeune, femme et les deux tourtereaux doivent rendre des comptes au village.

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Reprenant les codes du film noir et signant avec ce film un retour au classicisme, Nagisa Oshima s’affranchit cependant des codes des fantômes traditionnels des légendes japonaises (Kaidan-Eiga). Alors que d’ordinaire le fantôme est celui de la femme vengeresse, celui de L’empire de la Passion est un homme, plutôt passif, qui ne demande que de l’eau de vie et des vêtements propres. Contrairement aux frères Dardenne cette année, le cinéaste japonais n’a pas volé son prix de la mise en scène au Festival de Cannes, signant des plans à la photographie somptueuse et aux cadres précis, il parvient à capturer toutes les nuances d’un jeu d’acteur aussi émouvant qu’éprouvant. Mention spéciale pour la sublime affiche, osée et riche en symboles, signée Roland Topor, mettant en relation les deux endroits charnières du film, à savoir la Montagne et le pubis de Seki dans deux formes de triangles, rappelant également le triangle amoureux.

Je profite de cet article, pour soulever deux importantes notions, que sont celles du consentement et du regard masculin. Rassurez-vous cher.e.s lecteurs.ices, je ne tiendrai pas ce propos à chaque article que je posterai ici, que ce soit au sujet du Festival du Film de Fesses ou pas – quoique, dans la mesure ou nous sommes sur un site de cinéma de genre(s), il serait capital que nous mettions en avant ces deux notions, qui tendent à être de plus en plus présentes. Semblant s’inscrire dans un mouvement d’éveil féministe, le Festival du Film de Fesses n’a pas semblé – cette année en tout cas – s’interroger, de par sa programmation comme dans ses interventions préalables aux films – sur ces deux notions capitales. Si l’on excepte The Love Witch – même si la lecture de ce dernier reste difficile tant il n’est pas si clair que ça – Under the Skin et a fortiori A girl walks home alone at night (Ana Lily Amirpour, 2015) – même si là encore je pourrais en débattre – je n’ai vu de cette sélection que des films dans lesquels la sexualité féminine m’a semblé traitée uniquement par le prisme du regard masculin. Prenons l’exemple de La fille de Dracula (Jess Franco, 1972) ou encore Le bijou d’amour (Patrice Rhomm, 1978) dans lesquels les jeunes femmes se dénudent sans plaisir et ou les scènes de sexes lesbiens relèvent uniquement du fantasme masculin. Dans ce dernier nous ne voyons par ailleurs jamais apparaitre le sexe du protagoniste principal, pourtant centre de toutes les attentions féminines. Alors bien sûr, à d’autres époques, d’autres mœurs. Mais n’est-il pas capital qu’en 2019, nous puissions voir une programmation qui, en dehors de surfer sur la hype actuelle des cinémas de genres, remettent en question, ou au moins interroge, le rapport de ces films au plaisir et aux corps féminins ? 


A propos de Angie Haÿne

Biberonnée aux Chair de Poule et à X-Files, Angie grandit avec une tendresse particulière pour les monstres, la faute à Jean Cocteau et sa bête, et développe en même temps une phobie envers les enfants démons. Elle tombe amoureuse d'Antoine Doinel en 1999 et cherche depuis un moyen d'entrer les films de Truffaut pour l'épouser. En attendant, elle joue la comédie avant d'ouvrir sa propre salle de cinéma. Ses spécialités sont les comédies musicales, la filmographie de Jean Cocteau, les sorcières et la motion-capture.

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