[Carnet de bord] Festival de Cannes 2025 • Bilan, Tops et Palmarès


Le festival de Cannes 2025 vient de s’achever sur un palmarès dont le casting était à peu près le bon, mais dans un ordre qui nous est apparu comme bien convenu. C’est particulièrement le cas pour cette édition dont on retiendra avant tout les gestes les plus aventureux, mais aussi certains plus discrets, passés trop inaperçus.

Une jeune femme a l'air épuisé marche dans le désert, derrière elle un homme semble la suivre ; plan issu du film Sirat de Oliver Laxe prix du jury au festival de Cannes 2025.

« Sirat » de Oliver Laxe © Tous droits réservés

Fuir ou exploser

C’est, dans le fond, tous les ans un peu la même histoire : on croit qu’on est totalement indifférent au palmarès qui vient conclure le festival de Cannes, et pourtant on ne peut s’empêcher de le suivre avec impatience et de râler quand nos chouchous ne sont pas au plus haut des marches. Cette année, le sentiment qu’on éprouve est ambivalent, aussi bien pour le palmarès que pour la Compétition toute entière. D’un côté, il contient certains des gestes que nous avons le plus défendus – Sirt, Resurrection (malgré de légers bouts de déception), dans une moindre mesure Sound of Falling – de l’autre, il a réservé pour les objets les plus consensuels les prix les plus importants. Bien sûr nous nous réjouissons pour Jafar Panahi, au vu de la brutalité de son destin face au régime iranien, mais force est d’admettre que cette Palme d’Or (pour Un Simple accident) était si prévisible qu’elle était déjà annoncée avant même qu’on soit arrivé à Cannes… Par ailleurs, le film n’est pas celui qui nous aura le plus passionnés : son scénario est trop démonstratif et sa forme, certes précise mais un peu appuyée en faisant un objet un poil trop stratège, trop habillé pour la Palme. Il paraît assez évident que le jury a départagé démocratiquement trois œuvres qui auraient pu être être sur cette marche la plus haute. C’était d’ailleurs les trois films les mieux accueillis ici : le Panahi donc, le Kleber Mendonça Filho et le Joachim Trier (Valeur Sentimentale). Trois films tenus (surtout L’Agent Secret, qui se partage, lui, deux prix, pour son interprète principal, Wagner Moura, et sa mise en scène) qui manquent à notre avis de zones d’ombre, de mystères, d’envolées formelles, reposant trop sur leur charme ou des logiques narratives attendues.

Une jeune femme, en robe noire semble-t-il du début du XXème siècle attend sous la neige, devant un bâtiment aux murs sombres ; plan issu du film Resurrection de Bi Gan projeté au Festival de Cannes 2025.

« Resurrection » de Bi Gan © Tous droits réservés

Le jury ne sera donc pas tout à fait passé à côté des gestes les plus forts et radicaux de la Compétition mais leur aura donné une place de consolation malvenue. Revenons d’abord sur la nouvelle invention, toujours aussi aberrante, d’un Prix « spécial » pour Bi Gan. Cette façon de toujours ramener à la marge les propositions les plus fortes, de les assigner à une place « à part », a quelque chose de profondément horripilant, témoignant du fait que les jurés ne veulent pas avoir l’air de passer à côté de l’originalité tout en masquant mal leurs vœux d’académisme. Le long-métrage de Bi Gan, totalement polymorphe, nous a un peu décontenancés sans doute pour partie à cause de l’attente qu’il suscitait après deux premiers essais éblouissants. Éblouissant, le film l’est plus d’une fois, en particulier dans un prologue muet d’une puissance figurative inouïe tout comme un plan séquence, traditionnel chez lui, qui constitue sans doute les deux plus beaux blocs vus cette année à Cannes. Au milieu, si le film reste très souvent impressionnant, passionnant, il m’a aussi paru parfois plus relâché, le cinéaste semblant un peu contraint par son projet d’épouser toute l’Histoire du cinéma. Il le fait avec une candeur qui bouleverse souvent, hélas parfois avec quelque chose d’un peu plus sentencieux qui me laisse malheureusement plus à distance. Son rapport à la cinéphilie est aux antipodes de la légèreté de Nouvelle Vague de Richard Linklater que nous avons défendu malgré une toute petite déception, et qui avait pourtant lui aussi sa place au palmarès. Bi Gan, encore très jeune cinéaste (il n’a que 35 ans), cherche peut-être un peu trop à justifier son ambition rétrospective par une certaine pesanteur, par laquelle il atteint tout de même parfois le splendide : lors d’une projection de L’arroseur arrosé des frères Lumière, ou dans un dernier plan funèbre déchirant. Quoi qu’il en soit, cet objet fou aurait fait un Grand Prix idéal, étant donné que c’est historiquement celui qui récompense les plus radicaux.

Course entre deux camions côte à côte dans le désert du film Sirat de Oliver Laxe.

« Sirat » de Oliver Laxe © Tous droits réservés

Cela étant dit, notre Palme d’Or serait allée à une proposition non moins radicale : Sirt d’Oliver Laxe, comète complètement folle déployant des détonations et des ruptures de ton qui n’ont cessé de nous obséder tout au long des dix derniers jours. Là encore, le limiter à une telle place – un Prix du Jury ex-aequo avec Sound of Falling, qui nous a intéressés à un degré bien moindre – nous paraît au mieux à côté de la plaque, au pire vraiment déplacé. À quoi reconnaît-on les grands films d’un festival de Cannes ? Sans doute à leur manière de créer des images qui non seulement nous poursuivent, mais aussi donneraient le la de la compétition toute entière. Les explosions de Sirt , sans trop en dire, sont sans doute celles qui expriment le mieux l’état dans lequel nous nous trouvons face au monde qui nous entoure, autant qu’elles agissent comme un réveil salutaire, provoquant littéralement des sursauts dans nos corps et nos consciences.

Josh O'Connor manteau et chapeau de laine sur la tête se tient debout, songeur, contre une voiture, les bras croisés, dans le film The Mastermind de Kelly Reichardt sélectionné au Festival de Cannes 2025.

« The Mastermind » de Kelly Reichardt © Tous droits réservés

Si le reste du palmarès se révèle sans réelle faute note, en particulier pour ses Prix d’Interprétation (même si nous avons été peu convaincus par le film d’Herzi, son interprète principale n’a pas volé cette récompense), il me semble qu’il n’a pas tout à fait pris la mesure des gestes les plus forts de la Compétition, des explosions qui nous ont réveillés, mais aussi d’expériences moins voyantes, tout aussi importantes. Une réelle absence, beaucoup plus discrète, bien moins explosive, nous attriste infiniment. The Mastermind de Kelly Reichardt, faux petit film merveilleux qui nous a lavé les yeux le dernier jour de la Compétition, par la méticulosité de sa mise en scène (qui aurait mérité plus que tous les autres le prix la récompensant), et sa capacité à mêler ironie et trouble de manière discrète, patiente et, disons-le, magnifique. Ce portrait d’un imbécile en fuite obligée suite à braquage raté faisait, là-aussi, écho à notre état. Alors que le monde brûle autour de lui – la toile de fond est celle de la guerre du Vietnam et de l’émergence de mouvements contre-culturels – le personnage ne regarde jamais au bon endroit, concentré sur ses enjeux bien superficiels. Il fuit, à défaut de faire mieux. Ce motif de la fuite et du regard décalé, au mauvais endroit, était également au cœur du film le plus fort politiquement vu ici, et absent scandaleux de la compétition : Yes de Nadav Lapid, projeté à la Quinzaine des cinéastes. Le long-métrage n’est pas sans limites et est forcément inégal au vu de son ambition, mais Lapid continue d’y raconter, avec une grande force, sa fuite inévitable de son pays d’origine, dirigé par un État chaque jour un peu plus criminel, à travers le portrait d’un personnage dansant de façon obscène au dessus de l’horreur. Reichardt et Lapid, avec leurs personnages qui ne regardent pas là où il faut, ont su nous inviter à faire mieux qu’eux : apprendre à regarder au bon endroit. Gageons qu’un jour, un jury en sera capable.


A propos de Pierre-Jean Delvolvé

Scénariste et réalisateur diplômé de la Femis, Pierre-Jean aime autant parler de Jacques Demy que de "2001 l'odyssée de l'espace", d'Eric Rohmer que de "Showgirls" et par-dessus tout faire des rapprochements improbables entre "La Maman et la Putain" et "Mad Max". Par exemple. En plus de développer ses propres films, il trouve ici l'occasion de faire ce genre d'assemblages entre les différents pôles de sa cinéphile un peu hirsute. Ses spécialités variées oscillent entre Paul Verhoeven, John Carpenter, Tobe Hooper et George Miller. Il est aussi le plus sentimental de nos rédacteurs. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riNSm

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

dix-neuf − six =

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.