Alors que l’industrie du jeu vidéo connaît l’une des plus grandes crises économiques de son histoire, voilà qu’en cache-galère apparaît la saison 1 de Secret Level, comme un bel interlude venant couvrir l’incendie en coulisses. 15 bulles tirées de 15 franchises plus ou moins connues, animées par 7 studios internationaux différents, portées par le créateur de Love, Death and Robots. Pur produit du choc des titans du divertissement ou bac à sable d’une nouvelle génération de film et d’auteur.ices ? Les deux, mon général.

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Quand on ignore plus la cinématique
Vibration sur la bande passante le 14 août dernier après l’annonce émue de Tim Miller (Deadpool, Terminator : Dark Fate) à la Gamescom. Après tout, il n’aura fallu que 50 ans de bons et loyaux services pour que les auteur.ices de cinématiques de jeux vidéos se voient accorder une petite place à la grande table de l’audiovisuel. 50 ans pour que leurs œuvres animées sortent de leur carcan originel, toujours intercalées entre deux séquences de gameplay ou servant de vitrine publicitaire à des jeux peinant à suivre graphiquement. Voilà qu’enfin en 2025, une petite tribune, un petit espace de liberté leur est gracieusement offert par la flèche bezosienne. Louche ? Évidemment. N’oublions pas d’abord que la guerre des plateformes fait rage. Et que dans une guerre, surtout commerciale, être le premier sur la nouveauté est primordial. On peut donc imaginer que le succès public et critique de Love, Death & Robots (Tim Miller, 2019), série produite par Netflix et inspirée du culte magazine français Métal Hurlant, encensée pour sa créativité, sa diversité, son audace, a dû faire saliver ou grincer des dents à la flèche. À peine deux ans après, alors que sort la saison 2 de Love, Death & Robots, Amazon lance le développement de Secret Level, qui reprendrait un format similaire : une série anthologie d’une quinzaine d’épisodes courts, réalisés par différents studios d’animation, à qui sera laissé une quasi-totale liberté de forme et de narration. Mieux encore dans “l’hommage”, Prime va jusqu’à engager le même capitaine de bateau, Tim Miller, qui avec son équipage de Blur Studio (VFX sur Avengers: Age of Ultron, générique de Girl with the Dragon Tattoo, trilogie Sonic…) travaille pour les jeux vidéos depuis des lustres : GTA, Quake, Wolfenstein, Spider-Man, Need for Speed, Sonic, Halo, Star Wars: The Old Republic, Dark Souls, Call of Duty… Des franchises ultra-cultes aux cinématiques mémorables. Secret Level saison 1 dépasse donc la simple copie et offre à Tim Miller l’occasion de créer un nouvel incubateur à talents et projets. Un nouveau projet qui l’installe définitivement comme le héraut des studios d’animation auprès d’Hollywood, dont les rapports ne sont pas au beau fixe, mais aussi comme un pionnier protéiforme, abattant les frontières entre cinéma, animation et jeu vidéo.

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Deuxième mouvement sur l’échiquier 3D de la Guerre des Plateformes, l’adaptation des jeux vidéos en films et séries. L’idée n’avait pas vraiment été prise au sérieux avant la fin des années 2010. Les studios se contentaient d’acheter des titres (et leurs fans) sans y investir les efforts et les moyens nécessaires à pallier l’absence de jouabilité. Résultat, une ribambelle de live action assez gênants, aux cosplays et décors approximatifs, aux narrations inégales, allant de Super Mario Bros (Rocky Morton / Annabel Jankel, 1993) à Tekken (Dwight Little, 2010). Mais durant la décennie 2010, trois productions viennent changer la donne : The Lego Movie (Chris Miller/Phil Lord, 2014), Warcraft (Duncan Jones, 2016), Pokemon : Detective Pikachu (Rob Letterman, 2019). D’instinct, on associerait plutôt le Lego Movie à une adaptation complètement originale du jeu de construction physique. Le film (la compagnie Lego) souligne de lui-même la liberté que permet la fameuse brique neutre, que tous les univers présentés (collections disponibles) ne sont que des suggestions, et que c’est le joueur (le client) le vrai créateur. Le studio d’animation derrière cette production, Animal Logic, est même allé jusqu’à adopter un style d’animation réaliste et saccadé, pour reproduire l’esthétique des brickfilms, un sous-genre conséquent de la stop-motion amateur. Mais malgré cette inspiration, cet univers plein de second degré et de références pop n’a pas été construit de toutes pièces (pardon) par le génie comique de Chris Miller et Phil Lord (Tempêtes de Boulettes Géantes, 21 Jump Street…). On le retrouvait en effet déjà à travers les très nombreux jeux vidéos Lego développés depuis 2005 par Traveller’s Tales et Griptonite Games, qui ont non seulement permis à la marque de ne pas rater le train du vidéoludique, mais lui ont aussi de se démarquer dans le ton des autres sociétés de figurines. C’est donc en récupérant cet esprit que The Lego Movie devient l’un des premiers exemples à réussir le pari de l’adaptation, étant déjà l’un des premiers cas à être quasiment entièrement composé d’imagerie numérique.

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Puis en 2013 vient Warcraft. Probablement dans les fourneaux depuis l’explosion du MMORPG (Massively Multiplayer Online Role-Playing Game) en 2004, l’œuvre est malheureusement condamnée d’avance, écrasée par les attentes contradictoires de millions de joueurs, autant fascinés par la profondeur de la narration du jeu d’origine que par son aspect et son humour cartoonesque. On en retiendra cependant un étonnant contraste : si les scènes live-action sont criantes d’inefficacité, de rattrapages numériques et d’un casting peu convaincant (et sûrement peu convaincu), les parties full-CGI sont surprenantes de qualité, mêlant habilement performance et motion capture pour donner vie à toute une culture orque, parachevant ainsi la prouesse de la franchise d’humaniser ces monstres. Des séquences qui apparaissent clairement dans la lignée des neuf ans de cinématiques du jeu d’origine (et plus si on compte celles du jeu de stratégie qui l’a précédé). Et si c’était ça que le public attendait ? Enfin, le glorieux Détective Pikachu. Une adaptation qui tire sa liberté et sa créativité du peu d’attente que les joueurs avaient de la sous-franchise Detective Pikachu (Nintendo, 2016) et qui en profite pour répondre à un rêve de joueur développé par un autre jeu à succès, Pokemon GO (Nintendo, 2016) : et si les Pokémon existaient dans le monde réel ? Un choix relativement risqué qui portera ses fruits, le long-métrage devenant l’adaptation de jeu vidéo la plus rentable de l’Histoire uniquement dépassée à ce jour par ses descendants directs, Super Mario Bros, le film (2023) et Sonic 3 (2024). C’est d’ailleurs probablement grâce à ce succès qu’ont pu exister les petits bijoux d’adaptations sériels que sont Arcane, FallOut, The Last of Us, mais aussi le moins convaincant Uncharted (Ruben Fleischer, 2022) et l’échec cuisant de Borderlands (Eli Roth, 2024). L’interminable liste de projets d’adaptations de jeux vidéos annoncés ou en développement montre bien que la tendance prend et qu’une nouvelle ère commence. Reste à se demander maintenant si les studios feront force des outils narratifs et visuels déjà apportés par des décennies de créativité et de travaux vidéo-ludiques, surtout s’ils poursuivront cet effort de ne pas répliquer bêtement à l’écran ce qui fonctionnait sur console : c’est justement ce qui rend si intéressant le projet de Secret Level. En étant respectueuse des envies des auteur.ices et des attentes insoupçonnées du public, la série théoriserait presque cette approche de l’adaptation en une méthode précise, une nouvelle formule pour les studios impatients de s’emparer de ce nouveau vivier. Prenons le temps donc de distinguer les potentiels qu’elle révèle, tout comme ses limites.
Ce qui frappe d’abord dans cette anthologie, et c’est l’un des plus grands reproches qui lui ont été fait, c’est la brièveté de ses épisodes. 19 minutes pour les plus longs, 8 minutes pour les plus courts, plus long qu’une cinématique ou un trailer, plus court que les 26 minutes sérielles classiques d’un format animation. Rien de grave en soi, on connaît aujourd’hui des formats devant tenir entre deux stations de métro, pourtant ici le ressenti est bien globalement de l’ordre du “trop court”. On pourrait mettre ça sur le dos de l’anthologie, comme dans Black Mirror (Charlie Brooker, 2011) ou Le Cabinet de Curiosités (Guillermo del Toro, 2021), ces séries ont la dure mission de nous faire découvrir des univers complets par le biais d’une anecdote qui s’y déroule, celle-ci devant être tout autant fascinante. Au pire, on devrait sortir d’un épisode en voulant en voir plus, réflexe addictif qu’adore exploiter les productions. Mais ce n’est pas l’envie de plus qui est soulignée ici, c’est le manque. La plupart des épisodes étant issus de franchises méconnues du grand public, la base narrative que celles-ci devaient apporter devient un poids à rattraper, à expliquer au sein d’une intrigue qui a déjà trop peu de temps pour elle-même. Dans plusieurs cas, on sent que la priorité a été placée sur le déploiement visuel et le ressenti sensoriel. On va vous montrer de quoi on est capable et le sentiment que peuvent procurer ces jeux, et on verra s’il reste de la place pour une histoire. Attention, Papi Scorsese et ses accusations de parc d’attractions ne sont pas loin…

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Par exemple, les épisodes New World, Crossfire et Armored Core. Trois jeux assez peu connus en Europe (on reviendra plus tard sur le panel des franchises exploitées), des univers assez peu définis, dont les épisodes se résument globalement à leur dispositif d’action, respectivement duel magico-médiéviste, escarmouche militaire moderne et bagarre de gros robots à gros fusils. D’un point de vue expérimental, tous parviennent à reproduire des sensations de jeu, une prouesse qui permet déjà d’étendre les horizons techniques de l’audiovisuel. Quelque chose néanmoins dans leur montage et leur enchaînement ultra-rapide ainsi que dans leur dialogue d’exposition fait rattrapage, passage en force. Et, surprise-surprise, ce sont ces mêmes trois exemples qui se reposent le plus sur la performance capture et sur le voice-acting de comédiens de renom. Les blagues lourdes de Arnold Schwarzenegger ou la badasserie déjà bien établie de Keanu Reeves ne suffisent pas pour cocher les cases « personnage et intrigue ». Des épisodes y parviennent mieux, comme Donjons & Dragons et Concord qui reposent aussi beaucoup sur leur dispositif d’action : un assaut du dit-donjon par un groupe d’aventuriers et une évasion d’une planète par une équipe de mercenaires. Dans ces deux cas, l’action y est mise au service du développement de protagonistes hauts en couleurs et pas l’inverse, usant d’eux comme des véhicules pour amener la mise en scène. Dans une autre approche, des épisodes comme celui de Pac-Man ou le magistral Warhammer 40k, font le choix de l’abstraction. Leur mystère est soigneusement cultivé, les auteur.ices comptant sur la capacité mais surtout la volonté des spectateurs à combler ces absences volontaires de narration et d’exposition. Autre possibilité encore, employée dans les épisodes Unreal Tournament et The Outer Worlds : la fable bouclée, centrée sur des personnages a priori non-jouables. Des histoires parallèles à celles pouvant être vécues par les joueurs, ayant lieu dans le même univers. Une dernière approche qui montre bien la richesse narrative et thématique dont disposent les œuvres vidéoludiques, capables de se passer de leur joueur-héros pour exister. Approche qui devrait surtout être révélatrice pour tous.tes les chasseur.euses de franchises des grandes productions : si tous les univers de jeu vidéo sont adaptables, toutes les narrations, surtout quand elles sont intégralement dépendantes du gameplay, ne le sont pas. Le film est parfois ailleurs.

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Autre limite de Secret Level, probablement plus révélatrice d’un problème inhérent aux jeux vidéos eux-mêmes : la récurrence des thèmes et dispositifs employés. Sur 15 épisodes, seuls 3 ne reposent pas sur un conflit physique. Sacrifices d’un employé d’une entreprise pharmaceutique désirant retrouver la femme qu’il aime dans l’épisode The Outer Worlds, quête d’un père cherchant désespérément sa fille à travers l’espace-temps dans Exodus, fascinant duel mental et rhétorique dans Honor of Kings. Dans tous les autres, on se tire ou on se tape dessus. Vous ne nous entendrez pas dire à Fais Pas Genre que la violence et ses représentations, c’est mal. Non, ce qui fait tiquer ici, c’est son omniprésence. Comme si les jeux vidéos n’avaient rien d’autre à montrer, rien d’autre à raconter. Comme si on donnait raison aux boomers réacs qui pensent que les jeux vidéos sont la cause de la montée de la violence. Oui, les jeux de tirs et de combat ont une place considérable sur le marché du jeu vidéo, mais ils sont loin d’être dominants. En multipliant, parfois en répétant, ces représentations d’un épisode à l’autre, Secret Level limite cruellement ce médium qu’elle déclare pourtant tant aimer. Où sont les puzzles, les plateformes, la gestion, les courses, la survie ? N’ont-ils pas leur place à l’écran ? On sent pourtant que la série est capable de dépasser cette limite, la preuve dans les trois épisodes “pacifiques” cités plus hauts, tous tirés de franchises reposant partiellement ou entièrement sur un système de combat. Le jeu vidéo a tant d’autres choses à raconter. De la même manière 10 épisodes sur 15 relèvent de la science-fiction, et particulièrement du spatial. Ça va de l’épisode Megaman, joli remake condensé d’Astroboy (David Bowers, 2009) avec son héros enfant-robot cartoonesque, à celui de Warhammer 40K, impliquant des croisés intergalactiques ultra-violents chassant les démons à coup d’épée-tronçonneuses, en passant par les efficaces space-westerns que sont Concord, The Outer Worlds, Armored Core et Exodus. À qui la faute ? À Amazon qui veut pousser l’exotisme spatial tendance ? Tim Miller, clairement obsédé par ce genre précis ? Ou l’ultra-abondance de ce genre dans le marché du jeu ces dernières années (Hell Divers, Outer Wilds, Dead Space, Halo, Star Wars, Mass Effect, Among Us, Prey, No Man’s Sky…) ? Comme pour l’action, cette récurrence est à double tranchant : elle permet à Secret Level de se placer en laboratoire cinématographique pour la science-fiction audiovisuelle, amenant et éprouvant des décennies de concepts et de représentations du genre de la console aux petit et grand écrans. Toutefois insister autant sur la science-fiction enferme le jeu vidéo dans une certaine imagerie et encourage des mécaniques déjà bien installées, côté jeux et côté audiovisuel, de rabâchages des mêmes motifs et des mêmes thématiques. À rappeler que le jeu Concord, qui a son épisode au sein de la série, a été annulé deux semaines après sa sortie faute de joueurs. La SF a plus à offrir que des mercenaires de l’espace, le jeu vidéo plus à offrir que la SF. À nouveau, la série donne son propre contre-exemple, avec un épisode Donjons & Dragons, dont l’esthétique sombre évoque beaucoup les sublimes cinématiques de la franchise Diablo. Plus jeu de table que jeu vidéo, la présence de ce titre mythique en ouverture est sans nul doute un hommage à une œuvre ayant posé les bases dramatiques mais aussi pratiques du RPG (jeu de rôle), l’un des genres les plus populaires du vidéoludique. La puissance symbolique de ce titre, faiblement accompagné de celle de New World : Aeternum, ne suffit pas à imposer l’heroic fantasy, dans ce panel, genre pourtant majeur de la culture geek. On croise les doigts pour que l’horreur, la guerre, le combat, l’historique ou encore le fantastique trouvent leur place en saison 2 (confirmée par Amazon le 18 décembre dernier).

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Pour ce qui est du fond, chaque épisode a ses propres marottes sur des thèmes assez classiques de l’action et de la science-fiction, comme les affres de la vengeance et les dangers d’une technologie sans humanité. On retrouve également plusieurs approches assez méta, mettant en avant le manque de sensibilité, l’arrogance, ou la persévérance des personnages-héros, miroir moqueur de l’attitude des joueurs eux-mêmes. Surtout on ne peut passer à côté du motif du die & retry, 5 épisodes sur 15 l’employant en axe thématique majeur, avec plus ou moins de subtilité et de profondeur. Pas étonnant, étant donné qu’il s’agit d’un des fondements du jeu vidéo, un système de jeu employé pour apprendre au joueur à maîtriser par l’expérience l’univers et les mécaniques d’un titre, mécanique d’abord implémentée dans le dur des cruelles bornes d’arcades avides de morts et de nouvelles pièces qui a ensuite été poussée dans ses moindres limites : zone de sauvegarde, point et barre de vie, intégration de fantômes et corps de morts passées à la nouvelle partie, permadeath… Pour plus d’immersion, de nombreux studios de jeu ont intégré ces mécaniques dans la narration, trouvant de nombreuses pistes pour justifier pourquoi et comment un personnage pouvait revenir à la vie, recommencer un niveau, retourner dans le temps… Plaçant ainsi leurs œuvres dans le patrimoine de questionnement existentiel millénaire de l’humanité. Parallèlement, ce questionnement se retrouve au cinéma par le motif de la boucle temporelle, popularisé par Le Jour de la Marmotte (Harold Ramis, 1993) et qui devient de plus en plus genre aujourd’hui, justement alors que les codes vidéoludiques se démocratisent : Source Code (Duncan Jones, 2011), Edge of Tomorrow (Doug Liman, 2014) ou le plus évident Boss Level (Joe Carnahan, 2021). Il n’est donc pas étonnant que plusieurs épisodes de Secret Level, comme un retour d’ascenseur, se servent des axes narratifs et les codes de montage de ce genre précis : montage rapide comique ou dramatique des différentes morts, ré-emploi des mêmes cadres et des mêmes séquences avec changement de l’expression du personnage pour signifier l’épuisement ou l’expérience acquise, focus sur le moment précis de résurrection, impuissance soulignée du.de la protagoniste à prendre en main son destin… Touchant mais trop peu exploité dans l’épisode Sifu, un peu tarte à la crème sur l’aspect initiatique dans Spelunky et New World, pas très clair dans l’épisode Pac-Man, le die & retry est particulièrement bien abordé dans l’épisode The Outer Worlds, où il devient une critique mordante de l’industrie pharmaceutique et de l’exploitation humaine au service du progrès (un Mickey 17 (Bong Joon-ho, 2025) avant l’heure !). De belles tentatives qui finissent donc elles aussi par aboutir après plusieurs essais et ré-essais.

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Étant donné ce contexte de production, ces qualités et ces récurrences assez évidentes, une question revient : pourquoi ces franchises spécifiquement ? Pourquoi ne pas nous faire un étalage rétro de soixante-dix ans de franchises ultra-mémorables à la Les Mondes de Ralph (Rich Moore, 2012) ou à la Ready Player One (Steven Spielberg, 2018) ? On voudrait croire que Tim Miller cherche à mettre en avant, en plus des studios d’animations, des studios de jeux vidéos indépendants aux franchises méconnues. Or que vaut l’esprit d’un créatif comme Tim Miller face à celui d’un commercial comme Jeff Bezos ? Secret Level saison 1 vient en réalité soutenir la grande campagne de communication des gros studios vidéo-ludiques, peinant à camoufler la crise qu’ils traversent. On retrouvera ainsi dans ce panel deux franchises du géant du jouet Hasbro, deux du tentaculaire Tencent et trois franchises appartenant à Sony Interactive Entertainment. Signe le plus évident et le plus outrageant de cette campagne de communication, l’épisode Playstation clôturant la série. Une volonté publicitaire à peine camouflée qui reprend les codes de la campagne en cours, piquant à pattes d’éléphant l’imagerie et le message universaliste de Ready Player One (mais aussi celui du Lego Movie !), avec le culot d’y ajouter une touche anticonformiste et anti-capitaliste. L’hôpital, la charité… Le studio Amazon Games (oui, ça existe) ne se prive pas non plus de se joindre la fête, en poussant son méconnu et mal reçu New World : Aeternum. Même l’épisode Pac-Man (attention spoiler) n’est pas basé sur le grand classique d’origine mais sur son dérivé Pac-Man : Shadow Labyrinth, supposé sortir en 2025. Dans ce contexte dominé par le calcul marketing, on appréciera d’autant plus l’hommage à Mega Man (Capcom, 1987) et la présence des ultras-indés Sifu (Sloclap, 2022) et Spelunky (Derek Yu, 2008). L’épisode qui aura probablement fait le plus de bruit, c’est le Warhammer 40k, qui mérite qu’on s’y attarde un peu avant de se quitter.

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Durant les quinze dernières années, l’entreprise de figurines Games Workshop à l’origine de cette franchise a considérablement accéléré sa production vidéoludique. Plus de 50 jeux sortis depuis 2009, uniquement sur la franchise Warhammer 40k. Une méga-production qu’ont reçu à bras ouverts les fanatiques de cet univers de science fantasy, ayant permis de concrétiser en images animées un gigantesque univers jusqu’alors figé sur papier ou sur plateaux. Cet engouement producteurs-public rarement atteint a mené à une conséquente production de courts-métrages animés fan-made. En 2018, l’une d’elles provoque une onde de choc dans cette petite galaxie niche : la web-série Astartes, créée, dessinée, réalisée et entièrement produite par un seul et unique fan animateur, Syama Pedersen. Quasiment au même moment, Games Workshop se sent perdre le contrôle de sa propriété intellectuelle et crie son “La Franchise, c’est moi” en resserrant la vis sur toutes productions réalisées par des fans. Le contraste des deux cause un tollé, Games Workshop cherche à se racheter en engageant Pedersen dans ses équipes et c’est ainsi qu’on le retrouve en tant que chef designer des plans au générique de l’épisode de Secret Level, principalement adapté du très récent jeu Warhammer 40000 : Space Marine 2. Toute son ingéniosité scénographique, son sens du cadrage, du rythme, du contexte, de la lumière, mais aussi son usage brillant et savant de la symbolique exceptionnellement riche de la franchise y sont retrouvés, amplifiés par l’expertise et les moyens de Blur Studio. Le résultat est bluffant et parcourt rapidement la toile, s’étendant à d’autres publics encore proches du gaming. Presque sans surprises, le 29 janvier dernier, à peine un mois et demi après la sortie de l’épisode, tombe le trailer d’Astartes 2, une web-série produite par Games Workshop sur sa propre plateforme, annoncée pour 2026. Et qu’est-ce qu’on apprend le jour même de la sortie de Secret Level ? Henry Cavill signe avec Games Workshop l’adaptation de la franchise en une série live-action produite par… Amazon. Un parcours assez frappant de cette nouvelle circulation des œuvres à travers les médiums, encouragés par une compétition sauvage et agressive. Secret Level saison 1 révèle donc bel et bien l’existence d’une nouvelle formule de l’adaptation du jeu vidéo, mais ses limites sont aussi un cri d’alerte à une industrie toujours plus assoiffée de contenu : l’appropriation ne suffit pas.