Il aura fallu presque une décennie pour voir l’univers vidéo ludique créé par le studio Blizzard en 1994 se frayer un chemin vers les salles obscures. Est-on face au sauveur des adaptations de jeux vidéo au cinéma ou face à un navet aux proportions gargantuesques ?
Bienvenue en Azeroth
Un temps entre les mains de Sam Raimi, géniteur de la saga Evil Dead (1981-1993), c’est finalement au jeune réalisateur de Moon (2009) Duncan Jones que revient la lourde tâche de mettre en image l’une des sagas vidéoludiques les plus appréciées et rentables de l’histoire et son univers d’heroic-fantasy d’une grande richesse. Et le résultat est plutôt bon. Choisissant de ne pas sombrer dans la facilité en basant le film sur le troisième jeu et ses personnages iconiques tels que le jeune chef Orc Thrall ou le jeune prince Humain Arthas à la sombre destinée, Jones décide de revenir aux origines de la guerre opposant les Orcs de Draenor et les Humains en prenant des éléments épars des deux premiers jeux. On découvre donc en guise d’introduction l’arrivée des Orcs en Azeroth à travers le Portail des Ténèbres, fuyant un monde dévasté. Sous l’impulsion du sorcier orc Gul’Dan et de sa magie, le Fel, qui se nourrit de la force vitale de toute chose, une petite partie de la Horde – l’alliance de tous les clans Orcs – est envoyée à travers le portail afin de préparer le terrain. C’est dans ce chaos et cette volonté de destruction qu’un jeune chef orc du nom de Durotan ouvre les yeux sur ce leader autoproclamé et les conséquences de sa magie sur ses semblables et sur ce Nouveau Monde. Son chemin va croiser celui d’Anduin Lothar, guerrier humain qui semble déterminer à sauver son peuple et Azeroth face au danger qui se prépare. Le scénario du film a pour qualité d’éviter le plus possible de voir ces personnages tomber dans un manichéisme primaire. Au-delà de réutiliser une mécanique de jeu – à savoir, la possibilité de choisir de jouer soit les Orcs soit les Humains – Jones se refuse de résumer le film à un récit simpliste d’heroic-fantasy dans lequel les « gentils Humains » et les « méchants Orcs » s’affrontent et veut raconter l’histoire d’un conflit dans les deux camps en piochant des personnages parmi les plus illustres figures de l’univers Warcraft – Lothar, Durotan, Ogrim Marteau-du-destin, Gul’Dan, Khadgar ou encore Medivh – avec une science du détail et un développement intéressant pour chacun.
L’autre force du film est que le réalisateur parvient à faire un film pour les fans, regorgeant de détails et de clins d’œil en tout genre – voir et entendre un murlock pousser son fameux cri, bien connu des joueurs, est un pur ravissement – montrant le très grand soin apporté à la reconstitution de l’univers qui, au-delà de prouver le grand amour de Jones pour les jeux ou l’implication de Blizzard, force le respect. Mais réduire le film seulement à son fan-service est réducteur : Jones trouve également un certain équilibre dans la présentation de l’univers pour offrir aux non-joueurs une très bonne entrée en matière dans ce qu’est Warcraft. Visuellement, le film est d’une beauté assez surprenante avec ses choix artistiques intéressants. Parlons d’abord des Orcs. Véritable hantise des fans, et ce depuis les premières images diffusées, leur design était en soi un des gros défis techniques du film et on peut dire que le résultat est tout bonnement saisissant. Jones et ILM ont incorporé un niveau de détails sur ces mastodontes de presque deux mètres qui est époustouflant – le grain de peau, la sueur, les diverses expressions – et qui retranscrit le jeu des acteurs dans leur entièreté et pousse la motion capture dans ses derniers retranchements. La mise en scène de Jones insuffle un certain dynamisme et montre un certain talent pour filmer les scènes de batailles… Au point de reprendre, de façon intelligente, la vue du dessus des jeux de stratégie – genre dans lequel les trois premiers jeux Warcraft évoluaient. La mise en image des environnements a aussi de quoi imprégner notre rétine de quelques belles images de Forgefer, Hurlevent, Karazhan, les îles flottantes de Dalaran ou encore Draenor.
Et c’est là que l’on touche aussi à une des limites du film : le très grand soin apporté aux Orcs a parfois tendance à éclipser les décors qui manquent d’envergure – ou parfois qui semblent tout simplement mal incrustés ! L’autre chose que l’on pourrait reprocher au film est son rythme soutenu. Bien qu’il ne laisse aucun temps mort, il reste un sentiment que quelque chose ne va pas, sans doute dû au fait que Jones a été trop gourmand, voulant montrer plus de choses qu’un seul film ne pouvait véritablement en contenir. On peut s’accorder pour dire que Warcraft est une bonne adaptation, mais une question demeure : met-il fin à la malédiction supposée des films se basant sur des jeux vidéos ou fait-il figure d’exception ? À cette question, ma réponse est simple : seul l’avenir nous le dira. Sur le même modèle que Blizzard, le studio français Ubisoft va également se lancer dans l’aventure cinématographique avec le déjà très attendu Assassin’s Creed de Justin Kurzel – qui retrouve pour l’occasion le duo de son précédent effort Macbeth (2015), Michael Fassbender et Marion Cotillard — et deux autres projets en préparation. Peut-être qu’à ce moment, avec plus de films s’inscrivant dans la même démarche, il sera possible de répondre clairement à cette question. Pour l’heure, on savoure le bonheur de pouvoir poser ses yeux sur les paysages d’Azeroth dans une salle obscure.
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