Après le succès de Last of Us (Neil Druckmann et Craig Mazin, 2023-En Production) chez HBO, les adaptations de jeux vidéo post-apocalyptiques semblent avoir la côte puisqu’avant Borderlands (Eli Roth, 2024) cet été au cinéma, c’est au tour de Fallout (Geneva Robertson-Dworet & Graham Wagner, 2024 – en production) d’hériter d’une adaptation sérielle, chez Amazon Prime cette fois-ci. Une adaptation fidèle, mais qui n’évite pas certains malentendus vis-à-vis de son matériau de base.
Capitalisme Atomique
Avant de devenir une série télé, Fallout est avant tout une série de jeux vidéos se déroulant dans un univers post-apocalyptique et initié en 1997, d’abord par le développeur Black Isle Studios puis par le plus connu Bethesda Softworks, un habitué des RPG puisque que le studio est à l’origine de la célèbre saga The elder scrolls. Si les premiers jeux proposent un gameplay en tour par tour, le troisième opus de la saga offre aux joueurs d’évoluer dans un monde ouvert, épousant les caractéristiques du RPG classique. Ce qui différencie Fallout de nombre de ses concurrents dans le genre du récit post-apocalyptique, c’est son appartenance au sous-genre que l’on appelle atompunk, qui imagine un développement technologique grâce à l’atomique et rattaché ainsi aux années 50 et 60 là où le steampunk par exemple, conçoit le même type de développement grâce à la technologie de la vapeur et situe ses récits à l’ère industrielle. La saga Fallout exploite donc ce décorum lié à la Guerre Froide et à ce que l’on appelait l’american way of life célébrant le consumérisme et une forme de luxe domestique en opposition avec la sobriété soviétique. Au cœur de cet univers, on retrouve donc l’entreprise Vault-Tec qui a décidé de capitaliser à fond sur l’ambiance de guerre nucléaire de l’époque en proposant des abris souterrains et une myriade d’accessoires en cas de fin du monde. C’est par le biais de cette entreprise que les jeux Fallout vont porter un discours ironique sur cette période historique et sur le capitalisme en général. En jouant notamment sur le décalage entre l’aspect jovial de l’esthétique des produits Vault-Tec et le cataclysme auquel ils sont censés préparer leurs clients.
Cette saga dispose par ailleurs d’un lore riche et d’une esthétique singulière et c’est sûrement qui a séduit Jonathan Nolan et Lisa Joy pour proposer à Bethesda un projet d’adaptation en série. Le duo, créateur de la série Westworld (2016-2022) qui mélangeait déjà western et science-fiction, est un choix judicieux pour adapter Fallout tant l’univers du jeu emprunte énormément à ces deux genres. Finalement, le duo laisse l’écriture à une autre paire de scénaristes Geneva Robertson-Dworet et Graham Wagner. Si l’une est habituée à l’écriture de blockbusters – Captain Marvel (Anna Boden Ryan Fleck, 2019) – l’autre a surtout écrit des épisodes de sitcom comme Silicon Valley (Mike Judge, 2014-2019). Côté production, la série est impeccable. Tournée en Utah, mais également en Namibie, cette première saison profite de superbes décors naturels désertiques et d’effets spéciaux réussis. En ce qui concerne la fidélité à l’esthétique de la saga jeu vidéo et à tous ces marqueurs facilement identifiables – le Pip-Boy, les abris, les décors et même, certains effets de mise en scène – c’est un admirable sans faute. La série démontre son attachement à cet univers et sa volonté de respecter le matériau originel sans le prendre de haut et sans le déposséder de son propos politique, bien au contraire. Les scénaristes prenant le temps de construire une storyline autour de la création de l’entreprise Vault-Tec et par là même de proposer une critique sans détour du capitalisme.
C’est en revanche dans l’articulation du récit et surtout dans la gestion des différents tons que souhaite proposer la série, que le bas blesse. Mis à part quelques exceptions, la majorité des scènes de violences se veulent fun en employant une musique en décalage avec la brutalité de l’action, mais de ce fait, retirent totalement l’aspect émotionnel de l’équation. Un choix curieux – qui n’est pas sans rappeler le ton de The Boys (Erik Kripke, 2019-En Production) autre série phare de la plateforme Amazon démontrant une certaine incompréhension des phases d’action du jeu original. Des errements d’écritures qui se retrouvent aussi dans la caractérisation des personnages, ces derniers, notamment Maximus – recrue prête à tout pour accéder à un statut particulier – aura du mal à créer de l’empathie chez le spectateur. Même chose pour Ellia Purnell – fantastique dans Yellowjackets (Ashley Lyle & Bart Nickerson, 2021 – en production) – qui peine à dépasser la naïveté qui caractérise son personnage. Seul Walton Goggins réussit à exister, son faciès westernien aidant. Son personnage, Conrad Cooper, le pont entre l’avant-guerre et la période post-apocalyptique, est définitivement le plus touchant de la série. Dans une très belle scène, alors qu’il est devenu une goule mutante du fait des radiations du désastre atomique, Conrad tombe sur l’un de ses vieux films dans lequel il incarne un cowboy affrontant un ennemi identifié comme communiste. Plusieurs centaines d’années plus tard, il mesure ainsi la portée idéologique de son art et toutes ses conséquences funestes.
C’est clairement ce discours sur la puissance de l’idéologie que l’on camoufle dans des œuvres destinés au grand public qui fait la force de cette série, bien qu’elle semble néanmoins coincée entre deux projets : l’un est de proposer un western post-apo fun et décomplexé, l’autre de nourrir une réflexion pertinente sur les liens entre la guerre et le capitalisme. Une seconde saison a déjà été validée par Amazon, et les ventes de jeux ont récemment explosé, grâce à la série. La guerre ne finit jamais, tout comme le capitalisme ?