Cela semble évident énoncé ainsi mais l’horreur graphique et la musique metal ont toujours entretenu de solides affinités, même s’il n’est pas si fréquent d’entendre le vrombissement d’un riff ravageur dans les bandes originales des films de ce genre. Ce lien de parenté, exposé avec humour par Gojira lors de la cérémonie d’ouverture des JO, est débattu en long et en large par les intervenants du documentaire de Mike Schiff, The History of Metal and Horror (2022) actuellement disponible sur la plateforme Shadowz.
La Salsa du Démon
Phénomènes éminemment anglo-saxons et plus encore étasuniens, la musique metal et le cinéma d’horreur trouvent leur Âge d’Or dans les années quatre-vingt. C’est d’ailleurs cette période qui est essentiellement traitée ici, souvent par ceux qui l’ont vécue à différents âges, à se demander si le réalisateur n’aurait pas mieux fait d’intituler son documentaire « Metal and Horror in the Eighties ». Durant un générique pas metal pour un sou (plutôt dans une veine électronique répétitive et inquiétante, comme John Carpenter en a le secret), on suit un homme encapuchonné, seul survivant de l’Apocalypse, errant dans des lieux déserts, récupérant ça et là divers objets, boîtes de conserves, guitare, cassettes vidéo. Une fois retourné dans son antre (étonnamment bien équipée en matériel high tech), il commence à visionner les différentes bandes : histoire du jardinage, histoire de l’armée américaine, histoire de la proctologie… La cassette « L’histoire du métal » ne se décide à fonctionner que lorsqu’il insère simultanément « L’histoire de l’horreur » sur un autre lecteur. A ce moment apparaît à l’écran le visage désormais célèbre de Michael Berryman, découvert dans Vol au-dessus d’un nid de coucou (Miloš Forman, 1975) et surtout dans La colline a des yeux (Wes Craven, 1977). Il invite le survivant à découvrir le contenu de ces enregistrements et annonce qu’il sera son guide à travers les différentes parties.
Mike Schiff a rassemblé du beau monde pour parler de son sujet. De la sphère musicale sont présents entre autres Kirk Hammett, guitariste de Metallica, Dave Mustaine (Megadeth), Alice Cooper, Scott Ian (Anthrax), George Fisher (Cannibal Corpse), Phil Anselmo (Pantera), Dani Filth (Cradle of Filth) et beaucoup d’autres. Les personnalités issues du septième art sont moins nombreuses mais on compte tout de même John Carpenter, feu Gunnar Hansen (Leatherface dans Massacre à la tronçonneuse, Tobe Hooper, 1974), Doug Bradley (Pinhead dans Hellraiser : Le Pacte, Clive Barker, 1987), Linnea Quigley et bien sûr Rob Zombie, transfuge de la scène metal (il fut le leader de White Zombie) et aujourd’hui cinéaste bien connu des amateurs d’hémoglobine. Cette belle brochette d’invités se met évidemment en scène avec force maquillage et costumes de scène, non sans humour car peu se prennent vraiment au sérieux et participent avec joie à ce grand cirque transgressif jouant avec les tabous d’une société puritaine : blasphème, sexe et violence. Les premières minutes sont consacrées à un (très) rapide historique de l’épouvante cinématographique et ses étapes les plus importantes : les années 30 aux USA et ses Universal Monsters, les années 50 et 60 avec les productions de la Hammer au Royaume-Uni, le renouveau du genre initié par La nuit des morts-vivants (George A. Romero, 1968) beaucoup plus ancré dans la « réalité » quotidienne, les slashers et le gore des eighties. La partie historique s’arrête là, comme s’il n’y avait plus eu d’évolution significative depuis.
Les metalleux évoquent ensuite les émissions de leur jeunesse, leurs premiers émois avec l’épouvante, des programmes pour la plupart inconnus chez nous comme Jeepers Creepers, Creature Features, Chiller Theater, Ghost Host Theater où passaient des dessins animés et des films d’horreur. Les œuvres ayant marqué ces musiciens en devenir alors adolescents, voire enfants, sont plutôt variées bien que concentrées sur une période restreinte, ce qui est somme toute assez logique et en rapport avec leurs âges. Ainsi Dani Filth (Cradle of Filth) a-t-il été fortement impressionné par Hellraiser et Le Loup-garou de Londres (John Landis, 1981) tandis que Marky Ramone (The Ramones… qui n’est pas un groupe de metal !) a été marqué par Alien, le 8ème passager (Ridley Scott, 1979). Kirk Hammett (Metallica) évoque Prince des ténèbres (John Carpenter, 1987), quant à Phil Anselmo (Pantera), avec cette diction pâteuse et ce regard mi-éveillé mi-endormi des personnes qui ne sont pas souvent à jeun, il se dit avoir été saisi par Evil Dead (Sam Raimi, 1981 ) et L’exorciste (William Friedkin, 1973). Peut-être le metalleux novice apprendra-t-il d’ailleurs que le titre de l’album Vulgar Display of Power de Pantera provient de paroles prononcée par le démon à travers la bouche de Linda Blair dans le film de Friedkin.
L’histoire du metal est quant à elle expédiée aussi rapidement qu’un titre de grindcore, de Black Sabbath (le groupe d’Ozzy Osbourne tire son nom du long-métrage de 1963 de Mario Bava avec Boris Karloff, Les trois visages de la peur chez nous), aux multiples sous-genres qui sont nés dans la décennie suivante : thrash, death, power…. Et puis, enfin, on entre dans le vif du sujet : les convergences entre le metal et l’horreur. La littérature est la première influence des musiques extrêmes, telle qu’elle l’est pour le cinéma, à travers des personnages comme Jack l’Éventreur ou la créature de Frankenstein par exemple. Ian Scott évoque Stephen King – sans doute l’auteur le plus adapté à l’écran – une référence majeure dans l’écriture des titres d’Anthrax (Le Fléau pour Among The Living par exemple). Il est aussi question de l’imagerie des pochettes qui utilisent les mêmes ressorts que les affiches des films – sang, monstres, visages torturés (Eddie, la mascotte d’Iron Maiden, par exemple) … – en donnant un petit aperçu de l’œuvre. Au-delà des parallèles qu’il établit entre les deux arts, le documentaire aborde ensuite la fusion de ceux-ci, à mesure que les années quatre-vingts s’imposent comme la décennie à la fois du cinéma d’horreur et de la musique metal : Monster Dog (Claudio Fragasso, 1984 avec Alice Cooper), Trick or Treat (Charles Martin Smith, 1986, avec Ozzy Osbourne et Gene Simmons), La vengeance des morts-vivants (alias Hard Rock Zombies, Krishna Shah, 1984), Maximum Overdrive (Stephen King, 1986), Rock ‘n’ Roll Nightmare (John Fasano, 1987) sont autant de long-métrages qui accueillent le hard rock couillu à bras ouvert. A noter que certains de ces films sont des pépites parfois totalement invisibles chez nous dont on attend impatiemment la réédition
Lorsqu’elle n’est pas clairement dans la thématique d’un film, la musique metal est présente dans sa bande-son. Certains cinéastes ont introduit très tôt le genre dans leurs réalisations comme Dario Argento en 1985 avec Phenomena (on y entend du Iron Maiden, du Motörhead). On peut citer à titre d’exemples He’s Back (The Man Behind the Mask) d’Alice Cooper pour Vendredi 13, chapitre VI (Tom McLoughlin, 1986) ou Dream Warriors de Dokken dans Freddy 3 : Les Griffes du cauchemar (Chuck Russel, 1987). Enfermé dans les limites de son sujet, Shiff oublie toutefois de mentionner que grâce à ces précurseurs, les décennies suivantes vont définitivement adopter le métal à plus grande échelle, mais au travers de genres parfois assez éloignés de l’horreur : Wayne’s World (Penelope Spheeris, 1992), Last Action Hero (John McTiernan, 1993), Lost Highway (David Lynch, 1997), y compris dans des productions à très grand public comme Matrix (Larry et Andy Wachowski, 1999) et plusieurs films de super-héros.
La dernière partie du documentaire est sans nul doute la plus intéressante. Elle concerne les réactions de la société anglo-saxonne à ces phénomènes artistiques, et donne une dimension presque politique à l’ensemble. Ainsi, quand le metal et le cinéma d’horreur commencent à acquérir une certaine notoriété parmi les adolescents et jeunes adultes notamment, les mouvements conservateurs et puritains américains des WASP (White Anglo-Saxon Protestant) comme le PMRC (Parents Music Resource Center) tentent de riposter, en publiant une liste d’artistes immoraux, The Filthy Fifteen (essentiellement des groupes de heavy metal mais pas uniquement, on y trouve aussi Madonna, Prince, Cindy Lauper…). Au Royaume-Uni, la National Viewers’ and Listeners’ Association établit quant à elle une liste de video nasties qui frappe purement et simplement d’interdiction des films jugés contraires aux valeurs du pays et aux principes religieux. L’analyse n’est pas poussée très loin ici, mais il faut se rappeler que c’est une véritable entreprise de censure qui a lieu à l’époque dans l’Amérique reaganienne et son satellite thatcherien anglais, à l’image par exemple du retrait de Douce nuit, sanglante, nuit (Charles Sellier Jr. 1984) ou du procès du groupe Judas Priest en 1990, sous le prétexte de « protéger la jeunesse », la frange de la population la plus réceptive à ces formes d’art.
Ce sont d’ailleurs essentiellement de jeunes hommes qui passent du « côté obscur », un point que le documentaire n’aborde pas, même s’il est criant : on peut compter les participantes sur les doigts d’une main, ce qui n’a rien de surprenant si on considère la période dont il est principalement question, le metal et le cinéma d’horreur ayant longtemps été une affaire de testostérone. Pour partager leurs goûts déviants, ces jeunes gens se rencontrent dans des conventions – qui sont légion aux États-Unis – comme Monsterpalooza, Rock ‘n’ Shock, Housecore Horror ou encore le Kirk Hammett’s Fear FestEvil. C’est ce même public qui regardera The History of Metal and Horror et paradoxalement, il n’en tirera pas forcément grand-chose, hormis du plaisir : déjà « initié », tout au plus sera-t-il conforté dans ses idées. Cela n’enlève rien à la qualité de la réalisation bien qu’il soit dommage que Mike Shiff ne sorte jamais du cadre strict de son sujet et n’évoque pas cette presque « démocratisation » de l’horreur et surtout du metal, qui ne sont de nos jours plus aussi intimement liés qu’auparavant.