En mêlant polar, drame social et personnel, Baptiste Debraux affiche de fortes ambitions pour son premier long-métrage. Un Homme en fuite (2024), disponible en DVD chez Blaq Out était donc plein de promesses, appuyées par un casting phénoménal et un cadre, les Ardennes, hautement cinégénique.
Johnny Got is Gun
Dès ses premières images, Un Homme en fuite rappelle la richesse des décors naturels français et leur nature résolument cinégénique. Ces forêts à perte de vue et ces rivières comme cadre pour faire évoluer des destins tragiques, quoi de plus logique ? Et puis, dernièrement, des longs-métrages ou séries ont posé leurs caméras dans des régions de France en jouant sur la singularité des environnements, comme la très bonne Zone Blanche (Mathieu Missoffe, 2017-2019). Baptiste Debraux, dans ce premier film, affirme un certain héritage. Il nous raconte l’histoire de Rochebrune, petit village industriel des Ardennes, qui se retrouve plongé dans le chaos alors qu’un plan social s’apprête à mettre au chômage la moitié des travailleurs du coin. Dans ce contexte, Johnny, leader de la protestation, fait figure de héros puisqu’il vole les « riches » pour redonner aux « pauvres » et ainsi faire perdurer le piquet de grève. Un jour, il va trop loin et braque un fourgon de convoyeurs de fonds, faisant un mort. Paul, son ami d’enfance, en apprenant la nouvelle, revient après quinze ans d’absence à Rochebrune. La gendarme Anna Werner comprend rapidement que la clé de cette enquête réside dans le passé commun de Johnny et Paul
Que ce soit volontaire ou non, Un Homme en fuite fait penser à Mud, Sur les rives du Mississippi (Jeff Nichols, 2013). La façon de filmer deux enfants, lors des nombreux flashbacks qui ponctuent le film, qui cherchent à se construire leur propre monde dans un décor fluvial y renvoie forcément. Si le décor des Ardennes se prête fort bien à ce genre de récit, le problème est plutôt que le filmage de Baptiste Debraux ne sait pas toujours comment le mettre en valeur. Certes il s’attarde sur les bois et les eaux à la faveur de plans aériens, mais il ne profite pas pleinement de ce cadre. C’est l’un des quelques problèmes du film : l’ambiance qu’il installe est remarquable, le reste d’Un Homme en fuite aurait gagné à proposer une mise en scène plus affirmée. L’ensemble est soit trop sage soit par moments trop illisible. De même, la direction d’acteur est aléatoire : pour un Pierre Lottin qui tire clairement son épingle du jeu en voyou au grand cœur, nous avons un Bastien Bouillon curieusement éteint et une Léa Drucker peu à l’aise dans les habits d’enquêtrice. Si bien que dans certaines scènes, les uns et les autres livrent des partitions très disparates, ce qui a pour effet d’affaisser la crédibilité du long-métrage.
Pour autant, Un Homme en fuite réussit là où il aurait été plus facile de se prendre les pieds : son équilibre délicat entre récit social, quête personnelle et enquête. Cette dernière n’est pas forcément originale ou très passionnante, mais elle s’intègre bien dans les enjeux des histoires de Johnny, Paul et Charlène, le troisième angle de cet ancien triangle amoureux, jouée par une convaincante Marion Barbeau. On sent que c’est ici que le cinéaste est le plus à l’aise malgré les maladresses. En convoquant Robert Louis Stevenson et son Île au trésor comme lien indéfectible entre ses deux héros, Debraux rend tangible leur relation et, par ricochet la quête de Paul. On aurait presque aimé que l’histoire s’attarde un peu plus sur la jeunesse des deux garçons puisque les flashbacks s’avèrent parfois plus riches que le cœur de l’enquête en cours. Ce qui nourrit le récit au présent, c’est également le contexte social d’Un Homme en fuite. Le réalisateur contourne les pires écueils du genre en évitant un misérabilisme mal placé et une représentation indigne des prolétaires – on n’oubliera jamais, à ce titre, la détestable performance de Charles Berling dans Trois Jours et une vie (Nicolas Boukhrief, 2019), film cousin et voisin de celui de Baptiste Debraux.
Ici, le réalisateur traite du sujet des plans sociaux des usines avec un certain réalisme. Les motivations des ouvriers sont compréhensibles et les avis divergents se manifestent de façon crédible. Le final, pas toujours bien filmé, où les grévistes sont chargés par les CRS illustre parfaitement la volonté de répression sur ces populations et le film de devenir éminemment politique. Sans “glamouriser” inutilement cet arc narratif, Debraux trouve le ton juste en le rendant universel. Le cinéaste précise d’ailleurs sa démarche dans le seul bonus du DVD/Blu-Ray, un entretien de plus de vingt minutes. Au rayon des bons points, on pourra également citer la très bonne bande-originale du film, signée Feu ! Chatterton. Enveloppante à souhait, elle souligne davantage les mystères émanant de ces forêts que la mise en scène. Un Homme en fuite n’est donc pas un film parfait – la faute à une réalisation peu inspirée et une direction d’acteur trop hétérogène – mais un film qui essaye de jouer sur l’émotion d’une amitié de jeunesse comme on en a tous vécu et de porter un message. On pardonne les quelques clichés des rebondissements de l’enquête ou les acteurs quasi quarantenaires jouant des adolescents, mais un peu moins le manque d’inspiration sur la réalisation. Gageons que sur son prochain long-métrage, Baptise Debraux résolve l’équation et propose un film plus abouti ! En attendant, vous pouvez découvrir Un Homme en fuite dans cette édition soignée et signée Blaq Out !