Certains voyages forment la jeunesse, d’autres une certaine cinéphilie attenant au politiquement incorrect. Me voilà repartie en terres sacrées grolandaises du 16 au 22 septembre pour mon pèlerinage annuel au FIFIGROT, armée de ma sainte Amphore et brandissant le programme comme Parole divine. Cette 13ème édition pleine de promesses portera chance aux plus acharnés cinéphiles. Banzai !!
Jour 1 • Ouverture
Fort de ses traditions ancestrales, l’ouverture du festival se tient comme chaque année au cinéma de l’American Cosmograph qui voit défiler les organisateurs présentant consciencieusement un programme alléchant mais aussi des partenaires institutionnels qui ont la lourde tâche de discourir face à un public de garnements peu enclin à écouter des politiques. Si l’ambiance reste bon enfant, les rires moqueurs se sont brusquement éteints lors de l’hommage rendu à Jean-Henri Meunier, un Grolandais de la première heure, décédé le 11 septembre dernier. Il avait en 2015 présenté en compétition Faut savoir se contenter de beaucoup (Jean-Henri Meunier, 2015) dans lequel Noël Godin et Jean-Marc Rouillan avaient reçu le Prix d’Interprétation, un douloureux rappel du temps qui passe et du besoin de garder vivace cette précieuse flamme grolandaise. La première étincelle se présente sous le titre de Veni Vidi Vici (Daniel Hoesl et Julia Niemann, 2024) film autrichien présenté en ouverture du festival. Cette satire s’intéresse au quotidien de la famille Maynard qui occupe son temps entre les compétitions de polo et les fêtes d’anniversaire démesurées. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes des ultra riches si un journaliste, Volter, ne s’intéressait pas de près à la passion singulière du patriarche de la famille : la chasse à l’homme. Fans des chasses du comte Zaroff (Ernest B Schoedsack et Irving Pichel, 1932) passez votre chemin car la véritable chasse à l’homme concerne plutôt celle, judiciaire, de Volter pour faire tomber Amon. Ce dernier se la jouant plus sniper que chasseur traquant ses proies par jeu, il ne sera donc pas question du plaisir malsain d’un riche cherchant à assoir son autorité sur les plus pauvres que lui. Si le personnage de Amon reste un mystère, le récit étant déroulé par la voix off de sa fille, le spectateur apprendra au fur et à mesure à connaitre ce personnage cruel mais bizarrement plus humain que monstrueux. Grimé en loup lors de l’anniversaire de ses deux filles adoptives, lui-même ne se reconnaitra pas dans le miroir et effacera bien vite cette image de prédateur pour laisser entrevoir celle d’un enfant gâté. Uniquement intéressé par son cercle familial et marié à une femme bien plus âgée que lui, la plupart de ses journées se résume à s’amuser avec ses enfants lorsqu’il ne joue pas au tireur d’élite. Les rares scènes à son travail ne lui permettent même pas de se montrer sous un jour plus sérieux, se déguisant en cow-boy ou mimant un chat pour illustrer le succès de ses affaires. Hamon est dans une représentation permanente qu’il ne sait pas comment terminer et en devenant ce tueur à la gâchette facile il attend inconsciemment que quelqu’un la termine à sa place. Cette impunité extrême le conduira à la lisière de la folie dans la dernière partie du film où une violence crescendo, qui mettra le spectateur dans une position inconfortable de voyeur voire de complice, ne trouvera jamais de fin.
Jour 2 • Ego Trip
Après les couleurs froides et cliniques du long-métrage autrichien d’hier soir, je n’étais pas prête à pénétrer dans le monde coloré et psychédélique de La Prisonnière (Henri-Georges Clouzot, 1968). Prenant place dans une galerie d’art parisienne, nos yeux vont subir un lavage de cerveau kaléidoscopique à travers des illusions d’optique et des formes hallucinatoires. Ce classique n’était pas forcément évident pour le réalisateur des Diaboliques (1955) mais donnait pourtant suite à son long-métrage inachevé, L’Enfer (1965), les essais lumière sur Romy Schneider ayant probablement pu être concrétisés dans ce film-ci. Cependant, si l’image pop et scintillante est un parfait reflet des années 60, elle n’est là que pour servir un propos autrement moins glamour que l’univers des galeries d’Art : celui de la perverse soumission sexuelle entre Stan, directeur de la galerie et photographe amateur et Josée, son nouveau modèle, compagne d’un artiste qui expose dans la galerie. Assez effarouchée par les expérimentations bizarres du sombre Stan, elle finira peu à peu par se soumettre à ses désirs, donnant lieu à des scènes intolérables pour Josée et insoutenables pour le spectateur, tendu à l’extrême de voir cette femme aux idées pourtant modernes se faire humilier de la sorte. Si l’on pense au départ à une sorte de pamphlet féministe où la femme s’émancipe en assumant ses désirs les plus inavouables, nous nous retrouvons finalement face à une classique histoire d’amour avec celui qui refuse de tomber amoureux et celle prête à tout pour satisfaire les désirs de l’être aimé. Stan force au départ sa victime à se regarder commettre ces actes honteux, plante le trépied de l’appareil photo tel un Mark Lewis dans Le Voyeur (Michael Powel, 1960) pour immortaliser ses pulsions morbides, mais il ne pourra, lors d’un subtil renversement des pouvoirs à la fin du récit, regarder en face ceux qui le jugent. De couleurs flashy avec de gros plans sur les chairs sacrifiés au nom de l’art, nous passerons aux teintes pastel d’un paysage de bord de mer, destination romantique entre amants, inaugurant une belle histoire d’amour. Avant de retomber sur les failles de Stan, incapable d’aimer et sur le dernier voyage stroboscopique introspectif de Josée, sublime et décadent.
Mon voyage sensoriel et psychédélique était loin de prendre fin comme j’ai pu le constater à la deuxième projection de la journée, Rock Bottom (Maria Trénor, 2024), trip musical à travers les chansons de l’album de l’artiste Robert Wyatt. Mi-biographie, mi-rêverie, ce film d’animation nous entraine sur les traces du chanteur et d’Alfreda Benge, sa compagne réalisatrice, lors de leur road trip à Majorque. Emprunt de nostalgie et de souvenirs fantasmés sous les drogues, les images chaudes et solaires renforcent un aspect cotonneux plongeant le spectateur dans une sorte de léthargie consciente et consentie. Les volutes de fumées colorées et les ours qui dansent semblent être totalement à leur place dans cet univers foisonnant de créativité, fêtant les derniers moments frivoles du chanteur avant sa chute fatale qui le rendra paraplégique. Pourtant, si certains moments nous plongent dans une mélancolie enivrante, jamais le film ne sombrera dans le tragique, préférant voir dans l’accident du chanteur un renouveau autant artistique que sentimental. Difficile de décrire un long-métrage qui se veut avant tout sensoriel et qui invite à un voyage dans l’esprit vaporeux d’un artiste qui lui-même a du mal à mettre des mots sur ses émotions. Ce que Rock Bottom nous invite à faire avant tout c’est de ressentir avant de réfléchir. Pari gagné pour ce dernier qui m’a fait perdre pendant un instant toute notion de réalité.
Une réalité que je ne vais surement pas retrouver devant The Hyperboreans (Joaquin Cocina et Cristobal Leon, 2024) dans lequel une actrice cherche à faire revivre avec les moyens du bord un film dont les négatifs ont été volés. Commençant comme un Soyez sympas, rembobinez (Michel Gondry, 2008) style premiers courts de David Lynch, le long-métrage dérive ensuite vers une sous intrigue qui voit un metalleux, patient de l’actrice qui est aussi psychologue, être assailli de visons de Miguel Serrano, auteur de la théorie de la fuite d’Hitler en Antarctique. Ce mélange d’histoires accouche d’un film encore plus foutraque combinant marionnettes, masques, papiers découpés et stop motion. Une forme très boursouflée qui sert un scénario beaucoup moins drôle qu’on aimerait le voir à l’écran où la moindre silhouette qui apparaît provoque instantanément un malaise chez le spectateur. Le premier effort des réalisateurs, La Casa lobo (Joaquin Cocina et Cristobal Leon, 2018) exposait déjà le spectre nazi sur la culture chilienne de façon artisanale et peu conventionnelle. Semblant dérouler un scenario qui s‘écrit au fur et à mesure, presque comme un long plan séquence, l’enchevêtrement de rôles et d’histoires nous floute sur la réalité de ce que l’on perçoit ou non. Est-ce bien Antonia que nous écoutons depuis le début ou n’est ce qu’une marionnette tirée par des ficelles invisibles ? Tout ça, est-ce un décor factice prompt à nous révéler une vérité ou nous enfoncer encore plus dans le mensonge ? La forme écrasant délibérément parfois le fond, impossible de percevoir les bribes de vérité et il en ressort un malaise grandissant au fur et à mesure de la vision sans en saisir réellement les causes.
Jour 3 • Le poids des traditions
Il y a des moments dans un festival ou les choix de film relèvent plus d’une intuition que de véritables gouts personnels. Ce fut le cas pour cette pépite inconnue Une trop bruyante solitude (Vera Caïs, 1995) tiré du roman du même nom de Bohumil Hrabal, inconnue car inédite en France malgré un casting en partie français composé de Jean-Claude Dreyfus et de Philippe Noiret dans l’un de ses derniers grands rôles. De tous les plans, il dévore le cadre dans le rôle de Hanta, un amoureux de la littérature chargé de broyer des livres dans le sous-sol d’une décharge à Prague. Philosophe de comptoir à ses heures perdues, accablé par la solitude au point de parler aux fantômes célèbres et aux animaux, il essaiera à travers la lecture des ouvrages qu’il va sauver des flammes de comprendre le sens de la vie. Lui-même perdu dans cette littérature foisonnante qui prend autant de place chez lui que dans son esprit, mélangeant maladroitement boissons et citations, il va partir à la recherche de lui-même à travers les rencontres avec l’autre, plongeant dans une nostalgie qui ne fera que le renfermer sur lui-même. Le grain chaud et réaliste enveloppe le film d’une mélancolie qui ne quittera jamais le spectateur, toujours à la limite des larmes lorsqu’il découvrira la solitude tout aussi prégnante des autres personnages qui hantent la vie de Hanta. Les décors désolés semblent tomber en ruines petit à petit, écrasés sous le poids de la modernité d’un monde que Hanta ne comprend plus. Malgré son désir de cacher la laideur en la recouvrant d’œuvres d’art, il ne pourra lutter contre l’accélération de la productivité qui transformera son archaïque broyeuse en véritable instrument de boucherie. Ce long-métrage sombre et désespéré est à l’image de sa conception dont Vera Caïs, présente pour la séance, nous a partagé les difficultés. Seize années de conception avant qu’Une trop bruyante solitude ne sorte en Tchéquie et encore quinze de plus pour la version originale française. “Je ne suis venu au monde que pour écrire une trop bruyante solitude” affirmait Bohumil Hirabal. C’est aussi ce qu’a scandé la réalisatrice à la fois rayonnante et très émue de montrer ce film au FIFIGROT. Malgré les nombreux obstacles qui se sont dressés sur son chemin, elle a toujours gardé en elle la certitude que ce projet serait le sien. Même si Philippe Noiret s’est fait désirer au départ, il a accepté de jouer sans être payé et le film tient en grande partie sur ses larges épaules. Production franco-tchèque, certains acteurs ne parlaient pas la même langue sur les scènes et pourtant les échanges sont criant de sincérité. On le sait, certains classiques tiennent de petits détails magiques et hasardeux qui, s’ils ont créé des difficultés sur le moment, accouchent de véritables chefs-d ’œuvres. C’est pour ces découvertes rares et précieuses qu’un festival comme celui-ci existe.