Me voilà déjà presque à la moitié du FIFIGROT 2024, vagabondant dans une temporalité distordue qui ferait presque oublier la notion de journée ou de nuit… Une sensation bien connue des festivaliers, notamment ceux passant leur temps au Gro’village, lieu de fête éternelle. Oubliant parfois de manger mais jamais de boire, les aventuriers de l’Amphore perdue continuent leur quête du film ultime.
Jour 4 • La Preuve par trois
Réveillons-nous en fanfare mexicaine avec la carte blanche du duo de réalisateurs Dominique Abel et Fiona Gordon, Trois amigos (John Landis, 1986), petit sommet de burlesque qui fait toujours autant rire les initiateurs de cette projection. Reposant sur un trio d’acteurs irrésistible, Steve Martin, Chevy Chase et Martin Short, ces fameux trois amigos, stars d’une série de westerns, attirent le regard d’une jeune mexicaine dont le village est aux prises avec El Guapo, un terrible bandit sanguinaire. Persuadée d’assister à de véritables exploits sur l’écran de cinéma, elle va demander aux trois acteurs excentriques de sauver son village. Pur film à la John Landis, plaçant au centre de l’intrigue des personnages parachutés dans un environnement dont ils n’ont pas les codes, comme dans Un prince à New-York (1988), les quiproquos et les situations absurdes vont se succéder les uns à la suite des autres, illustrant un fossé abyssal entre le flamboyant Hollywood et le désertique Mexique poussiéreux dans lequel il y a décidément bien trop de poules par habitant. Produit de son époque, il accumule les clichés d’un côté comme de l’autre, avec des acteurs américains pédants et froussards face à des Mexicains se bourrant la gueule à la tequila tout en tirant sur des pinatas. Probablement nostalgique d’un cinéma ou les preux héros parvenaient toujours à sauver les nécessiteux, le réalisateur rend un vibrant hommage aux films d’aventures à l’ancienne, mêlant humour très visuel et combats chorégraphiés. Floutant parfois la limite entre le fantastique et le réel, rappelant que la réalité n’est jamais très loin du cinéma, certaines scènes sont remplies de poésie désuète, notamment celle, culte, où les trois amis improvisent une chanson dans le désert à la tombée de la nuit. Naïf dans le fond, très aboutie dans la forme, cette drôle d’aventure vous donnera envie d’entonner le refrain entêtant de la chanson des trois amigos devant chaque nouvelle injustice qui se dressera devant vous.
Après cette escapade chatoyante sur l’autre continent, plongeons dans le sobre noir et blanc belge de Chiennes de vies (Xavier Seron, 2023), film à sketches centré sur les chiens et sur la vie pas toujours simple de leur propriétaire. Composé de trois segments portant à chaque fois le nom du chien, ce n’est pourtant pas le canidé qui sera au centre de l’intrigue mais bien la solitude des humains, en quête constante d’affection et de reconnaissance qui graviteront autour de lui. Souhaitant au départ confier les histoires à trois réalisateurs différents, Xavier Seron se retrouve finalement seul à la barre de son projet, dans un noir et blanc organique qui compose une unité temporelle complètement décalée. Pointant du doigt les faiblesses humaines à travers la figure du chien, le cinéaste nous invite à voir les dessous d’une vie pas toujours enviable, quelque soit sa classe sociale. Si la première histoire est un bijou d’humour noir, avec son geek parano persuadé que son chien est la réincarnation du diable, la deuxième dérive vers le conte moral et la chute inexorable d’une actrice égoïste qui n’arrive plus à distinguer humanité et domestication. Toutefois c’est bien la dernière, tragique triangle amoureux qui arrachera des larmes aux cynophiles. Fan de Touch of sin (Jia Zhangke, 2013), film chinois à sketches, Xavier Seron voulait retrouver cet esprit choral et cette évolution des genres dans les récits. Il a pu s’étendre avec le public à la suite de la projection sur son amour des chiens et la place si particulière que tient l’animal de compagnie aujourd’hui aux côtés de l’humain. Une affection sincère que l’on sent aussi de la part des acteurs qui parviennent à recréer un lien crédible à l’écran entre eux et l’animal. Véritables montagnes russes d’émotions, ces petits morceaux de vie sur les sentiments complexes humains ne laisseront pas, mêmes les plus insensibles, de marbre.
Continuons dans ce joli noir et blanc mais avec plus de rires et moins de larmes. La team du Grindhouse Paradise, festival de films de genre maintenant bien implanté dans la ville rose s’est permis un petit détour par le FIFIGROT pour présenter un double programme consacré à Ryland Brickson Cole Tews. On vous avait déjà parlé de ce physique bien bâti à la gestuelle héritée de Buster Keaton qui tient le rôle du solide trappeur de Hundreds of beavers (Mike Cheslik, 2024). Bien entendu rediffusé lors de ce double programme tout en ayant déjà fait le tour en long et en large de ces incroyables castors sur Fais pas Genre, attardons plutôt sur le deuxième film de la soirée qui est la première réalisation de l’acteur. Lake Michigan Monster (2018) qui parodie les films de monstres des années 50/60 en leur apportant une touche d’humour contemporaine, s’inspire d’une légende urbaine sur l’existence d’un monstre marin dans le lac Michigan. Aux dires mêmes de Mike Cheslik, producteur, coscénariste et monteur, l’histoire du capitaine Seafield traquant la créature avec son équipe de bras cassés afin de venger son père est parfaitement idiote. On ne peut que lui donner raison tant les dialogues absurdes jaillissant de personnages qui le sont tout autant tranchent radicalement avec l’humour purement visuel de Hundreds of beavers. Regorgeant d’intrigues et de sous-intrigues mêlant plans foireux pour tuer le monstre, légendes sous-marines et fantômes du passé, le long-métrage n’est pourtant jamais aussi bon que lorsqu’il laisse seul le rocambolesque Ryland aux commandes. Résultat foutraque invoquant effets spéciaux à la Méliès, créatures en latex dignes de L’étrange créature du lac noir (Jack Arnold, 1954) et secrets de famille qu’on croit tout droit sortis d’un feuilleton de l’été, ce petit bijou artisanal et boursoufflé vous laissera sur les rotules et le cerveau vidé de tout substance. Si la secte des castors gouvernera un jour le monde, Ryland Brikson Cole Tews sera à coup sûr son gourou.
Jour 5 • La Nuit des Masques
Véritable charivari à lui tout seul, il était normal que le festival s’intéresse au carnaval, fête subversive et tintamarresque par excellence. Le testament de l’âne (Hubert Brunou, 2002) aurait très bien pu être tourné à même le Gro’village tant un esprit bouffon et impoli transpire sur chaque image. Documentaire tourné à Laza, minuscule ville de Galice, nous allons suivre dûment pendant quelques jours les préparatifs du carnaval jusqu’à son apogée outrageuse qui va voir des groupes de peliqueiros, sortes de pères fouettards de mi-saison, courser les hommes et les enfants armés de leur martinet. Et gare à ceux qui ne fuient pas assez vite… Suintant la brutalité et la crasse, l’essentiel des plans dépeignent les habitants du village braillant des chansons paillardes et picolant jusqu’à plus soif dans un petit bar improvisé. Complètement désinhibés, ils clament bruyamment leur amour pour cette fête mais gardent un sérieux confondant quand il s’agit de parler des traditions, ce qui donne un étonnant mélange entre curiosité purement historique et voyeurisme arrogant. Les images, tournées dans un pur style documentaire, n’ont besoin d’aucun filtre ni effet pour sonner justes. « Heureusement j’avais un bon cadreur » rajoutera le réalisateur partie intégrante de cette troupe de fêtards, jusqu’à pénétrer dans leurs sphères les plus intimes. Malgré cette atmosphère poisseuse et cette violence latente, les peliqueiros, aux masques terrifiants et aux cloches dissonantes ne suscitent pourtant aucune peur chez les habitants, titillant eux-mêmes les croques mitaines pour se faire poursuivre. « Le Diable, on doit l’aimer plus que Dieu » proclame l’un des vieux sages habitants du village, confirmant que cette représentation païenne de festivités brutales, n’ayant rien à envier à Wicker Man (Robin Hardy, 1973) est une véritable incursion dans la folk horror.
Qui de mieux que Laurent Melki, illustrateur de l’imaginaire par excellence, pour nous faire pénétrer dans le monde onirique de Freddy 3, Les griffes du cauchemar (Chuck Russel, 1987) ? Personne n’a oublié les traits si distinctifs de son affiche mythique qui aura peut-être donné plus de cauchemars aux spectateurs que le film lui-même. Néanmoins l’artiste n’a pourtant rien d’un croque-mitaine car il a eu la gentillesse de partager la scène avec moi afin de présenter le troisième volet des aventures de Freddy. Je remercie à ce propos le FIFIGROT de m’avoir fait confiance pour parler de ce film d’horreur mythique des années 80, époque bénie des slashers et des effets spéciaux en dur. Malgré son statut culte, la salle était pleine de néophytes désireux de le découvrir, aux côtés d’un cosplay Freddy plus que vrai que nature prêt à faire un carnage si l’un d’entre eux s’endormait pendant le long-métrage. Personne n’a loupé une miette de ce volet fiévreux, embrasé par un Robert Englund oscillant entre le clown angoissant et le démon cauchemardesque. Toujours à la recherche de chair fraiche, il va terroriser les jeunes patients d’un hôpital psychiatrique qui vont pouvoir compter sur l’expérience de Nancy Thompson, héroïne du premier volet, pour lutter contre les assauts meurtriers du boogeyman aux griffes d’acier. Lancé juste après le deuxième opus La revanche de Freddy (Jack Sholder, 1986), il va rencontrer, malgré son faible budget, un succès mérité auprès des fans qui le considèrent encore comme le meilleur de la franchise. Outre des effets spéciaux toujours aussi impressionnants, les personnages vont cette fois-ci se serrer les coudes pour lutter contre le croque-mitaine et trouver dans leurs rêves la confiance en eux qu’ils n’ont pas dans une réalité qui les marginalise. Sous ses aspects de slasher pop-corn, le long métrage aborde des sujets graves, tel que le mal-être adolescent, les problèmes familiaux, les addictions ou le suicide. Thèmes universels et intemporels qui réuniront encore et toujours des cinéphiles avides de frisson, faisant de Freddy une icône qu’on ne pourra décidément jamais faire disparaître.