L’I.A du mal   Mise à jour récente !


Après Les Cartes du mal (Anna Halberg & Spencer Cohen, 2024), les ténèbres continuent de se répandre sur nos écrans avec L’I.A. du mal (Chris Weitz, 2024). Aucun rapport entre les deux films sinon le manque d’originalité des distributeurs français, mais la promesse d’un visionnage poilant et décérébré. À moins que Jason Blum, qui produit le bousin, ait décidé de nous faire réfléchir un peu pour une fois…

Dans une pièce plongée dans une lumière rouge, et sur un fond représentant une multitude de visages de mannequins, John Cho enlace sa compagne, la mine soucieuse ; plan du film L'I.A. du mal.

© CTMG

A.I , un ami qui vous veut du bien

Il n’y a pas à dire, ce diable de Jason Blum sait où placer ses billes pour rester dans l’air du temps. Dès Unfriended (Levan Gabriadze, 2015), le démiurge de l’horreur bon marché nous exposait ses craintes quant à l’intrusion des technologies dans nos quotidiens. Jusqu’à M3GAN (Gerard Johnstone, 2023), on peut même parler de motif récurrent. On peut y voir également un certain opportunisme à l’heure où l’intelligence artificielle n’a jamais été aussi aboutie qu’aujourd’hui et où elle devient un véritable sujet d’inquiétude pour tout un tas de corps de métier. Le cinéma, d’ailleurs, est en première ligne puisque de l’écriture du scénario au métier de comédiens de doublage, l’I.A. menace. Alors quoi de plus profond que de faire un film sur ce thème ? Et c’est là que L’I.A. du mal – le titre original, AfrAId, est un poil plus subtil, il faut le reconnaitre – arrive pour nous faire réfléchir à pourquoi ce n’est pas bien de trop être dépendant de nos écrans. Jugez plutôt : Curtis, Meredith et leurs trois enfants sont sélectionnés pour tester un nouvel assistant numérique appelé AIA. Le robot se noue d’amitié avec chacun des membres de la famille en les aidant et les protégeant. Sauf que – parce que ça ne pouvait pas en rester à un gentil petit conte tout mignon – AIA va commencer à se montrer un peu trop protectrice…

Les uns contre les autres, les quatre membres de la famille se serrent, dans la peur, tandis qu'apparait devant eux nue angoissante lueur jaune ; scène de L'I.A. du mal.

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Bon, on rigole, on rigole, n’empêche que le nouveau film de Chris Weitz a quand même quelques atouts dans sa manche. Déjà Chris Weitz n’est pas un pur inconnu comme aime à les débaucher Jason Blum pour mieux les contrôler. Non, il a déjà une carrière à Hollywood depuis un quart de siècle : on lui doit American Pie (1999), Pour un garçon (2002), À la croisée des mondes : La Boussole d’or (2007) ou encore Twilight, Chapitre 2 : Tentation (2009). Or, si nous ne sommes clairement pas devant la filmographie de Kubrick et que le garçon s’est quelque peu éparpillé, devant L’I.A. du mal, on ne peut que reconnaitre qu’il sait tenir une caméra. En effet, le film est plutôt soigné et évite les effets faciles de jumpscares ou autres montages sur-découpés. De plus, le long-métrage a l’élégance de ne pas faire trop durer son intrigue en la resserrant en quatre-vingt-quatre minutes bien remplies. On ne s’ennuie pas et le réalisateur sait rendre attachants chacun des personnages. Non pas qu’ils soient servis par une écriture profonde et subtile, mais les acteurs sont bien dirigés – y compris les enfants – et cela participe immanquablement à ressentir une véritable empathie pour eux.

Alors que peut-on reprocher à cette I.A. du mal ? À peu près tout le reste ! Si le film tranche avec la prétention des productions A24 ou Neon, cette modestie apparente ne saurait masquer l’opportunisme et la méconnaissance du sujet. Terminator 2 : Le Jugement dernier (James Cameron, 1991) est à ce jour plus pertinent sur le thème de l’intelligence artificielle, près de 35 ans après, que ce nouveau film estampillé Blumhouse. Ainsi, les séquences animées par I.A. auraient pu s’avérer pertinentes si les progrès de Midjourney ou d’Adobe Firefly en matière ne les rendaient pas déjà obsolètes. Ce peu de discernement sur le sujet confine donc le plus souvent à la bêtise pure et dure. Les facilités et les raccourcis sont légion – on pense par exemple à l’arc narratif sur le revenge porn – et la fin est même carrément bâclée quand le film ne sait plus tout à fait quoi raconter. Surtout, alors que la bande-annonce semblait promettre l’irruption physique de l’I.A. – avec des silhouettes inquiétantes entrant dans la maison – quitte à verser dans le fantastique, L’I.A. du mal s’avoue vite vaincu puisque, spoiler, les intrus sont de vraies personnes agissant en parallèle du système d’assistance maléfique. C’est ce qu’on appelle un gros aveu d’échec puisque, incapable de rendre palpable la menace numérique, on y ajoute un autre danger pour, au final, retomber sur les rails de l’horreur quelconque.

Les quatre membres de la famille se réunissent, tout sourire, autour de la boule rouge lumineuse du film L' IA du mal.

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Les talentueux Katherine Waterson et John Cho – qui retrouve là Chris Weitz, vingt-cinq après American Pie – font ce qu’ils peuvent pour donner corps à tout ça, et Ashton Bright, Wyatt Lindner et Lukita Maxwell s’en sortent plutôt bien dans les rôles des enfants. Même Havana Rose et l’inquiétant David Dastmalchian sont bien employés. Néanmoins ils ne suffisent pas à rendre le film plus intéressant que le moins réussi des épisodes de Black Mirror (Charlie Brooker, depuis 2011). L’I.A. du mal est moins grossier et hilarant que le récent Night Swim (Bryce McGuire, 2024), autre high concept de Jason Blum de cette cuvée annuelle, mais il est à côté de la plaque sur trop d’aspects et ne fait que trop survoler les enjeux d’un monde connecté qui, dans la réalité, est bien plus inquiétant que chaque photogramme de ce film. On attend néanmoins les prochaines productions Blumhouse avec gourmandise, en se demandant d’ores et déjà à quel objet les distributeurs français pourront accoler la mention « du mal ». Jason Blum n’a qu’à se pencher pour trouver un sujet, et le truc, c’est que ça commence à sérieusement se voir…


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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