Avis aux nostalgiques de la Covid-19 et aux amateurs de peur avec un petit P, de clip MTV et de morales bibliques, Fear (Deon Taylor, 2024) est (enfin) disponible chez nous en VOD, quatre ans après son tournage. Après un visionnage difficile, on vous explique pourquoi on tient déjà là un prétendant au titre pour notre Flop 2024 !
La Somme de toutes les peurs
Si on pensait en avoir fini avec la Covid-19 et la tripotée de films traitant du sujet par pur opportunisme – de Songbird (Adam Mason, 2020) à 8, Rue de l’Humanité (Dany Boon, 2021) – nous étions bien naïfs. Plus rapide qu’un nouveau variant du virus, Deon Taylor a décidé de se retrousser les manches pour surfer sur la vague et mettre en boîte son nouveau long-métrage fauché. Car au croisement de Blumhouse et du studio Asylum est une maison de production à l’appellation qui en jette mais trompeuse : Hidden Empire Film Group. Fondé par Taylor himself, le studio a vocation à produire les films d’horreur du monsieur à vitesse grand V, qui ne s’exportent pas des États-Unis. Et pour cause… En découvrant son nouveau long-métrage, Fear, disponible chez nous en VOD et tourné en 2020, on comprend dès les premières images que ce n’est pas le talent qui risque d’étouffer le cinéaste. Car sur la forme ou dans le fond, il n’y a pas grand-chose à sauver dans ce bout de pellicule plus gênant qu’effrayant. Jugez plutôt : une bande d’amis se réunit dans un hôtel reculé pour fêter l’anniversaire de l’une d’entre eux. Le conjoint de celle-ci est un auteur à succès qui écrit à propos de la peur, et c’est lui qui a organisé les retrouvailles. Les un.e.s et les autres évoquent autour d’un feu de camp leurs plus grandes peurs, justement, et ce qui devait arriver arriva ; ils sont tués à tour de rôle par leurs plus grandes angoisses !
« J’ai l’impression d’être dans Get Out » dit l’un des personnages de Fear dans les premières minutes comme une vague note d’intention et pour rappeler que Deon Taylor, en tant qu’afro-américain, souhaite apporter un aspect social à ses films en traitant du racisme américain. Spoiler alert ! Nous ne sommes pas dans Get Out (Jordan Peele, 2017), très loin de là. Là où Peele misait sur une mise en scène élégante et efficace, Taylor décide de pousser tous les potards du mauvais goût. Comme s’il avait joué avec toutes les fonctionnalités de son logiciel de montage, le réalisateur est en roue libre et cela s’illustre par une scène d’images d’archives censées venir épaissir la caractérisation d’un des prochains protagonistes, et un générique qui se voudrait « à la » Seven (David Fincher, 1995) mais qui n’aurait pas dénoté dans la Trilogie du samedi sur M6. On enchaine avec des plans aériens tournés au drone FPV qui partent dans tous les sens comme si le pilote était en grosse descente de kétamine, mais qui s’avèreront finalement être parmi les plans les plus inventifs et ambitieux de l’ensemble. Le reste du film se contente d’enchaîner les scènes de discussions filmées n’importe comment sans respect aucun pour les règles élémentaires de la mise en scène. C’est bien simple, on ne sait jamais où se situent les personnages par rapport aux autres, ni dans l’hôtel, ni quand ils partagent une même séquence. Et quand une ombre de caméra ne vient pas obscurcir le visage d’un comédien, c’est un montage totalement anarchique qui vient saloper l’entreprise avec un découpage digne des plus belles heures de MTV, les années 90-2000.
Alors quitte à assister à un naufrage, on se prend à rêver que les personnages, insupportables, disparaissent le plus vite possible, que la mort arrive pour nous divertir un minimum dans un déluge d’hémoglobine. Donc on attend. Longtemps. Encore. Et encore un peu. Et à la soixante-septième minutes, ça y est, un premier mort ! Il s’est lui-même tranché la gorge de la manière la plus anti-spectaculaire qui soit, mais qu’importe, on a envie d’en découdre. Et puis… Le film ralentit à nouveau pour écarteler notre supplice jusqu’au bout de l’ennui. Soudain, en l’espace de quatre minutes, cinq personnages passent l’arme à gauche dans un montage alterné que même Champollion ne saurait déchiffrer. On comprend alors qu’il n’y a rien à sauver de ce Fear qui n’a de peur que le nom. Deon Taylor déroule sous nos yeux humides – qui nous rendra ces 105 minutes hein ? – un petit précis du degré zéro de l’horreur : portes qui claquent, jumpscare à gogo, entité qui avance bras en avant et bouche ouverte, etc. Tout ce qui ne devrait plus exister est dans cette proposition et chaque effet accentue son côté low cost à tous les étages. Même la musique, pourtant signée par Geoff Zanelli, un élève de Hans Zimmer, n’apporte rien sinon quelques rictus quand elle est mixée n’importe comment, chevauchée par un morceau pop. Surtout l’interprétation des acteurs, tous inconnus au bataillon, fait peine à voir. On a du mal à croire à une quelconque alchimie dans ce groupe d’amis censés se connaître depuis le collège – certains acteurs sont cinquantenaire, d’autres ont vingt ans – et qui ne dégage rien.
Pour couronner le tout, aussi surprenant que cela puisse paraitre, Fear semble avoir un message à nous dire. D’abord, on le disait plus haut, Taylor est afro-américain et a réalisé plusieurs films où la question du racisme est soulevée avec plus ou moins de tact, dont Meet the Blacks (2016). Dans son dernier long-métrage, l’un des membres du groupe de fortune a une peur : d’être contrôlé par la police et de se faire tuer. Étant donné les multiples faits divers mettant en cause les autorités vis-à-vis de la communauté noire, le propos est tout à fait légitime… A condition qu’il soit amené avec subtilité ! De plus comme Taylor cite Get Out tôt dans son film, cela laisse à penser qu’il y a une volonté opportuniste de s’inscrire dans son sillage. De même, cette façon de traiter de la Covid-19 et des confinements est à la fois malhonnête, mal exploitée et surtout déjà has been. Le pire reste toutefois à venir Mesdames et Messieurs car comme cerise à son gâteau fort peu digeste, Deon Taylor a décidé d’assaisonner le tout d’une bonne dose de christianisme un peu rance. Car savez-vous ce qui vous sauvera de vos peurs ? La Bible. Eh oui, tout simplement. C’est ainsi que l’une des rescapés – enceinte, parce que vous voyez le symbole – s’en sortira, en lisant des versets à « sa peur », pour lui montrer que sa foi l’empêche de céder à l’effroi. Nous n’avions plus vu si belle morale depuis les épisodes les plus rétrogrades de Sept à la maison (Brenda Hampton, 1996-2007). Voilà, grâce à cet article, vous savez désormais ce qu’il vous reste à faire quand vous croiserez une araignée sur le plafond de votre chambre, mais surtout, vous savez que vous pouvez faire l’impasse sur Fear sans culpabiliser. De rien.