Candyman


Suite directe du premier Candyman (Bernard Rose, 1992), cette version 2021 du boogeyman au crochet, produite par Jordan Peele et réalisée par Nia DaCosta, brasse beaucoup de sujets sensibles et actuels. Mais arrive-t-il à conserver la poésie macabre du premier tout en comblant les fans de films d’horreur ?

De nuit, la silhouette du Candyman, les bras en croix, se dessine en ombre, derrière un bâtiment aux formes expressionnistes, baigné dans une lumière surnaturelle bleue et rouge.

© Universal Pictures France

Le Retour de Crochet

On se rappelle tous de notre première vision du chef-d’œuvre de Bernard Rose adapté de la nouvelle The Forbidden de Clive Barker, le talentueux écrivain d’horreur mais aussi le génial réalisateur de Hellraiser (Clive Barker, 1987). Le récit y mêle toutes ses obsessions, notamment l’aspect charnel et sublime de la douleur physique se reflétant sur l’âme humaine, mais aussi la fatalité du destin et son romantisme funeste. Avant d’être l’histoire du tueur aux abeilles, c’est surtout le récit d’un pauvre artiste noir, Daniel Robitaille, amoureux d’une blanche et puni atrocement pour ses sentiments. Sa tristesse déchirante et sa mélancolie surpassent sa cruauté de tueur sanguinaire et même si son temps de présence à l’écran est moindre, impossible d’oublier ce grain de voix si particulier et le sublime thème musical qui lui est dédié, composé par Philippe Glass. Ses suites, Candyman 2 (Bill Condon, 1995) et Candyman, le jour des morts (Turi Meyer, 1999) ont voulu surfer sur le succès critique et commercial du premier opus mais ne sont que des ratages complets que même le charismatique Tony Todd, grandiose dans le rôle de l’amoureux tragique, n’a pas pu sauver. Le risque était donc immense de se ré-attaquer à ce chef-d’œuvre de l’horreur en succombant à la mode des remakes. Mais le panorama actuel du cinéma et les préoccupations de la société américaine mis en lumière par le mouvement Black lives matter coïncident plutôt bien à la réalisation d’un film dont l’un des sujets principaux est la ghettoïsation des populations noires.

Deux jeunes femmes parlent face à face, debout dans un métro quasi-vide ; scène du film Candyman.

© Metro-Goldwyn-Mayer Pictures Inc. / Bron Creative MG1, LLC

Indissociable de cette nouvelle vague du cinéma d’horreur américain, il était évident qu’une personnalité comme Jordan Peele soit de la partie, cette histoire d’un boogeyman noir tourmenté rentrant particulièrement en résonance avec ses dernières réalisations tels que Get Out (2017) ou Us (2019). Uniquement producteur sur ce remake, il laisse sa place à la réalisation à Nia DaCosta, dont c’est seulement le deuxième long-métrage. Elle situe l’action dans le même endroit que le premier film, Cabrini-Green, devenu une cité luxueuse après avoir été vidée de ses habitants pauvres. La gentrification des quartiers est encore au cœur du récit, mais cette fois-ci ce ne sont pas seulement des blancs qui habitent ce coin huppé mais des noirs embourgeoisés, amateurs d’art, au porte-monnaie bien rempli. Parmi eux, le protagoniste principal, Anthony, un artiste peintre qui aimerait se faire une place dans un milieu artistique prétentieux et élitiste. Voulant mettre à profit ses origines afro-américaines, un ami lui conseille de se replonger dans ses racines pour trouver l’inspiration. Ce qu’Anthony va faire au détriment de sa vie…

L'acteur Yahya Abdul-Mateen II dans son atelier de peintre, avec sa chemise peinturlurée, assis face à une de ses toiles, mais à laquelle il lui tourne le dos ; plan issu du film Candyman.

© Universal Pictures France

Dès les premières images, Nia DaCosta cherche à se démarquer visuellement de l’héritage pesant du premier film. Presque baroque, plein de coins brumeux et de couleurs criardes, le quartier pauvre et délabré de Cabrini-Green s’est transformé en quartier riche d’une froideur presque métallique, reflétant l’aspect rigide de ses habitants vaniteux. Tout en verticalité et anguleux, les perspectives toujours fuyantes et l’espace souvent vide déshumanisent cet endroit dénué de toute personnalité et de chaleur humaine. Seul l’atelier d’Anthony semble vivant, le cadre y est chargé de peintures et de couleurs, ce qui apparaît presque étouffant en comparaison de toutes les autres pièces à la décoration très épurée. C’est dans ce lieu qu’il va finir par être littéralement consumé par son art, autant physiquement que mentalement. Plus ses œuvres s’améliorent, plus sa véritable personnalité s’efface, inquiétant ses proches qui ne le reconnaissent plus. Sa main prise d’une soudaine impulsion artistique se transformera plus tard en pulsion meurtrière, le crochet remplaçant son pinceau. Mais ce choix délibéré de sa part, propre à chaque artiste de laisser grandir son inspiration au détriment de sa santé, n’éclaire que la surface du problème. Bien au-delà de cet aspect créatif qui empoisonne l’esprit, c’est son héritage qui le dévore et qui va finir par l’engloutir complètement. Bien qu’ayant réussi socialement, ses racines sont toujours prégnantes et il ne peut y échapper malgré le secret que sa mère a tenté de lui dissimuler. Même s’il tente de s’intégrer dans cette société majoritairement blanche, on est toujours là pour lui rappeler qu’il est et restera différent, de façon plus ou moins délicate. Ce lourd fardeau que partage la plupart des populations noires rejaillit aussi sur sa compagne, Brianna, directrice d’une galerie d’art ne parvenant pas à tourner la page sur son douloureux passé. Luttant au début par tous les moyens contre cette fatalité, Anthony finit par succomber et devenir cet ennemi que tous attendent plus ou moins de lui – les blancs comme les noirs – se métamorphosant en l’une des nombreuses figures de cet ange vengeur au crochet bien affûté.

Candyman vu de dos, son crochet levé dans le ciel, sur fond blanc.

© Universal Pictures France

Si le premier film traitait lui aussi du racisme, l’image mélancolique du boogeyman demeurait le noyau central de l’histoire là ou, dans cette suite, il devient le symbole d’une lutte. Le visage de Daniel Robitaille qui incarne Candyman dans ce remake finit par disparaître au profit des générations de visages qui l’ont précédé. Si celui de Tony Todd, indissociable à jamais à celui de Candyman est visible dans cette suite, ce n’est pas la seule référence faite au premier long-métrage. La légende urbaine contée de merveilleuse manière par un petit théâtre d’ombres chinoises n’est pas celle de l’homme au long manteau qui distribue des bonbons mais celle d’Hélène, héroïne du premier film. Elle devient elle-même une figure monstrueuse et effrayante, une sorte de double féminin de Candyman. « Une blanche est tuée et son histoire ne meurt jamais », clame furieusement Williman Burke, ancien habitant de Cabrini-Green très au courant de tout ce qui concerne celui qui terrorisait son quartier à coups de crochets. Si on a du mal à donner une identité propre au tueur qui a toujours son visage dissimulé pendant les meurtres, Hélène n’est pas une énigme et sa légende prend petit à petit la place de celle de Candyman, comme les riches blancs prennent la place des noirs sans le sou dans leurs quartiers.

Ce sous-texte social plutôt subtil et intéressant perd hélas de sa force face à des éléments beaucoup trop manichéens et tranchés. Evidemment, seuls les blancs sont suffisamment stupides et irrespectueux pour invoquer Candyman et même si cette scène incluant une vingtaine de flics, tous de type caucasien, s’acharnant sur un seul noir, fait forcément écho à une actualité récente, le message aurait mérité d’être un poil plus nuancé pour être totalement digéré par le spectateur. Cet aspect énormément politisé aurait aussi pu mettre à mal le genre premier du film. Heureusement il n’en est rien, car en matière d’horreur, Candyman cuvée 2021 tient toutes ses promesses. Le récit prend son temps pour créer une atmosphère d’insécurité, entrainant des mises à morts, certes assez peu nombreuses, mais très graphiques. Le travail effectué sur le son et les surfaces réfléchissantes, créant une certaine distance entre l’acte criminel et celui qui y assiste donne toute une splendeur et un mystère à ce Candyman sans en enlever sa brutalité. Le récit suit un déroulement plutôt prenant et esthétiquement intéressant avec une fin qui reflète tout le charme sinistre du premier film : on se prend d’affection pour cet homme brisé choisissant de vendre son âme au diable pour assouvir sa vengeance. Tout en respectant l’esprit de celui de Bernard Rose, on peut dire, sans mauvais jeu de mots, que ce remake/suite est par la même occasion un parfait miroir de la société actuelle.


A propos de Charlotte Viala

Fille cachée et indigne de la famille Sawyer parce qu'elle a toujours refusé de manger ses tartines de pieds au petit déjeuner, elle a décidé de rejoindre la civilisation pour dévorer des films et participer le plus possible à la vie culturelle de sa ville en devenant bénévole pour différents festivals de cinéma. Fan absolue de slashers, elle réserve une place de choix dans sa collection de masques au visage de John Carpenter pour faire comme son grand frère adoré. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riRbw

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