Spider-Man : Across the Spider-Verse


Alors que le monde des super-héros au cinéma semble en train de s’écrouler sous le poids du multivers et de ses faibles ambitions, Sony continue une histoire débutée en 2018 où Spider-Man – héros dont on croyait connaitre toutes les facettes entre support papier, jeux vidéo et films tous azimuts – n’en finit plus de nous étonner et de nous épater : critique de Spider-Man : Across the Spider-Verse (Joaquim Dos Santos, Kemp Powers et Justin K. Thompson, 2023).

Spider-Man emporté dans une vortex orange, violet et rouge, dans le film Spider-Man : Across the Spider-Verse.

© CTMG, Inc / Sony Pictures Animation

C’est donc ça le multivers ?

Le Spider-Man en combinaison noire portée par Miles Morales prêt à bondir, au sommet d'un building, dans le film Spider-Man : Across the Spider-Verse.

© CTMG, Inc / Sony Pictures Animation

On ne présente plus Spider-Man qui depuis les séries animées des années 90 et, surtout, la trilogie de Sam Raimi entre 2002 et 2007, a largement dépassé son cadre original, le comic book, pour devenir un véritable phénomène audiovisuel. Les origines de l’homme araignée ont été contées par trois fois sur grand écran : par Sam Raimi donc, sous les traits de Tobey Maguire pour une trilogie culte, puis par Marc Webb pour le diptyque The Amazing Spider-Man (2012-2014), et enfin par Jon Watts pour l’intégration du personnage dans le MCU avec un nouveau visage, celui de Tom Holland. Ce n’est pas peu dire que nous avons soupé du Peter Parker à toutes les sauces, pour le meilleur et souvent pour le pire, jusqu’à l’apothéose que pouvait représenter Spider-Man : No Way Home (Jon Watts, 2021) dans le cœur de nombreux fans. Ce dernier film en prises de vues réelles, en ouvrant les portes du multivers – qui semble être l’unique projet de Marvel actuellement – a en effet réuni les trois interprètes du tisseur pour une réunion pour le moins ratée tant l’artificialité de l’ensemble s’éloignait de la sincérité et de la virtuosité d’un Spider-Man 2 (Sam Raimi, 2004), unique chef-d’œuvre dans la filmographie de l’araignée sympa du quartier. Mais ça, c’était jusqu’à un certain Spider-Man : Into the Spider-Verse (Bob Persichetti, Peter Ramsey & Rodney Rothman, 2018). Produit et scénarisé par Phil Lord et Chris Miller – Tempête de boulettes géantes (2009), 21 Jump Street (2012) ou La Grande Aventure Lego (2014), c’est eux ! – ce long-métrage d’animation faisait le pari de miser sur Miles Morales, l’autre figure derrière le masque de Spider-Man qui a succédé à Peter Parker depuis quelques années dans les pages des comics. Surtout, le film était une réussite éclatante qui proposait une animation totalement inédite et novatrice et qui parlait, avant No Way Home, du multivers avec beaucoup plus de pertinence et d’audaces narratives. On peut mesurer l’impact qu’aura eu le dessin animé en constatant le nombre de films ayant repris son procédé d’animation, entre aspect crayonné, 3D et aplats 2D, le fameux Sid Mead Style. Depuis, Les Mitchell contre les Machines (Mike Rianda, 2021), Le Chat Potté 2 : La Dernière quête (Januel P. Mercado & Joel Crawford, 2022) ou encore Ninja Turtles : Teenage Years (Jeff Rowe & Kyler Spears, 2023) ont largement pompé cet aspect hybride s’éloignant volontairement d’un quelconque sentiment de photoréalisme. Au-delà de son esthétique, Spider-Man : Into the Spider-Verse  a, dans un discours parfaitement meta, remis l’homme araignée au cœur de sa mythologie en livrant un film ouvertement pop et référencé, n’oubliant jamais de raconter quelque chose sur Miles Morales et sur nous tous.

Spider-Man en plein combat avec une étrange entité blanche, dont des tâches d'encres jaillissent ; les deux adversaires flottent aussi de New-York ; scène du film Spider-Man : Across the Spider-Verse.

© CTMG, Inc / Sony Pictures Animation

Un pur plaisir de spectateur récompensé justement par l’Oscar du meilleur film d’animation et quelques 663 millions dollars glanés à travers le monde. Hollywood étant ce qu’il est, une suite fut mise en chantier rapidement, ce qui pouvait inquiéter tant le premier relevait presque de l’anomalie dans un paysage cinématographique où les super-héros semblent nous avoir tout dit… Spider-Man : Across The Spider-Verse (Kemp Powers, Joaquim Dos Santos & Justin K. Thompson, 2023) arrive donc dans les salles obscures avec beaucoup plus d’attente de la part du public que pour le premier et un effet de surprise amoindri. On sait qu’il a été pensé comme un épisode plus ou moins filaire jusqu’à la conclusion Spider-Man : Beyond The Spider-Verse prévue pour 2024. Alors que raconte ce nouveau chapitre ? Eh bien nous retrouvons tout d’abord Gwen Stacy aka Spider-Gwen qui, dans son propre univers, la Terre-65, gère plutôt mal ses relations avec son père et le fait de ne plus voir Miles Morales puisqu’elle ne peut plus voyager d’un univers à un autre comme dans le premier volet. Elle se retrouve, par un concours de circonstances, engagée par Miguel O’Hara aka Spider-Man 2099 pour veiller à la bonne tenue du multivers. Nous passons ensuite sur Miles Morales, dans son univers à lui, qui lui aussi galère auprès de ses parents puisqu’il a du mal à concilier sa vie de super justicier à celle d’étudiant ambitieux. Gwen lui manque également et finit par lui rendre visite. Elle est en mission pour surveiller un super-vilain : La Tâche. Celui-ci a le pouvoir d’ouvrir des portails d’abord à courte portée puis, peu à peu, entre les dimensions. Miles et Gwen voyagent à travers les dimensions pour le mettre hors d’état de nuire, ce qui déplait à Miguel O’Hara qui voit d’un mauvais œil que Miles se mêle à tout ça. Il explique alors à Miles Morales que la mort de ses proches est inéluctable et qu’il ne doit pas l’empêcher sous peine de détruire tout le multivers, puisque la douleur et le deuil sont des constantes pour chaque Spider-Man de chaque univers. On le voit directement, le synopsis de cette suite est largement plus inspiré et audacieux que celui de No Way Home, par exemple, qui se contentait de faire revenir les personnages de toutes les sagas par pur fan service pour stopper des méchants et les faire devenir gentils… Le multivers n’est plus seulement un prétexte pour faire plaisir aux nostalgiques mais un véritable ressort scénaristique qui étend les enjeux et les possibilités, comme avec la prometteuse Terre-50101. La quête de Miles Morales se fera à travers les univers visités où chaque étape enrichira le héros là où le long-métrage du MCU nous montrait un empilement de plusieurs Peter Parker dans un New-York platement filmé et sans véritables nœuds dramatiques. Dès son introduction magnifique qui suit le personnage de Gwen – la direction artistique est incroyable dans ce monde-là – Spider-Man : Across The Spider-Verse enterre les trois dernières années de productions de Disney/Marvel.

© CTMG, Inc / Sony Pictures Animation

Enjeux simples mais forts, émotions à fleur de peau, petites piques politiques et frissons : nous retrouvons tout ce qui fait le sel du genre super-héroïque et que nous avions possiblement perdu à force de The Flash (Andy Muschietti, 2023) ou d’Ant-Man et la Guêpe : Quantumania (Peyton Reed, 2023). La séquence où La Tâche, fortifiée, énonce à Miles ce qui l’attend est d’une force dramaturgique rarement atteinte dans l’univers du tisseur et, plus largement, dans le genre. Cette noirceur n’empêche aucunement le film d’être à nouveau, comme son prédécesseur, un objet pop tel qu’on n’en voit pas assez. Chaque scène fourmille de détails et de références qui nécessiteraient des arrêts sur image incessants pour pouvoir tout capter. Mais juste l’énergie du long-métrage, son incroyable bande originale et le ton qui y est déployé suffisent à rendre le film à la fois cool et profond. Un Spider-Man : Across The Spider-Verse au ton résolument hip-hop, à des années lumières de ce que Marvel, via son MCU, nous a habitué, et qui traite d’enjeux dans lesquels chacun peut se reconnaitre. L’adolescence, évidemment, est amplement abordée avec son lot d’incompréhensions entre adultes et ados, et ses déceptions amoureuses et affectives. Mais le film va plus loin que le simple teen movie, genre auquel se rattachaient les productions live action avec Tom Holland, puisqu’il va même s’adresser aux parents et à tout un chacun quand il abordera le point de vue des parents Morales et la fameuse question du deuil, si importante dans chaque cycle Spider-Man. Spider-Man : Far From Home (Jon Watts, 2019) et Spider-Man : No Way Home faisaient bien mine de parler de la mort et d’affliction, au détour des décès de Tony Stark et de Tante May, mais jamais ils n’en faisaient une étape charnière de la vie de Peter Parker. Dans Across The Spider-Verse, pas besoin de décès à l’écran pour faire planer la mort sur l’ensemble du récit et la menace qu’elle représente. Sans en avoir l’air, si l’on s’en tient aux outils promotionnels, affiches et teasers, le film est d’une maturité quasi inédite dans le domaine des super-héros. Tout juste pourrait-on regretter l’effet de l’épisode de transition qui peut nous saisir au bout de deux heures de bobine, quand on se rend compte que tous les enjeux dramatiques ne pourront être résolus avant la conclusion et qu’il nous faudra attendre des mois voire plus pour découvrir la conclusion de ce grand morceau d’animation et de cinéma. Mais c’est bien peu de choses comparés aux plaisirs ressentis à l’endroit de nos yeux et de nos oreilles…


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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