Son premier long-métrage Jacky Caillou sorti l’an dernier nous avait interpelé et pourtant nous étions passés à côté de son évocation dans nos pages, pour se rattraper, alors que le film est maintenant disponible en vidéo et VOD, nous avons proposé à Lucas Delangle un long entretien autour de ce premier essai passionnant.
Faire simple
Je voudrais commencer par une question assez large : d’où vient Jacky Caillou, le nom du personnage principal qui donne son titre au film ?
Dans les toutes premières versions du scénario, c’était juste Jacky. J’avais inventé avec Olivier Strauss, le co-scénariste du film, ce personnage de musicien, qui était un peu « l’idiot du village ». Au début, les gens se moquent de lui, etc. Et au fur et à mesure de l’écriture, le côté idiot, ou en tout cas « mis à l’écart » du village, m’intéressait de moins en moins. Ce que je préférais en fait, c’était le côté rêveur, le mec qui est dans sa musique, dans les nuages, qui s’ennuie dans son village et qui rêve d’autre chose. « Jacky » tout court a été le titre du scénario pendant un long moment. Le nom de famille est venu avec le personnage de la magnétiseuse, par le nom que lui donne les gens, comme quand on va voir un docteur en l’appelant par son nom de famille. Et Caillou j’aimais bien parce qu’on gardait ce côté fragile, un caillou c’est plus petit, moins dur qu’une pierre. Ça rappelle également l’environnement minéral du film, la montagne, qui est un endroit chargé de magnétisme. Caillou correspondait bien à plusieurs éléments du film : la fragilité, le côté enfantin du mot, ça fait également écho aux tas de pierres qui représentent les tombes des parents de Jacky, à qui ils parlent au début du film. Je trouvais que ça collait bien avec le côté récit initiatique : Jacky Caillou, ça pourrait presque être le nom d’un personnage de conte pour enfant, ou d’un personnage de Sempé.
Dans le dossier de presse tu évoques que cette histoire de magnétiseur vient de ta jeunesse dans laquelle tu as côtoyé d’un côté ton père, médecin d’un petit village proche de la Mayenne et de l’autre les magnétiseurs, assez actifs dans cette région. Cette dichotomie pourrait presque être une analogie du film : d’un côté une veine scientifique, documentaire, une volonté de filmer une région, un village, et de l’autre, ce côté fantastique, ésotérique.
Dès le départ Jackie devait être ce personnage de rêveur qui d’un coup, quand sa grand-mère commence à lui montrer les dons de magnétiseurs, s’identifie à fond et devient obsédé. Peut-être par son côté orphelin, qui n’a pas de références très solides, cet héritage familial devient une obsession : savoir qu’il a le pouvoir ça veut dire qu’il est de la famille. Je savais qu’en cherchant l’acteur qui allait jouer le personnage de Jacky, il fallait qu’il allie les deux facettes, à la fois doux rêveur, mais qui peut aussi devenir obsessionnel, plus sombre. Certains m’ont fait remarquer après coup que le personnage avait les mêmes initiales que Jésus Christ, je n’y avais pas du tout pensé, mais l’inspiration venait plutôt de la figure du thaumaturge, du guérisseur. Au moment où Jacky marche dans la forêt, enroulé dans une couverture de survie, je voulais qu’on pense à un ermite. Quand j’étais gamin, mon père était le médecin du village et avait son cabinet juste à côté de la maison. Pour aller à l’école je passais devant. Je me souviens bien de ces atmosphères de salles d’attentes qui m’avaient marqué. En sortant, pour aller et revenir de l’école, je voyais toujours les gens en train d’attendre mon père finalement. C’était aussi un grand sujet de conversation avec les gens, mes copains du village : « on a rendez-vous avec ton père », « on y va dans une semaine, il est très pris », etc. Il y avait une sorte d’aura autour de lui, il était une figure, quelqu’un qui pouvait guérir les gens. Quand j’étais enfant ce sentiment était très fort : tu vois des gens qui attendent chez toi pour voir quelqu’un de ta famille, parce qu’il a une compétence particulière, ici médicale, scientifique. On finit par le voir un peu comme un sauveur. Ça, et l’envie de filmer un petit village, ont vite fait imaginer cette histoire de magnétiseur.
On voit dans Jacky Caillou une attention particulière portée au côté a priori « banal » de l’activité de magnétiseur : la salle d’attente, les manières de payer, etc… On retrouve un peu une opposition entre un acte magique, et quelque chose de plus trivial, qui finit par être tout aussi fascinant.
Dans le côté trivial, justement, j’avais l’impression qu’il y avait beaucoup de choses à filmer qui m’apparaissaient presque un peu plus magiques que ce qui se passait pendant les séances de magnétisme. Le premier patient de Gisèle paye avec quatre œufs dans un sac plastique bleu d’épicerie, il les met sur la table à offrande, où il y a une bougie. J’ai l’impression qu’avec ces petits gestes du quotidien, on pouvait créer un côté cérémonial. Je n’ai pas cherché tellement à donner à tout ça une dimension sacrée, mais tout le rituel me plaisait bien. Finalement quand on va chez le médecin aujourd’hui, c’est un peu pareil : on s’inscrit dans un cérémonial où tu rentres, tu sonnes, tu donnes ton nom, tu rentres dans la salle d’attente, etc. Je voulais vraiment filmer ces moments-là, parce que ça me semblait important. La mise en scène de la cérémonie, elle a autant d’importance que la cérémonie elle-même. Et le fait d’attendre, c’est un vrai truc : les magnétiseurs que j’ai vus – j’en ai rencontré pas mal – l’attente est souvent assez longue, il n’y a pas vraiment de rendez-vous à heure précise.
Cet aspect-là se retrouve de manière similaire dans Goutte d’Or de Clément Cogitore, qui reprend aussi cette salle d’attente, chez un médium cette fois.
Exactement, pareil. Et lui, il a poussé la chose encore plus loin, on a vraiment l’impression dans le film que les gens doivent attendre trois jours dans la salle d’attente pour voir le médium. La salle d’attente c’est un peu un souvenir d’enfance, j’aimais bien cet endroit. C’est un endroit de vie, il y a des gens variés, une femme avec un bébé, un homme âgé, etc. Toutes sortes de gens. Des gens qui parlent tout seul, des gens qui se sont endormis… J’aime bien qu’il y ait un peu de vie dans cette scène.
Cette scène alimente – même si l’intrigue est centrée sur quelques personnages bien identifiés – l’idée de mettre en scène un village, une communauté.
Oui, c’est assez difficile de faire ça je trouve au cinéma, et j’aimerais réussir à le faire encore plus. C’est effectivement un des éléments qui nous montre cette communauté. Il y a aussi le bar du village, et la scène de battue, mais c’est surtout ça qui fait vivre la communauté à l’écran, le fait qu’ils attendent tout le temps chez Gisèle, qu’ils parlent d’elle quand elle n’est pas là. Ça lui donne un peu une importance, ça en fait une « figure identifiée » du village, qui j’ai l’impression, raconte le village en creux.
L’acte de magnétisme lui-même – par définition intangible, invisible – semble également complexe à mettre en image. Le travail du son et de la musique fait un beau parallèle avec cette pratique.
Le personnage a cette espèce de goût pour ce qui ne se voit pas. Ça passe par la musique, le son, une onde. Il y a des magnétiseurs qui disent effectivement que ce sont les ondes qui guérissent, on est dans le même champ lexical, c’est le même endroit de pensée finalement. Et quand on a fait la musique on s’est dit que le thérémine correspondait vraiment bien à cette idée. Ça mimait presque les gestes des séances avec cette antenne qui réagit à la proximité de la main. On a composé pas mal de musique avec le compositeur Clément Decaudin. Ça me plaisait bien de commencer le film tout de suite par Jacky qui écoute, qui met son casque, il enregistre des sons dans sa maison. Il est déjà sensible à un ailleurs, un invisible, dont il attend une manifestation soudaine dans sa vie. Les scènes de magnétisme, je voulais qu’elles soient toujours très simples, sans effet particulier. Je cherchais plutôt une espèce de sensualité ou une grâce du moment, comme par exemple, les ombres, les mains de Jacky sur le dos d’Elsa. Je cherchais un rapport organique, assez simple, je ne voulais pas qu’il y ait d’effets spéciaux, même de jeux particuliers là-dessus. Je trouve que le film est beau quand il est simple.
La musique a un rôle assez spécial : c’est à la fois la bande son et la musique que semble créer le personnage au sein même du film.
On l’a vraiment pensé comme ça. Comme le personnage était musicien, avec Clément Décaudin, on s’est dit qu’il fallait imaginer la musique comme celle du personnage. Il est musicien, mais en fait on le voit assez peu jouer. On le voit une fois enregistrer des sons, une autre fois jouer de la musique et sinon un peu chantonner. Pour faire exister sa musique encore plus fort, la musique du film allait être la musique du personnage. Ça lui donnait un côté beaucoup plus intime et puis un côté plus marqué. Pour faire ça, Clément a travaillé avec un nombre réduit d’instruments et il a utilisé surtout ceux que l’on voit à l’écran. Donc il y a l’ocarina, qui est un clavier dans lequel on souffle par un tuyau, il y a le thérémine dont on parlait, et il a surtout travaillé avec des enregistrements sur cassettes, sur des sons concrets. Il a œuvré pour que la musique n’ait pas l’air trop mixé, qu’elle soit un peu brute. Juste avant, j’avais fait un film – qui est sur le DVD de Jacky Caillou d’ailleurs – qui s’appelle Du Rouge Au Front. J’avais utilisé une autre méthode pour la musique : une fois que le film était fini, j’ai fait venir Magic Malick, et je lui ai demandé de jouer sur les images. Il joue de la flûte traversière, on lui avait projeté le film et il jouait par-dessus. Pareil, il y avait un côté brusque, que je trouvais hyper touchant, et qu’on n’avait presque pas mixé. On avait gardé toutes ses attaques de flûte.
En parlant de ton précédent projet, on retrouve Edwige Blondiau, qui apparait dans Du Rouge Au Front, dans un des rôles centraux de Jacky Caillou. Le film est-il né de cette rencontre ?
Avec le co-scénariste de Jacky Caillou, qui était le monteur du précédent film et qui connaissait aussi très bien Edwige, quand on a commencé à écrire ce personnage de grand-mère, assez rapidement, on avait son image en tête, sans savoir encore que j’allais lui proposer le rôle. Quand on imaginait les dialogues, on imaginait son accent, sa façon de parler etc. Et donc finalement on a écrit pour elle, même si je ne lui ai pas proposé tout de suite. J’ai attendu, j’ai pris du temps avec elle pour être sûr qu’elle avait envie de le jouer, qu’elle savait dans quoi elle s’engageait. En arrivant sur le tournage il a fallu se rendre compte assez vite de ce qu’elle était capable de faire, de ce qui allait plus lui poser problèmes… Ce qui est génial avec elle c’est qu’elle peut tout dire. Tout sonne juste dans sa bouche. Même s’il y a beaucoup de mots, ça marche. Et puis, j‘aimais bien l’idée de prendre Edwige qui vient du Nord, qui a un côté un peu déglingue quand même, et de la foutre dans cette immense baraque bourgeoise et faire d’elle un personnage respecté de tout le monde. Ça créait un décalage par rapport à l’attendu social qu’on peut avoir. J’ai l’impression que c’est ça qui lui donnait une dimension romanesque.
Je reviens sur la simplicité formelle du film que tu revendiquais plus tôt, cela se rapproche un peu de la personnalité même de Jacky, assez rêveur, qui croit dans ce pouvoir de magnétiseur. On le croit si on a envie de le croire…
C’était très important. A un moment c’était même une phrase dans le scénario, Jacky disait « tu peux le voir que si tu y crois déjà ». C‘était important pour moi de faire un film à ce niveau-là : c’est parce qu’on y croit qu’on peut être attentif à plein de petites choses un peu magiques, même du quotidien et pas forcément seulement dans les scènes de magnétisme. Il fallait que les effets prennent peu de place, qu’on ne soit pas « forcé » d’y croire.
A ce titre, Jacky Caillou opère un virage vers un genre très particulier qu’est le film de loup-garou. Pour revenir sur ce que tu viens dire, je me suis demandé effectivement au premier visionnage pourquoi un passage très classique dans les films de loup-garou, qu’est la scène de transformation, restait hors-champ ?
J’ai vraiment voulu garder hors-champ la transformation parce que j’avais l’impression que si je mettais plein d’effets spéciaux d’un coup pour faire une transformation en direct ça dénoterait brusquement avec le ton général du film. Et si le fantastique devenait explicite pendant la transformation, il fallait aussi le faire pour les séances de magnétisme. Je voulais être vraiment dans une forme de simplicité. Rester sur les mains, les regards, c’est ça qui me plaisait. C’est la même chose qui me plaisait dans cette transformation en loup : c’est presque plus l’histoire que raconte Elsa pour expliquer sa nature, quand elle dit que ce sont les arbres qui l’ont appelée… Et puis, cette touffe de poil sur son dos. Il y avait un truc très sensuel, de la tâche. Simple quoi. Je préférais aussi que ce soit les acteurs qui conservent une place centrale, plus que le genre. J’aime beaucoup certains films de genre, mais surtout quand c’est un peu trouble. La transformation, on l’a vu dans tellement de films avant le mien, c’est tellement dur de faire quelque chose de nouveau là-dessus…
Comme si c’était un peu un passage obligé.
C’est un attendu qu’il faut soit dévier, renouveler, ou alors faire passer par la poésie. C’est le cas par exemple dans Tropical Malady (Apichatpong Weerasethakul, 2004) C’est l’histoire de deux mecs très amoureux en Thaïlande. On sait qu’il y a une bête qui rôde. Dans la deuxième partie du récit, l’un des deux a disparu et l’autre le cherche dans la jungle. Quand il rencontre la bête on sait, c’est sûr que c’est son amant, sans qu’on ait eu de transformation. C’est la super belle leçon du film : comme c’est une histoire très romantique, on y croit parce que c’est beau. Encore une fois on y croit parce qu’on a envie d’y croire. Je crois qu’un cinéma de genre qui refait tout le temps les mêmes scènes n’a plus rien à inventer d’autre qu’une espèce de plus-value technique parce que les effets spéciaux se sont améliorés avec le temps donc, la transformation en loup qui était cheap dans les années trente, est super convaincante dans Le Loup Garou de Londres (John Landis, 1981), et on pourrait faire bien mieux aujourd’hui parce que tu as des supers outils numériques. Mais je ne suis pas sûr que ça rajoute un charme, ni beaucoup d’inventions cinématographiques.
Il y a finalement cette idée de reposer sur la grammaire de cinéma « première », et des artifices simples.
En plus oui. On aurait pu essayer de faire des petits trucages « maison », ça aurait été beau, mais j’ai choisi une autre voie. Par exemple quand Elsa se transforme la première fois, on est dans les bois, j’ai utilisé une optique qui déforme les perspectives. J’aimais bien cet effet, les deux optiques anamorphiques que tu colles l’une sur l’autre et qui provoquent une déformation des perspectives. C’est léger, c’est un truc mécanique quoi, qui passe vraiment à l’image, comme si on entrait dans un rêve déformé. D’ailleurs, c’est le rêve de Jacky finalement, il en train de dormir à ce moment-là. Voilà, moi j’aime bien faire ce type d’effets avec presque rien, des choses simples.
Jacky Caillou a été présenté à Cannes en 2022, et très rapidement une thématique commune à d’autres longs-métrages est apparue : Jacky Caillou et Alma Viva (Cristèle Alves Meira, 2023), dans une moindre mesure L’Envol (Pietro Marcello, 2022) ou encore un peu avant Teddy (Ludovic et Zoran Boukherma, 2020), tous semblaient s’attacher à filmer le fantastique, un côté « magique » relevant presque plus du folklore. Comment expliquerais-tu cette tendance ?
Justement, j’ai fait une interview avec Cristèle (Alves Meira, réalisatrice de Alma Viva ndlr), une journaliste nous avait proposés une interview croisée parce qu’elle trouvait que les films se faisaient écho. Je n’ai pas encore vu le film de Cristèle, ni même L’Envol, mais j’ai remarqué, même dans plusieurs films, qu’il y avait ce gout de ré-invoquer de la ruralité dans le mystique. Alors, le risque de ça, je pense, c’est de tomber dans le folklore.
Pourquoi le folklore serait-il un risque ?
Parce que ça peut faire un peu recette. En revanche ce que je trouve beau, c’est de confronter, de mélanger. Mon idée du film, c’est de confronter un milieu rural, où on a un attendu très naturaliste, avec des codes de genre. Un film fantastique qui met de la magie dans le quotidien. Il y a pas mal de films en ce moment qui exploitent ça, même si je pense que c’est exploré différemment parce qu’entre les frères Boukherma par exemple et le film de Cristèle, c’est assez différent. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de films aussi qui sont marqués par l’après COVID. J’ai la sensation que beaucoup de gens ont voulu aller vers des films qui ont adopté cette idée de l’invisible, de l’intangible, un peu enchanté, magique.
Dans les passages de spiritisme ou de magnétisme on trouve un peu également ce goût du décalage, des croyances presque païennes, mêlés à un vocabulaire catholique.
J’aimais bien l’idée de mélanger ces éléments, de rendre l’activité du magnétiseur encore plus insaisissable. Il y a pas mal de choses qui viennent d’Edwige, qui est très croyante. Donc quand je lui demande de psalmodier des mots, assez rapidement le « Notre père » lui vient en tête parce que c’est ce qu’elle connaît. Mais c’était déjà comme ça dans le scénario avec l’idée de mélanger les croyances. Il y a certains trucs qui viennent carrément de la mythologie chrétienne, d’autres des rituels païens : le gui au-dessus de la porte d’entrée, le fait de prendre l’arbre dans ses bras, etc. J’aimais bien mélanger tout ça aussi parce que j’avais l’impression que ça collait à ce que j’avais observé. La plupart de magnétiseurs que j’avais rencontrés lors de la préparation étaient des gens très croyants, souvent chrétiens. Mais j’ai aussi remarqué que leur façon de considérer le sacré venaient de plein de sources.
Ce côté mélange se retrouve aussi dans le lieu de tournage. On parle de magnétiseur inspiré de ceux d’une région comme la Mayenne, mais l’intrigue est située dans les Alpes.
En fait, ce n’est pas tant le côté magnétiseur du récit que l’invocation du motif du loup qui m’a poussé à aller tourner là-bas. Je cherchais un endroit où il y a vraiment des loups et vraiment des éleveurs qui souffrent des attaques de loup, ce qui me semblait important pour crédibiliser la scène de battue notamment. Je n’avais pas envie de faire ça dans un endroit où on ne connaît pas ce genre de problématiques. Comme je me suis dit assez rapidement que j’allais tourner avec des gens du coin, je préférais être proche du réel. Quand je suis arrivé dans les Alpes, j’ai fait plein de tours en bagnole et quand je suis arrivé dans cet endroit-là, il y avait plein de choses qui me plaisaient. Pour le décor : le village est un peu fait de bric et de broc, il y a des maisons peintes en couleur, des toits en tôle, un truc qui ressemble à la Provence, mais c’est pas encore vraiment la Provence et ce n’est plus tout à fait l’image qu’on peut avoir des Alpes non plus. Quand j’ai parlé aux gens du loup, ils comprenaient exactement de quoi je parlais. J’ai l’impression que ça a fait gagner beaucoup de temps, je me suis nourri beaucoup de ce qu’ils connaissaient. J’aimais beaucoup les gens rencontrés, et j’avais très envie de les filmer. Jean-Marie, le premier patient de Gisèle qu’on revoit plusieurs fois dans le film, de même pour Georges Isnard l’éleveur, c’est que des gens du coin, tu vois ? Avoir envie de les filmer était primordial, et de les filmer avec amour.
Jacky Caillou est assez hybride, flirte avec le genre fantastique. On sait que les propositions de genres sont parfois difficiles à monter financièrement en France. As-tu rencontré des difficultés ?
On a eu l’avance sur recette du CNC, l’aide d’une région et une toute petite SOFICA. On a aussi eu la chance d’avoir un coproducteur qui a une post-prod à Montreuil ce qui a beaucoup facilité la post-production. C’est vrai que pour avoir une chaîne de télé, ou une SOFICA un peu plus grosse, c’était plus difficile. Mais je pense que dans mon cas, ça tient beaucoup plus au fait d’avoir fait un film avec des gens qui ne sont pas des têtes d’affiche qu’une histoire de film de genre. J’ai l’impression qu’il y a quand même de plus en plus de films de genre qui arrivent à se monter. Avec Jacky Caillou je ne me suis jamais posé la question, je me suis jamais dit que je faisais un film fantastique. Je me disais que j’allais réaliser un film et qu’il y avait des éléments fantastiques dedans et des éléments de ma vie. Je me sentais plus proche dans mon désir de cinéma de Heureux comme Lazzaro (Alice Rohrwacher, 2017) qui n’est pas un film fantastique, et pourtant il y a une ellipse de vingt ans avec un personnage qui ne vieillit pas, où il y a des éléments de magie, une musique qui s’envole etc. Je crois me souvenir que lorsque le producteur parlait avec des distributeurs au moment du scénario, certains trouvaient que c’était soit trop fantastique, soit pas assez. Il y avait un peu une volonté de choisir son camp que je trouve dommage. Je ne crois pas qu’au final être entièrement dans un genre, ou entièrement dans un autre, fasse les meilleurs films.
Propos de Lucas Delangle
Recueillis et Retranscrits par Martin Courgeon