Eo


La compétition du 75ème festival de Cannes a accueilli un protagoniste bien particulier en la personne de l’âne Eo (Jerzy Skolimowski, 2022) dont le film éponyme narre l’histoire. Entremêlant parenté prestigieuse avec les cinémas de Robert Bresson et/ou de Peter Sellers, le tout enrobé d’une grande liberté formelle, ce long-métrage est aussi et surtout un braiment du cœur pour la cause animale.

Gros plan sur la tête d'un âne, vu de travers, et dans un filtre rouge, issu du film Eo.

Une Histoire bête

L'âne d'Eo dans une prairie verte, un collier de carottes autour du cou.

EO © Aneta Gebska i Filip Gebski

Il y a eu Charlie Chaplin, Jacques Tati, ou plus récemment Elia Suleiman et son It Must Be Heaven (2019). Des figures de cinéma décalées, observatrices souvent silencieuses portant un regard sur le monde défilant autour d’elles, son absurdité, sa cruauté, sa beauté aussi, parfois. Et puis il y a Eo, dont le nom est l’équivalent polonais de « hi-han ». Eo est un âne de cirque, se retrouvant soudain à devoir errer, passant d’un maître à un autre, alternant parenthèses de liberté et d’enfermement. Le postulat du film est particulièrement audacieux : nous faire suivre le destin d’un âne pendant près d’une heure trente ! Jerzy Skolimowski pousse un cran plus haut cette longue tradition de fiction, visant à épouser un point de vue extérieur sur une société ou une culture pour mieux en faire ressortir les traits saillants et les travers. Pourquoi adopter le point de vue d’un humain sur la société humaine, quand on peut adopter celui d’une bête ?

L'âne d'Eo avance vers un rocher, qui va obstruer son chemin ; plan en contre-plongée.

EO © Aneta Gebska i Filip Gebski

C’est là tout le pari à la fois politique et esthétique du film. Enchaînant des situations aux tons variés, de la comédie au drame en passant par le suspense, Eo permet de scruter et observer ses différents interlocuteurs, ses maîtres, tantôt doux, tantôt cupides, tantôt cruels ou fous (à l’image du caméo d’Isabelle Huppert reprenant son rôle maintenant connu de femme un tantinet étrange – cf Elle de Paul Verhoeven, entre autres). La parenté avec Au Hasard Balthazar (Robert Bresson, 1966) se fait alors évidente. Mais la grande force du long-métrage réside aussi dans ses tentatives formelles tant il tente de coller au maximum au point de vue animal, passant ainsi librement en vue subjective ou usant des gros plans sur certains détails, comme pour tenter de rendre compte d’une vision non-humaine. De la même façon, les moments de détresse de notre héros équidé semble être représentés par des séquences en rouge et noir, parfois stroboscopiques : Skolimowski expérimente, joue avec les sens, tente d’imaginer les états, les émotions, le rapport au monde de son héros très littéralement inhumain…On pardonnera à Eo sa morale et son dénouement qui semblent un poil convenus, tant l’épopée hors des codes et des genres proposée est singulière et marquante.

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A propos de Martin Courgeon

Un beau jour de projection de "The Room", après avoir reçu une petite cuillère en plastique de plein fouet, Martin eu l'illumination et se décida enfin à écrire sur sa plus grande passion, le cinéma. Il est fan absolu des films "coming of age movies" des années 80, notamment ceux de son saint patron John Hughes, du cinéma japonais, et de Scooby Doo, le Film. Il rêve d'une résidence secondaire à Twin Peaks ou à Hill Valley, c'est au choix. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riwIY

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