Présenté dans la section Mondovision de l’Etrange Festival, Censor, premier effort de la cinéaste galloise Prano Bailey-Bond, a de bicéphale qu’il intrigue et intéresse avant de fortement décevoir. Un long-métrage dont on sort avec l’amer sensation que derrière cette œuvre moyenne, se cachait la potentialité d’un très grand film.
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On connaît l’appétit des équipes de l’Etrange Festival à aller fouiner du côté des premiers films, pour mettre en lumières avant tout le monde (ou presque) les talents de demain. On sait aussi que chaque année sa sélection donne la part belle à la relecture d’une histoire parallèle du cinéma et de la contre-culture – particulièrement par le biais d’une sélection de documentaires riche. Aussi, il n’y a rien d’étonnant à retrouver Censor – premier long-métrage de la cinéaste galloise Prano Bailey-Bond – dans cette cuvée annuelle du festival parisien, puisque son sujet, en un sens, entend revisiter par le prisme de la reconstitution historique, une période très spécifique de l’Histoire – la grande – des cinémas de genres qu’est l’ère de la VHS.
Au début des années 80, l’émergence de ce marché secondaire de l’exploitation des films permit à tout un tas de productions low cost, jugées bas de gamme, voire peu recommandables, de déferler dans les foyers. Alors qu’en France, on assiste à la fin des années 1970 à un relâchement feint de la censure cinématographique sous l’impulsion de la présidence Giscard – le régime de la classification X sera encore plus redoutable et une forme de censure déguisée – de l’autre côté de la Manche, l’arrivée au pouvoir en 1979 de Margaret Thatcher et de sa politique conservatrice va considérablement raffermir le contrôle moral des œuvres. Ainsi, dès le début des années 1980, la British Board of Film Classification (BBFC) – soit, l’équivalent de notre comité de classification du CNC – va mettre en place – sous la pression de l’association conservatrice National viewers and listerners Association (NVALA) – un conseil de classification et de censure dont le travail consistait à regarder les productions et à en ordonner, éventuellement, des coupes. Sont visées plus particulièrement les œuvres cinématographiques jugées déviantes – on les qualifie alors de video nasty , pour « méchantes » – parce que présentant des scènes violentes, sexuelles, ou les deux. Les revendications de la NVALA vont être largement relayées par les médias britanniques conservateurs, accusant ces films d’être des détonateurs, permettant de créer des étincelles chez les criminels endormis, incitant aux passages à l’acte. L’obscénité de ce cinéma cathartique est alors chassée et des œuvres majeures des cinématographies de genres – en vrac La Nuit des Morts-Vivants (George A. Romero, 1968), Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper, 1975 ), Cannibal Holocaust (Ruggero Deodato, 1980), La Baie Sanglante (Mario Bava, 1971), Driller Killer (Abel Ferrara, 1979), Ténèbres (Dario Argento, 1982), La Dernière Maison sur la Gauche (Wes Craven, 1972), The Evil Dead (Sam Raimi, 1990), L’Au-Delà (Lucio Fulci, 1981), Maniac (William Lustig, 1980) et j’en passe de très nombreux autres… – sont alors dénaturés, coupés, voire carrément interdits de diffusion. Comme souvent, l’interdit créa du désir, et ces longs-métrages furent alors convoités, recherchés, dealés sous le manteau ou dans les arrière-salles des vidéoclubs londoniens.
C’est dans ce contexte passionnant et relativement méconnu (ou oublié) que le récit de Censor est ancré. L’héroïne – plus proche d’une anti-héroïne en soi – prénommée Enid, est une jeune femme résolument acquise au tchatcherisme et travaillant pour la BBFC. Réputée exemplaire dans ses décisions, redoutable dans son argumentation, elle est l’un des meilleurs bourreaux du comité de censure, coupant des plans comme Charles Henri Sanson coupait des têtes à la révolution : froid, rapide, efficace. Le premier tiers du scénario travaille admirablement cette situation relativement absurde mais tout du moins fascinante, de spectateurs contraints d’œuvres jugées « malsaines », qui par la force des choses et ce malgré leur labeur d’exécuteurs d’obscénités vont virer de bord jusqu’à témoigner d’une forme de fascination tacite à l’égard de ces images. Prano Bailey-Bond explore malheureusement assez timidement ce grand sujet – les censeurs ne sont-ils pas finalement les plus fascinés par l’obscène ? – en tombant certainement trop amoureuse de son personnage. Ainsi, très vite, le lieu du comité de censure et son activité n’est plus qu’un décorum, dont on sort pour se réfugier dans le passé tourmenté d’Enid. Celui-ci est ausculté – on comprend que sa sœur a disparu et qu’Enid, depuis, cherche des réponses – et devient le seul et unique point de convergence du récit et de ses sujets. De la peinture façon Mindhunter (David Fincher, 2017-2019) d’un monde de buralistes peu conventionnels, le récit dévie alors pour arborer la tunique de fripes rapiécée, mille fois portée. Une descente aux enfers, portrait intime et tourmenté, relativement convenue malgré ses audaces de mise en scène et son désir affirmé de s’élancer, à corps perdu, dans la fiction et son gouffre. Reste en tête, l’expression d’un film qui s’était bien trouvé avant de finalement se perdre.