On the Job 2 : the Missing 8


Huit ans après le premier opus, qui était déjà un film éminemment politique, le réalisateur philippin Erick Matti offre avec On the Job 2 une suite à son On the Job qui entend dénoncer, avec plus de virulence que son prédécesseur, la corruption qui gangrène son pays.

Dans un paysage de campagne, un homme la mine attristée regarde loin devant lui ; derrière lui un photographe avec son appareil en train de prendre un cliché ; scène du film On the job 2.

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Philippine Papers

Le policier Sysoy dans une rame de métro où tout le monde est assis sauf lui, l'air inquiet et alerte dans le film On the job 2.

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Déjà remarqué à l’Etrange Festival pour Gagam Boy (2004) et son segment pour le film à sketchs ABC of death 2 (2013), Erick Matti nous revient cette année avec On the Top 2 : The missing 8. Là où le premier volet se voulait comme un néo-noir classique, empruntant autant au cinéma de Friedkin que de Scorsese, cette suite tient plutôt du thriller politique. En effet, on y suit un journaliste corrompu, Sysoy, enquêtant sur la mort de huit de ses collègues de travail, et qui, petit à petit, va mettre en évidence la corruption qui gangrène sa ville. Si Matti parvient à cartographier la société philippine, montrant avec intelligence la connivence entre la police et les gangs, c’est dans la dénonciation des médias de son pays que sa critique se révèle la plus pertinente. En effet, si lors de la dictature du commandant Marcos, les fakes news ont été légion dans le pays, le 21ème siècle et ses réseaux sociaux a vu l’apparition de centaines de sites de (dés)information destinée à influencer la politique internationale. Ainsi, en 2016, les élections aux Philippines ont été influencées, en grande partie, par de fausses informations propagées par de faux organes de presse. Cette élection controversée a permis la victoire de Rodrigo Dutertre célèbre pour ses déclarations chocs, sa campagne de War on Drugs (guerre contre la drogue) et sa répression musclée de tous les journalistes qui s’opposent à son pouvoir. Déjà, avec BuyBust (2018) – présenté à L’Etrange Festival, dont Matti est un habitué – le réalisateur dénonçait la politique du président Dutertre et cette War on Drugs en faisant le récit d’une escouade envoyée pour exécuter des prétendus dealers. Prétendus, car le long-métrage était surtout l’occasion pour Matti de dénoncer les dérives de ce système répressif, entaché par de nombreuses bavures policières. Déjà, le cinéaste pointait le rôle complice de la presse vis-à-vis du pouvoir, qui préférait taire ces abus.

Dans On the Job 2, si le personnage principal est un journaliste corrompu, Erick Matti parvient à éviter tout manichéisme. Il s’agit moins pour lui de juger que de comprendre et décortiquer le mécanisme de pression à l’œuvre : si Sisoy tait les exactions commises par les politiques et s’autocensure, c’est surtout car il est conscient qu’il a une épée de Damoclès sur la tête et qu’à tout moment, il peut tout perdre. Incarné par un John Arcilla toujours juste – et qui a par ailleurs été récompensé au festival de Venise pour son rôle – nous est ainsi présenté comme un antihéros, il va progressivement évoluer et remettre en question ce en quoi il croit pour découvrir ce qui est arrivé à ses collègues. Cette évolution trouve son paroxysme dans un final cynique et si Erick Matti – sûrement aussi conscient et prudent que son personnage – ne donne jamais explicitement de noms, on comprend bien qui il souhaite désigner comme responsable(s).

Contre-plongée sur un homme, dans la rue, qui menace quelqu'un avec un revolver ; derrière lui, des immeubles vétustes ; plan issu du film On the job 2.

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Outre la dimension politique de l’œuvre, il convient aussi de parler de sa mise en scène, fortement inspirée par les films de gangsters américains. À ce titre, la bande originale tient elle aussi une part importante mêlant standards de la musique philippine et classiques de grands songwriters américains tels que Tom Jones, Frank Sinatra ou Frankie Valli. Si le recours à ces chansons convoque fortement le cinéma de Scorsese – qui utilise lui aussi régulièrement ces mêmes classiques – ces dernières permettent surtout de créer un violent décalage entre les paroles enjôleuses, voire dansantes, et la violence de ce qui nous est montré à l’écran. Aussi, on pourrait facilement reprocher à l’auteur de pêcher par excès – notamment en multipliant les personnages et en rallongeant une intrigue qui aurait certainement gagné à être plus concise. Cependant, il ne faut pas oublier que la démarche initiale d’Erick Matti reste l’authenticité. En développant des personnages secondaires et leurs intrigues, il veut montrer avant tout que l’ensemble de la société philippine est sclérosée. C’est certainement cette faculté à disséquer en nuances les problématiques d’un pays politiquement troublé qui – pour nous, Occidentaux moins au fait de ce qui se passe dans ce pays si lointain, si inaccessible – fascine dans le cinéma de Matti, tant il donne à comprendre dans toute sa complexité, la situation politique et sociale d’une société qui nous est tant étrangère.


A propos de Freddy Fiack

Passionné d’histoire et de série B Freddy aime bien passer ses samedis à mater l’intégrale des films de Max Pécas. En plus, de ces activités sur le site, il adore écrire des nouvelles horrifiques. Grand admirateur des œuvres de Lloyd Kauffman, il considère le cinéma d’exploitation des années 1970 et 1980 comme l’âge d’or du cinéma. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rZYkQ

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