Enfin disponible en France via la plateforme Shadowz, Starry Eyes (Kevin Kölsch et Dennis Widmyer, 2014) fera passer l’envie à quiconque de tenter sa chance à Hollywood. Retour sur une pépite méconnue du body horror à ne manquer sous aucun prétexte.
La mort brille sous les étoiles
Les réalisateurs et scénaristes américains Kevin Kölsch et Dennis Widmyer n’avaient guère impressionné avec leur remake inutile de Simetierre (2019), ne détournant que quelques scènes sans aucun intérêt du film original de Mary Lambert sorti pile trente années avant. Ce que peu de gens savent, c’est que le duo a réalisé en 2014 l’un des meilleurs films d’horreur indépendants de cette dernière décennie, Starry Eyes. Avec un mini-budget partiellement financé par une campagne Kickstarter et dix-huit petits jours de tournage, les deux metteurs en scène ont quand même réussi à nous pondre un pur bijou de body horror qui n’est pas sans rappeler La Mouche (David Cronenberg, 1986) chef-d’œuvre du genre. Les premières scènes présentent Sarah – jouée par Alex Essoe, nouvelle chouchou de Mike Flanagan vue dans The Haunting of Bly Manor (2020) et Doctor Sleep (2019) – une belle jeune femme qui court désespérément les castings de Los Angeles avec espoir de décrocher son premier grand rôle. En attendant, elle bosse comme serveuse dans un fast-food. Le parallèle qu’on pourrait dresser avec La La Land (Damian Chazelle, 2016) et le personnage d’Emma Stone va virer court, car loin des chansons entraînantes et des couleurs pétillantes de la comédie musicale, Starry Eyes retrace littéralement la descente aux enfers de Sarah. Pourquoi littéralement ?
Parce qu’un grand producteur de films d’horreur – la mise en abime est ici parfaite – lui promet de faire d’elle une star si elle accepte non pas de vendre son âme au diable, mais sa beauté. Si Sarah avait déjà l’impression de courber l’échine face au patriarcat, incarné par les directeurs de casting impitoyables et son patron pervers, ce producteur aux mains baladeuses lui assène le coup de grâce : pour « capturer la laideur de l’esprit humain », il exige de Sarah qu’elle abandonne son joli corps et devienne le vaisseau d’une force supérieure. En d’autres termes, qu’elle se sacrifie pour mieux renaître. Les pentagrammes omniprésents ne laissent aucun doute : en acceptant la proposition du producteur, Sarah entre à corps perdu dans un culte satanique. La jeune femme commence dès le lendemain à perdre ses cheveux, la première étape bien connue de toutes transformations horrifiques. Aliénée, possédée, Sarah s’enlaidit au fil des jours jusqu’à devenir une sorte de monstre consumé par ses propres désirs de gloire. Une consumation qui va de paire avec la consommation des corps féminins par le regard masculin. En ce point, Starry Eyes fait office de précurseur avant la petite bombe de Nicolas Winding-Refn que fut deux ans plus tard The Neon Demon (2016).
Les deux films ont pas mal de similarités scénaristiques : les mannequins du film de Refn rencontrent autant de difficultés pendant leurs castings que Sarah pendant ses auditions ; elles sont également prêtes à tout pour réussir, y compris avoir recours au cannibalisme où l’acte de consommation des corps devient physique et littéral, et non plus seulement métaphorique. La jalousie entre filles attisée par la compétition – encore une fois très liée à l’impact du regard masculin – mène à une confrontation finale sanglante dans les deux films. Formellement parlant, on trouve également des éléments de comparaison, notamment dans les jeux de lumières. L’audition de Sarah laissait déjà présager sa transformation à venir : aveuglée par des flash, la jeune femme prend subrepticement des allures de créature vampirique à la jonction de deux plans. Les lumières blanches hypnotiques qui ponctuent le film rappellent alors les néons fluos de The Neon Demon (tout est dans le titre), également soupçonnés d’hypnotiser les jeunes femmes obsédées par cette quête de beauté physique. Les deux bandes-son électro auront fini d’asseoir la comparaison entre les deux œuvres. Sauf que Winding-Refn, fort du succès de Drive (2011) et d’une renommée internationale grandissante, a bénéficié en 2016 d’un budget de 7 millions de dollars, somme que le duo Kölsch-Widmyer n’aurait jamais rêvé d’atteindre. L’esthétique ultra-léchée de The Neon Demon confirme l’écart de budget, mais le long-métrage du duo n’en reste pas moins extrêmement ambitieux au regard de ses petits moyens. Satire sur la noirceur impitoyable d’Hollywood qui se cache derrière des couches superficielles de glamour, Starry Eyes est fait pour marquer les esprits… Et les estomacs. Interdiction de passer à côté.