Remake de La Mouche Noire de Kurt Neumann (1952) initialement prévu pour Tim Burton, La Mouche (The Fly) est considéré à juste titre comme l’un des meilleurs films de David Cronenberg. On y retrouve en effet toute la quintessence de son cinéma, ses thèmes phares, et son sens de la mise en scène incroyable.
Brundle-Mouche
Lorsque le film sort en 1986, il fait l’effet d’une petite bombe. Son sujet, l’imagerie crue et sale propre du film mêle codes de la série b horrifique, ceux d’un enfant du gore, avec du fantastique hollywoodien, le tout couronné par le premier très gros budget confié au réalisateur. David Cronenberg fait alors sa première vraie excursion hors du cinéma underground et accepte d’adapter cette œuvre parce qu’il avait, d’une part, été très déçu par le premier film, et d’une autre, car le sujet concorde exactement avec ses obsessions d’auteur et de metteur en scène. La Mouche raconte l’histoire de Seth Brundle, interprété par le génial Jeff Goldblum, quelques années avant son rôle culte dans Jurassic Park de Steven Spielberg. Il interprète ici aussi un scientifique, qui vient de mettre au point une invention révolutionnaire: un téléporteur. Après avoir réussi à téléporter son copain babouin, il décide de tester sa machine sur lui-même. Mais, durant la téléportation, un corps secondaire vient s’immiscer dans le transfert, une mouche, qui rentre dans la cabine où il se trouve. L’ordinateur est face à un dilemme, n’étant pas conçue pour interpréter deux individus en même temps, et les restituer séparément: il va les fusionner. Brundle va devenir Brundlemouche, et peu à peu, devenir un monstre moitié humain, moitié insecte.
En dépit du caractère horrifique et fantastique du scénario, ce qui intéressait d’abord le réalisateur dans cette histoire, c’est l’histoire d’amour entre Seth Brundle et la journaliste Veronica Quaife (la sublime Geena Davis) avec qui il va connaître ses premières joies de la chair. Cette relation naissante et son évolution sont au centre des intentions de Cronenberg. C’est précisément ça qui l’intéresse. Plus que la génétique mêlée à l’horreur, le centre de ses intentions est de montrer comment une histoire d’amour peut – ou pas – survivre à la modification physique, à la maladie, ou bien à toute autre chose qui peut faire qu’un individu aimé puisse se transformer aux yeux de la personne aimante. Le thème que Cronenberg aborde n’est pas simplement une histoire fantastique d’un homme se transformant en mouche. A travers les mésaventures et la métamorphose de Brundle en Brundlemouche, le réalisateur questionne sur la maladie, mais aussi la vieillesse, tout ce qui, d’une manière ou d’une autre, est amené à détériorer l’enveloppe corporelle, à la transformer en surface, à la modifier en profondeur. On le voit bien dans le film, où l’on suit l’évolution de Seth et la détérioration de sa condition humaine, comme un vieillard qui compterait chaque jour les cheveux qu’il a perdu, ou les dents qui branlent avant de tomber.
Ce qui touche Brundle est irrévocable, incurable. C’est une maladie qui gagne chaque jour du terrain. En 1986, date où le film sort, on prend conscience des ravages de nouvelles maladies, comme le SIDA, le cancer ou Parkinson. Ce sont toutes des maladies qui rongent, qui gagnent peu à peu, qui envahissent le corps et l’esprit, gangrénant le corps humain. Ici, cette maladie, c’est le « gène mouche » présent en Brundle, c’est ça le virus. Et ce final – il s’agit peut être d’un spoiler, mais il n’a rien de surprenant – transpire du caractère incurable de cette maladie, au stade final de son évolution, la mouche ne peut que mourir. De plus, si sa souffrance est abrégée par l’être aimé, c’est que le symbolisme est grand, et dans la surenchère d’interprétations, on irait sûrement jusqu’à dire que Cronenberg milite directement pour l’euthanasie.
Quand le réalisateur canadien filme Brundle sortir de sa capsule, sans rien dire, il parvient à faire comprendre par l’image que l’être qui sort devant nous est « modifié ». Un ressenti davantage renforcé par la performance de Jeff Goldblum qui est vraiment très impressionnant dans le film. Les plans de Cronenberg sont comme les photos d’une autopsie, il sait filmer les corps, la chair, l’organique, avec un brio rare. Sa mise en scène n’est jamais spectaculaire, les plans sont longs, et il n’utilise jamais les grosses ellipses qu’un montage hollywoodien type imposerait pour donner du rythme. Au contraire, par exemple, quand Veronica ramène Seth chez lui, il utilise ce trajet – qu’un montage type hollywoodien aurait coupé, pour commencer la séquence suivante directement – pour faire passer une information intéressante sur le personnage : il n’aime pas les trajets en voiture, et c’est pour cela qu’il a travaillé sur le concept de téléportation.
On retrouve dans La Mouche tous les grands thèmes du cinéma de David Cronenberg, il s’agit peut être de l’oeuvre centrale de sa filmographie. Génétique, danger de la science, épidémie, modification profonde de l’être, horreur et fantastique, féminité, sexe, grossesse, gore, goût prononcé pour les liquides organiques dans leurs formes les plus diverses : absolument tous les grands dogmes du cinéma de Cronenberg sont présents dans ce film qui reste, à chaque vision, aussi impressionnant et visuellement incroyable.
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