Le Vingtième Siècle


Aucun pitch ne suffirait à saisir l’objet proprement hors-norme qu’est Le Vingtième Siècle (Matthew Rankin, 2020). Biopic halluciné et satirique d’une figure éminente de la politique canadienne, l’ancien premier ministre W.L. Mackenzie King. On tient là une véritable pépite étrange.

Un homme avec un sac en papier sur la tête est debout au milieu de colines miniatures sur lesquelles il y a de nombreux troncs d'arbres coupés, scène du film Le vingtième siècle.

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Le Siècle des Excès

Vous avez des lacunes concernant l’histoire politique canadienne ? Ça tombe bien, Matthew Rankin, jeune réalisateur originaire de Winnipeg signe, après plusieurs courts, Le Vingtième Siècle, premier long-métrage hautement politique. Il s’agit, au tournant du XIXe et du XXe siècle, de relater la vie personnelle et publique de W.L. Mackenzie King, à ce jour l’homme qui a été le plus longtemps (vingt et un ans pour être précis) et plusieurs fois, le premier ministre canadien. Figure majeure de la politique moderne pour le pays, Le Vingtième Siècle est en réalité basé sur ses mémoires. Les premiers actes sont ainsi basés sur son éducation, sa jeunesse à apprendre les rudiments de la politique, l’influence de sa mère sur sa carrière. Son éducation à la politique se fait à coup d’épreuves surréalistes tel que le matraquage de phoques et la pratique du couper de ruban. Sa mère (jouée par l’acteur Louis Negin) cloitrée dans une chambre depuis des années contrôle en réalité tous ses faits et gestes et d’une manière presque prophétique annonce tout ce qu’il doit réaliser dans sa vie. On ne fait ici qu’écorcher la surface de ce long-métrage, qui, basé de manière lointaine sur de véritables événements et moments de vies, arrive à prendre une distance surréaliste et comique pour devenir tout à la fois une satire et un laboratoire d’expérimentations scénaristiques et visuelles.

Une femme au premier plan regarde vers la droite d'un air surpris, au sedonc plan un homme avec un cache-oeil sur l'oeil gauche regarde dans la même direction, tous deux portent une veste unie blanche, une étoile noire imprimée sur la poitrine, plan du film Le vingtième siècle.

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Difficile de décrire de manière compréhensible tout ce qui se joue à l’écran. Tourné en 16mm, le film développe dès les premiers instants un univers graphique extrêmement singulier. Toutes les scènes se passant en extérieur sont figurées dans des décors uniques, géométriques et colorés. Entre illustrations fixes, un poil d’animation, et quelques collages photos, Le Vingtième Siècle, lors de ces nombreuses séquences ne ressemblent à rien d’autre. Au global, entre ses plans toujours très travaillés, la bizarrerie qui les occupe, et son sens de la débrouille permanent, la seule manière d’essayer de décrire le film serait de mentionner un cocktail explosif entre Wes Anderson, Bertrand Mandico – la vision récurrente d’un grand cactus représentant la libido du protagoniste n’est pas sans rappeler la symbolique à l’oeuvre dans Les Garçons Sauvages (Bertrand Mandico, 2017) – et l’univers décalé de Michel Gondry. Même décrit ainsi, il semble réducteur de ne l’apparenter qu’à d’autres œuvres développant un univers visuel sortant des normes, tant celui développé ici est tout autant singulier. Très vraisemblablement tenu par un budget limité, Le Vingtième Siècle fait partie de ces oeuvres qui savent parfaitement transformer leurs limites budgétaires en affirmation visuelle. Mais cela va bien au-delà, puisque le scénario lui-même semble tenir compte des contraintes et s’y accommode habilement.

Le premier ministre s'apprête à couper le fil d'une inauguration, devant ce qui semble un juge et un groupe d'hommes en costume dans le film Le vingtième siècle.

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Matthew Rankin l’a brièvement expliqué lors de la présentation du film à L’Etrange Festival, tout ce qui est contenu dans son travail est vrai. On peine à le croire, et à l’image du long-métrage qu’il propose, cette affirmation n’est pas à prendre au pied de la lettre. Il reste donc de l’histoire du pays et de l’homme en question une version satirique, tordue, exagérée et comique. Cette farce égratigne la figure des hommes politiques présentés, s’inspirant d’une iconographie rappelant propagande et fascisme, pour parler de la politique canadienne. Le Vingtième Siècle est à la fois une vaste blague et une représentation cauchemardesque de l’histoire politique du pays. Il est déjà possible de trouver en ligne des articles faisant la liste des divergences entre le film et la véritable histoire, là où se dresse la limite entre les vraies mémoires de Mackenzie King et l’invention fantasque du réalisateur. Mais s’attarder sur ces éléments factuels, c’est probablement passer à coté de ce qui fait réellement l’essence de cette œuvre. Le public français connait vraisemblablement assez peu les figures historiques présentées, et cela n’a aucune importance. La satire, la démystification de la politique, mais aussi l’invention plastique et le plaisir cinématographique, sont quoi qu’il en soit universels.


A propos de Martin Courgeon

Un beau jour de projection de "The Room", après avoir reçu une petite cuillère en plastique de plein fouet, Martin eu l'illumination et se décida enfin à écrire sur sa plus grande passion, le cinéma. Il est fan absolu des films "coming of age movies" des années 80, notamment ceux de son saint patron John Hughes, du cinéma japonais, et de Scooby Doo, le Film. Il rêve d'une résidence secondaire à Twin Peaks ou à Hill Valley, c'est au choix. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riwIY

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