Sorti directement sur Netflix outre-atlantique, la nouvelle production d’horreur indépendante estampillée Blumhouse, Mercy Black (Owen Egerton, 2020) sort chez nous sur Shadowz, la toute nouvelle plateforme de SVOD spécialement dédiée aux cinémas d’horreur et fantastique et dont nous sommes partenaires. A cette occasion, retour sur ce film qui répond parfaitement au cahier des charges habituel des productions Jason Blum.
Creepypastabox
On va éviter de se répéter, mais chez nous, nous défendons toujours notre scepticisme quant à la marque Blumhouse, capable du pire comme du meilleur. Beaucoup considéreront, surement, Jason Blum comme le Judas des cinémas de genres, producteurs de films bas de gamme et bas du plafond qui ont considérablement affaibli la qualité du genre et les attentes des spectateurs. Difficile de les contredire totalement. Toutefois, il faut reconnaître au bonhomme un certain flair, une faculté aussi, à ressortir des limbes des cinéastes qui méritent plus que de croupir dans les boues des catacombes de l’histoire du cinéma – M.Night Shyamalan en tête. Bref, il ne s’agit pas ici, d’une nouvelle fois relancer ce sempiternel débat entre les défenseurs et opposants de Blum, on a déjà a peu près tout dit dans notre article-question Jason Blum est-il le nouveau Roger Corman ? qu’on vous invite donc plutôt à (re)lire. En réalité, l’état des cinémas de genres américains n’a pas attendu Jason Blum pour glisser depuis bien longtemps sur la pente glissante de la redite, de la franchisation à accès, du recyclage (lire notre article : 2018, même pas peur !). Se plonger dans les dédales du catalogue proposé par Shadowz – qui ne cesse de s’agrandir de jour en jour, quand s’arrêteront-ils ? On espère jamais – rend le constat d’autant plus effarant, tant il y a un gouffre énorme, qu’il soit d’un point de vue qualitatif, de l’audace, de l’invention, entre des titres comme Phantasm (Don Coscarelli, 1979), Society (Brian Yuzna, 1989), Scanners (David Cronenberg, 1981), Carrie au bal du Diable (Brian De Palma, 1981), j’en passe et des meilleurs, et des productions de la dernière décennie, la plupart du temps moins défricheurs qu’exploiteurs de bons procédés, de bonnes vieilles recettes.
Fourvoyé dans la culture de masse des jump-scare movies , des high-concept movies et des remakes dévitalisés et sur-marketés, le cinéma de genre américain a quelque peu perdu de sa sulfureuse puissance, tout au moins pour ce qui représente son versant le plus commercial, largement incarné par la firme Blumhouse. Car si la boîte de Jason Blum aime à se déguiser en maison indépendante, il faut rappeler que ces succès en salles sont aussi le fait d’un accompagnement quasi-constant des majors, en premier lieu Universal, régulier collaborateur en tant que co-producteur et distributeur des longs-métrages Blumhouse. On les défend souvent en ces lieux, l’inventivité, la prise de risque et le sens, est, à notre avis, davantage à chercher du côté d’un studio comme A24, qui, cinémas de genres ou non, s’impose comme l’arche de Noé pour les grands cinéastes américains indépendants d’aujourd’hui et de demain. L’usine à cauchemars de Blumhouse n’a donc comme seule ambition – hormis quelques exceptions notables, de Shyamalan à Jordan Peele – d’accumuler les succès au box-office (comment lui en vouloir) et de parier ainsi, all-in, sur des codes surannés et des histoires vues et revues, faisant de son entreprise une usine à films d’exploitations. Le cas de celui qui nous intéresse ici, Mercy Black, entre totalement dans cette catégorie. Reprenant à son compte le phénomène des creepypastas – sorte de ré-actualisation des vieilles légendes urbaines, profitant du vaste territoire qu’est internet pour se répandre encore plus – très en vogue en ce moment à Hollywood notamment depuis le passage sur grand écran de Slender Man (Sylvain White, 2019), le plus célèbre de ces mythes horrifiques nés sur la toile.
L’histoire narrée dans Mercy Black est donc celle de Marina, qui, quinze ans après s’être livrée, enfant, à un étrange rituel sacrificiel avec deux de ses amies pour invoquer une créature issue de leur imaginaire, sort de l’hôpital psychiatrique. Elle retourne alors sur les lieux, pour vivre aux côtés de sa sœur et de son petit neveu Bryce. Mais évidemment, très rapidement, ses vieux démons vont se réveiller et cannibaliser progressivement l’esprit du petit garçon qui commence lui-même à fantasmer la présence de cette Mercy Black. Fatalement, Marina va retomber dans ses vieux démons, questionner et déconstruire l’ensemble de sa thérapie, redonnant à Mercy une identité, une vie, par le biais du petit garçon. Dégoupillé par un certain Owen Egerton (jeune cinéaste repéré par son court-métrage Follow (2015) puis avec son premier long-métrage Blood Fest (2018) toujours inédit en France) cette nouvelle livraison Blumhouse est aussi plaisante par moment que décevante dans sa totalité. Car si certaines séquences et idées fonctionnent particulièrement bien – notamment les flashbacks assez stylisés en bord de lac, montrant les enfants s’adonner à un sacrifice humain – et que sa créature – figure d’épouvantail ré-inventé – est assez inédite, le film pêche par son incapacité à surprendre, tant tous ses ressorts dramatiques sont cousus de fils blancs. La recette est appliquée au iota, de la musique en tension permanente qui ne provoque plus grand chose tant on y est désormais habitué, jusqu’aux avalanches de jump-scare et effets de basses sur à peu près tout et n’importe quoi, jusqu’au grotesque. Le message sous-jacent qui ne dit à peu près rien d’autres que « nous sommes les créateurs de nos propres démons », n’a pas non plus grand chose de très innovant. On se rappelle par ailleurs d’autres longs-métrages, pas si lointains, comme Mister Babadook (Jennifer Kent, 2014) – que vous pouvez aussi visionner sur Shadowz, on ne saurait que vous le recommander chaudement – qui parvenait à ré-investir cette idée avec bien plus de tact et d’inventivité. Si l’heure et demie de Mercy Black se regarde sans ennui, nous évade et nous décale un petit peu de l’anxiogénité du moment pour la transfuser un bref instant dans une autre angoisse pré-fabriquée et donc plus facile à appréhender, on ne pourra pas nier que ce voyage sans accroc, sans surprise, ne nous laissera pas de grands souvenirs sur le long terme. Mais c’est peut-être l’une des leçons principales du moment : penser court terme.