D’après les propres mots de Bertrand Tavernier, André de Toth fût trop longtemps considéré, à tort, comme un réalisateur de séries B. Depuis de l’eau a coulé sous les ponts et le réalisateur français, tout comme Martin Scorsese, ont travaillé à réhabiliter son travail, tout comme certains éditeurs. C’est le cas de Wild Side en France, qui ressort La rivière de nos amours (1955) dans un superbe coffret réunissant copie restaurée et livret exclusif sur le long-métrage.
Au détour de la rivière
Depuis le début du genre, né presque aussitôt que le cinéma fut inventé, les Amérindiens ont toujours eu la place des méchants dans les westerns. Ce n’est que bien des années plus tard qu’un ton plus nuancé – pour ce qui concerne les rapports entre “cowboys et indiens” – est proposé au spectateur. Historiquement, La rivière de nos amours est l’un des premiers longs-métrages à adopter cette vision, et à rejeter tout manichéisme. Au cœur de l’histoire, on retrouve le personnage de Johnny Hawks, interprété par Kirk Douglas. Habitué à la culture amérindienne, il doit servir de médiateur entre les deux peuples afin d’assurer un convoi de militaires et de civils qui passeront en territoire Sioux. Un jeu d’aller et retour entre les deux camps se met en place dans l’intrigue, créant une atmosphère particulière, où aucun n’est plus bon ou mauvais que celui d’en face, mais où seule la présence de Johnny Hawks est récurrente. Le personnage est, lui-même, ni un héros ni un méchant, mais un personnage cherchant à tirer profit de ce conflit, et essayant de gagner sur les deux tableaux. En fin de compte, si La rivière de nos amours échappe à tout manichéisme, presque obligatoire dans le genre, c’est bien parce que ses personnages ne sont pas caractérisés simplement par leur appartenance. D’ailleurs, à plusieurs reprises, cowboys et indiens s’entendent et cohabitent afin de troquer de l’or contre du whisky – échange qui est au cœur des conflits puisque trop d’autochtones deviennent dépendent de cet élixir. C’est ainsi, que de manière simple et presque transparente, André de Toth traite d’un sujet douloureux qui exista bel et bien, l’alcoolisme chez les Amérindiens découvrant les joies de l’alcool des “visages pâles”. Même s’il ne s’agit que d’une intrigue très secondaire, plusieurs de ce même acabit parcourt le scénario et existeront dans le paysage du film : la guerre civile, l’écologie, le quotidien des non-militaires et les a prioris grandissant de toute une génération, imagés par le jeune enfant de Susan Rogers… La réconciliation de tous ces problèmes trouvant une place au cœur de l’intrigue amoureuse entre Johnny Hawks, et Onahti, la fille du chef Sioux, une relation qui engendre par ailleurs d’autres problèmes. En premier lieu, de représentation.
La rivière de nos amours commence par un plan sur Onahti, qui se déshabille avant de se baigner dans le fleuve, et où quelques secondes plus tard, Johnny Hawks passe à cheval, remarquant la jeune fille au loin. Une scène anodine me direz-vous, et présente dans bon nombre de longs-métrages, mais qui donne le ton afin de caractériser la relation entre les deux personnages : un dominant et une dominée. Avant de connaître une idylle capillotractée dans la deuxième moitié du récit, le rapport entre les deux personnages est violent. Lors de leur première rencontre, dans le village Sioux et tandis que Onahti lave du linge sur le bord de la rivière, Johnny Hawks cherche à embrasser de force la jeune indienne, qu’il a connu bébé (il s’amuse d’ailleurs à lui rappeler). Suite à cela, l’homme récidivera lors d’une deuxième rencontre où la jeune femme se débâtera de nouveau, avant de tomber tous les deux dans la rivière. Et là, soudainement comme par magie, Onahti se laisse faire et une passion amoureuse commune naît en quelques secondes, se révélant être le retournement de situation le plus rapide du Far-West. Alors oui, pourquoi pas… mais cela n’empêche pas l’histoire d’amour d’être étrange au possible et de mettre en branle la notion de consentement. Autre temps, autre mœurs me direz-vous, mais pas de chance pour La rivière de nos amours, de mon temps, un tel aspect de scénario est difficile à accepter. C’est d’autant plus dommage que André de Toth se veut assez moderne dans sa représentation des Amérindiens – comme déjà dit, ils ne sont pas diabolisés – mais se trouve être terriblement rétrograde en ce qui concerne les relations hommes et femmes. Il est également dommage de constater que les rôles d’Amérindiens sont tenus par des Américains, tandis que l’actrice italienne Elsa Martinelli prête ses traits à Onahti. Il est vrai que ces questions de représentations sont questionnés sous le prisme d’un esprit moderne, ayant un recul non-négligeable sur une époque de production où les codes et mœurs n’étaient pas les mêmes, tout comme la vision que la société a des Amérindiens. Ce n’est pas pour autant que La rivière de nos amours perd en qualité et intérêt, bien au contraire. En plus d’être un western divertissant, et surtout prônant un vivre ensemble bienvenu pour l’époque, le long-métrage est un témoignage important d’une économie en pleine essor et se questionnant sur ses thématiques et personnages. Il est juste intéressant de noter que le titre original – The Indian Fighter – est plus proche de la tonalité du film que le titre français. En effet, nul grand amour dans ce western sauvage, bien plus violent qu’attendrissant.
Concernant le travail d’édition de Wild Side, cela est, comme d’habitude chez l’éditeur, très beau et finement travaillé. La copie restaurée est sublime, donnant un éclat lumineux au Technicolor du long-métrage. Le livret, écrit par Philippe Garnier, apporte une seconde lecture à l’œuvre cinématographique et prolonge l’expérience du simple premier visionnage. Les cinéphiles seront comblés avec cet objet cherchant à offrir davantage qu’une simple découverte, où l’intérêt est de proposer le maximum de pistes de réflexions aux spectateurs. Ainsi, cette édition vous permettra de vous (re)plonger corps et âmes, encore et encore, cherchant à comprendre tous les enjeux de ce western à l’allure simple, mais bien plus complexe qu’il n’y paraît. Si Martin Scorsese aime s’y replonger, il n’y a aucune raison de ne pas en faire de même. Il ne vous reste plus qu’à piquer une tête dans La rivière de nos amours. Plouf.