L’Aventurier du Texas


Pour l’édition Silver combo DVD/Blu-Ray chez Sidonis Calysta, critique de L’Aventurier du Texas (1958) de Budd Boetticher avec “son” acteur fétiche Randolph Scott et avec lequel, à l’image du binôme Anthony Mann/James Stewart, le cinéaste forma un des duos acteur/réalisateur les plus marquants du western.

Randolph Scott et Manuel Rojas dans L'Aventurier du texas de Budd Boetticher

                                          © Tous Droits Réservés

Family Business

Trois Mexicains à Agry Town dans L'aventurier du Texas

                      © Tous Droits Réservés

Lorsque Tom Buchanan revient dans son cher Texas après une vie de brigandage et même un passage par la case prison, il arrive dans une petite bourgade qui a priori ne se différencie pas de n’importe quelle autre. Mais la succession des enseignes de la ville, shop, saloon et autres offices municipaux, l’interpellent : un nom y est inscrit et y revient, perpétuellement, celui des Agry. De toute évidence, l’endroit est possédé par une famille tentaculaire. En tant que baroudeur, qu’homme vieillissant déjà, il n’est plus impressionné de grand-chose et garde, en parallèle d’un côté bagarreur, une bonhomie et un sens de l’humour à toute épreuve. Buchanan ne fait que noter ce nom, et le fait que « dans cette ville, on ne peut rien avoir à moins de dix dollars ». Quoi qu’il en soit, il s’en branle puisqu’il ne fait que passer, lui dont le but est d’aller acheter un lopin de terre avec le petit butin qu’il se trimballe. Sauf que la chance n’est pas de son côté – pour l’instant du moins – et que, bon seigneur, il intervient dans la bagarre où il ne faut pas, protégeant un assassin mexicain… Il se retrouve alors accusé de complicité dans une ville dont la notion de justice est plutôt relative. Juan, le mexicain et lui, sont condamnés à une pendaison sauvage, empêchée de justesse par le juge Simon Agry qui tient à maintenir la primauté de la loi et du tribunal dans la bourgade… ou juste à redorer son image à l’approche des élections. Le tribunal tranche alors, libérant le sympathique Buchanan, condamnant à la peine létale Juan qui revendique haut et fort son meurtre, par vengeance. Cela semble simple, Juan sera pendu demain. A moins que deux trois menus détails, et la fidélité sans failles de Buchanan, qui s’est lié d’amitié avec lui, n’y change quelque chose.

L’Aventurier du Texas, sorti en 1958, est la quatrième collaboration entre Budd Boetticher et ce qu’il est bien convenu d’appeler son acteur fétiche, Randolph Scott. Troisième duo « historique » du western avec Ford/Wayne et Mann/Stewart, leur travail commun passe pour avoir accouché de sept longs-métrages qui forment une partie de ce que le genre a pu faire de mieux. Les westerns de Boetticher dont Le Déserteur de Fort Alamo (1953) chroniqué en ces lignes – c’est certainement André Bazin qui en parle le mieux en écrivant que le bonhomme n’a que faire des velléités de ce qu’on appelle le sur-western, ou western moderne, et que sa richesse est d’être ce qu’il est, sans excès d’intellect tout en étant intelligent, riche sans être trop analytique. En effet, le western selon Boetticher ne cherche pas à être post-moderne, il ne cherche pas à se réfléchir lui-même : il parvient à un équilibre subtil entre la modernité et une certaine insouciance, une acuité et une confiance non-gâchées par une arrogance intellectualisante et/ou révolutionnaire. Peut-être que c’est ce qui peut manquer à un film comme L’Aventurier du Texas, un éclatement, une plus grande ambition, pour s’imposer comme l’un des grands représentants de son genre. Mais en l’état, le cinéaste et son Randalph Scott signent un très bon western, au visuel étonnant – Boetticher est un véritable créateur d’images, capable de sortir d’une séquence bateau, un plan usant d’un axe intriguant faisant mouche – et à l’humanité palpable.

Il est aisé de dire d’abord que le long-métrage est original. L’intrigue se complexifie et s’imbrique – Juan est le sujet d’une rançon pour éviter sa mort, rançon que le juge Simon Agry veut garder pour lui quitte à faire croire au reste du village qu’il a bien été exécuté, mais son sheriff veut kidnapper Juan pour récupérer l’argent lui-même – au point de devenir un poker narratif dans son dernier quart d’heure, à la limite des mécaniques du film policier (qui du juge, du sheriff, de Juan, de Buchanan, obtiendra ce qu’il veut ou en sortira vivant ?). La référence au film policier, et peut-être même au film noir, n’y est pas pour rien tant on pourrait très aisément calquer le scénario à un produit de ce genre : la famille Agry pèse sur la ville comme une mafia ; est dépourvue de la moindre compassion et d’une vénalité assassine ; prête à tuer les autres Agry pour de l’argent s’il le faut… Dans les ténèbres comme dans la lumière, c’est plus globalement dans la peinture humaine que L’Aventurier du Texas frappe en effet le plus, dévoilant tantôt un cynisme détestable dans une parodie de justice et d’esprit de famille, tantôt des protagonistes à l’amitié et aux principes imparfaits, coupables, mais sincères. Le rôle des regards (surtout des protagonistes qui ne parlent pas) et des seconds rôles dans ce film et dans les autres de Couverture DVD/Blu-Ray édité chez Sidonis Calysta de L'aventurier du TexasBoetticher, est particulièrement révélateur de l’attention que le cinéaste porte à ses personnages et à son désir de retranscrire la vie tel qu’elle coule, à l’instar de l’interprétation de Scott pour Buchanan, dans un personnage assez insaisissable, tantôt désabusé, tantôt épris d’un appétit de vivre rigolard et intact.

Sidonis Calysta a lancé une collection Silver, toute jeune, qui regroupera j’imagine ces éditions collector combo DVD/Blu-Ray, restaurées en haute définition pour l’occasion. Pour un long-métrage qui n’a pas été vu au cinéma en France jusqu’à la rétrospective Boetticher à la Cinémathèque Française en 2001 (!), L’Aventurier du Texas n’a jamais été aussi beau et le Blu-Ray est clairement la meilleure des façons de rendre justice à la mise en scène du cinéaste. Pour les suppléments, si Sidonis propose toujours deux entretiens, l’un avec Patrick Brion et l’autre avec Bertrand Tavernier, on a cette fois le droit à un bonus supplémentaire et on ne peut plus recommandable, un focus sur le cinéma de Boetticher par le Bertrand sus-nommé. En somme, rien à reprocher à cette édition si ce n’est l’attente que d’autres films du Budd subissent le même sort.

 

 

 

 

 

 


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.