Bêtes Blondes 1


Sorti en salles en ce début de mois de mars, Bêtes Blondes est le premier long-métrage réalisé par le duo français formé par Maxime Matray et Alexia Walther, avec en tête d’affiche le surprenant Thomas Scimeca qui commence peu à peu à se faire remarquer. Retour sur cette sortie ovniesque, lauréate du prix du film le plus innovant à la semaine de la critique de la Mostra de Venise 2018 et qui mélange tous les genres.

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J’ai perdu la tête

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Fabien se réveille au beau milieu d’un après-midi ensoleillé, dans les bois sur une nappe de pique- nique. Il ne sait pas ce qu’il fait là parce qu’il ne métabolise pas très bien les vitamines. A chaque réveil, il redevient amnésique de la veille. Le voilà alors qui pique un saladier énorme de saumon fumé, qu’il mange à même les doigts, tout en cherchant à se rendre à Paris. Et puis s’enchaînent les péripéties. Il se retrouve à un enterrement, où il se fait passer pour un invité, fait la connaissance d’un faux caporal, puis allez savoir comment tout part en cacahuète, alors que c’était déjà bien barré. Une tête volée, dissimulée dans un sac poubelle par un amant esseulé, une séquence complètement inattendue et scatophile, des chats qui parlent, un voyant gérant d’un sex-shop, le tout ponctué de flash-backs se situant dans une sitcom des années 90. Car Fabien, avant de déchanter, fut le célèbre Patrice de la sitcom, Sois pas triste, Patrice avant qu’elle ne se termine subitement suite au décès de Corinne, sa partenaire à l’écran comme à la ville. Depuis, si tous ses souvenirs s’effacent au réveil, celui de son amie et de cette époque perdure.

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Bêtes Blondes c’est peut-être une sorte d’épopée presque sauvage, une fresque flirtant avec la mythologie grecque version 2019-coincée-dans-les-90 (la mode est un éternel recommencement ne l’oubliez pas), un absurde road-movie, flirtant avec la comédie sentimentale et le conte macabre. Un Kamoulox d’une heure trente auquel on adhère ou pas. Pour apprécier Bêtes Blondes, il faut accepter qu’il n’y ait pas de logique, accepter les chemins de traverse, les chemins de travers aussi, les errances vagabondes d’une rêverie d’une heure trente, virant parfois au cauchemar. Mais il ne suffit pas d’un scénario parfois fourre-tout et pas toujours de bon goût, il faut bien l’admettre, pour porter un film – Quentin Dupieux l’a très bien compris – il faut aussi des comédiens assez doués pour jouer avec talent une partition pas toujours très claire. Thomas Scimeca – qu’on a vu il y a quelques mois dans L’heure de la sortie (Sébastien Marnier, 2019) – est surprenant, drôle bien sûr, mais tout autant émouvant, dans le rôle de ce Fabien semi-amnésique et sans gêne. Basile Meilleurat quant à lui, avec son regard renfrogné, nous touche, dans ce rôle d’amant qui perd littéralement la tête, et on espère le voir prendre son envol à l’avenir dans le cinéma français. Agathe Bonitzer et ses métaphores alchimiques sur la boue, ne tombe jamais dans la facilité. Seul peut-être Youssef Hajdi, petit rôle dans ce film, ne surprend personne et ne sort pas de ses sentiers, incarnant une énième version de son habituel personnage. Quant aux décors, ils sont originaux, oscillant à merveille entre les maisons d’architectes et la décoration kitsch de chez Mamie. Que dire enfin de la bande-son sinon qu’elle est délicieuse et donne au long-métrage encore plus de singularité entre notes de synthé dans le style jeux vidéo des années 80/90 (La Légende de Kyrandia pour toujours dans mon cœur) et musique expérimentale qui accompagne les personnages dans leur épopée, saupoudré parfois d’inspirations aztèque rencontrant Debussy. Sans parler du générique de la série Sois pas triste, Patrice qui à lui seul, porte le film. Petite cerise sur le gâteau, l’affiche ! A une époque où les affiches sont standardisées et ultra-codifiées (voir notre article : Vie et mort de l’affiche de cinéma) nous ne pouvons pas résister à l’envie de mettre en avant celle de Bêtes Blondes, dont le graphisme proche du dessin et de la peinture, frôle le kitch tout en restant onirique.

En bref, Bêtes Blondes est une oeuvre courageuse, qui prend des risques et qui divise déjà les spectateurs et les critiques. Un film qui assurément, ne fait pas genre, et qui méritait donc amplement de figurer dans nos pages, modeste gloire, mais toujours bon à prendre pour un objet comme celui-ci au regard de sa distribution réduite dans l’Hexagone. Je ne pourrai que reprendre le slogan de la Marmite, cette délicieuse (et je le dis sans ironie), pâte à tartiner britanique à base de levure fermentée, pour définir ce film : You either love it or hate it ! On aime, ou on déteste !


A propos de Angie Haÿne

Biberonnée aux Chair de Poule et à X-Files, Angie grandit avec une tendresse particulière pour les monstres, la faute à Jean Cocteau et sa bête, et développe en même temps une phobie envers les enfants démons. Elle tombe amoureuse d'Antoine Doinel en 1999 et cherche depuis un moyen d'entrer les films de Truffaut pour l'épouser. En attendant, elle joue la comédie avant d'ouvrir sa propre salle de cinéma. Ses spécialités sont les comédies musicales, la filmographie de Jean Cocteau, les sorcières et la motion-capture.


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