A la rédaction d’Intervista, il n’existe pas une seule âme qui n’adhère pas à 100% au cinéma de Quentin Dupieux. Il est assez rare qu’un film ou qu’un cinéaste ne nous divise pas, mais à ce point, cela tient de l’exception. Et puis il faut le dire, chaque nouveau film de Dupieux est une bouffée d’air frais dont on sait à l’avance qu’elle va être originale, drôle et déjantée. Ce mois-ci, c’est avec Wrong Cops qu’il revient, toujours plus en forme.
MAKE A FILM ABOUT WHAT ?
Dans la grande famille atrophiée du cinéma français, on trouve vraiment de tout : l’arrière-grand-père qui vient de mourir (Alain Resnais), celui qui ne va pas tarder (Godard), l’oncle qui a réussi à l’étranger mais qui est malgré tout si mauvais qu’on en a honte (Besson), celui qui gueule après tout et tout le monde (Jean-Pierre Mocky), le beau-frère con, pervers et totalement à la masse (Christophe Honoré) et les cousins fouteurs de merde (Kassovitz, Noé, Dupontel, Kounen). Et puis il y a Quentin Dupieux, celui qui ne s’est jamais trop senti à sa place au sein de cette famille, celui qui a compris que la France n’était pas faite pour lui et pour son cerveau malade, celui pour qui « la grande tradition du cinéma français » ne veut pas dire grand-chose. Dans sa nouvelle folie, Wrong Cops, il met en scène plusieurs policiers d’un commissariat de Los Angeles : un ripou dealer d’herbe et antipathique, un borgne difforme qui compose de la musique électro, un obsédé des poitrines féminines, une fliquette maître-chanteuse… Et au milieu de cette bande de flics pas très clairs, un semi-cadavre.
Si vous êtes un lecteur assidu ou curieux d’Intervista, les éloges que nous avons portés à Rubber et à Wrong ne vous auront sûrement pas échappés. Après la sortie du court métrage Wrong Cops – Chapter 1 il y a de cela presque deux ans, c’était avec une grande impatience que nous attendions de voir Wrong Cops, sorte de spin-off sur le personnage du flic cinglé qui apparaît dans le film précédent. Encore une fois, Dupieux ne déroge pas à la règle – qu’il s’est imposée lui-même – du loufoque et du plus improbable possible. Si Steak et Rubber possédaient une structure classique au niveau de la trame et que Wrong partait totalement en vrille, Wrong Cops semble être un vrai compromis entre ces deux modèles : ni trop linéaire, ni trop bordélique, avec quelques séquences qui n’ont pas un grand intérêt pour l’intrigue, mais qui définissent très bien le style du film. La « déconstruction ordonnée » du film n’est pas sans rappeler Dikkenek ou Pulp Fiction (même si ici, on voit l’objet qui est au centre de toutes les attentions, au contraire de la valise du film de Tarantino). Peut-être un peu moins no reason que les deux œuvres précédentes, il contient néanmoins quelques grandioses instants sans queue ni tête qui raviront les plus dingues d’entre vous.
Là où Quentin Dupieux pète totalement un câble, c’est dans l’identité qu’il donne à son film : le no reason, cette fois-ci, provient directement de la caméra, tenue par Dupieux lui-même. Une évolution logique de son processus du non-sens qu’il a mis en route depuis le début déjà, cette façon de rendre absurde plus encore la forme que le fond est aussi un retour aux sources, à son moyen métrage Nonfilm qui remonte déjà à près de quinze ans. Wrong Cops est un film dans lequel la caméra bouge beaucoup, est souvent portée, mais le réalisateur se fait un plaisir tout particulier à zoomer violemment sur des objets improbables, comme cette scène où deux policiers sortent d’une voiture en plan large, puis le zoom très rapide sur le gyrophare en gros plan. L’identité sonore se démarque aussi un peu des précédentes œuvres : la musique est très répétitive, parfois trop, elle lasse vite, mais on surprend Dupieux (enfin, Mr. Oizo, dans ce cas) à jouer avec cela, en donnant à Eric Judor le rôle du policier ayant une vocation de musicien, mais qui est trop mauvais pour percer dans ce domaine.
Il y a clairement une évolution du cinéma de Quentin Dupieux, qui continue à brouiller les pistes. Toujours aussi unique, son œuvre s’enrichit, se transforme, mute petit à petit, sans jamais que l’on sache ce qu’il va nous pondre d’un film à l’autre. Il se détache de tout ce qui existe, se permet de mélanger les genres, les styles, les nationalités, les sensibilités (Eric Judor et Marilyn Manson dans un même film, quand même !), ne se permet qu’une seule référence, et c’est à lui-même (une mère et sa fille regardent Rubber à la télé), même si l’on peut voir les présences de Ray Wise et Grace Zabriskie comme un hommage à David Lynch. Actuellement en post-production de son prochain long métrage, Réalité, dans lequel on retrouvera encore l’inimitable Mark Burnham aux côtés de… Jonathan Lambert, Alain Chabat et Elodie Bouchez, Quentin Dupieux n’a certainement pas encore fini de nous en mettre plein la vue.
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